Yannick Alléno : la liberté dans l'assiette

Paris (VIIIe) En juillet dernier, le chef a repris le Pavillon Ledoyen, devenu Alléno Paris, sur les Champs-Élysées. Une adresse parisienne mythique dont il compte faire sa vitrine multi-étoilée.

Publié le 28 novembre 2014 à 11:02

L'Hôtellerie Restauration : Vous avez décroché le titre de cuisinier de l'année Gault&Millau 2015. Une surprise ?

Yannick Alléno : Très sincèrement, je ne m'y attendais pas. D'abord parce que j'ai déjà eu beaucoup de reconnaissance auparavant, dont 3 étoiles Michelin, et je me suis dit que c'était au tour de ceux qui arrivent. C'était une belle surprise ! C'est la prise en compte du travail que nous avons fait ces trois dernières années à Courchevel, dont celui sur les sauces. Aujourd'hui, cette liberté est dans l'assiette et on est content de revenir et retrouver nos clients. Côté clientèle, on se rend compte que cette distinction a entraîné une augmentation des clients français.

 

Quelle était votre motivation en reprenant le Pavillon Ledoyen ?

Le fait d'être libre de mes choix. Il est difficile de mettre sa carrière entre les mains de directeurs généraux. Il est plus confortable d'être chez soi et d'être dépositaire de son propre destin. C'était une vraie envie de ne dépendre que de moi. Aujourd'hui, nous sommes en phase d'installation. Il ne fallait pas louper ce retour. On s'est accroché et les efforts sont salués par la satisfaction des clients puisque beaucoup reviennent. Nous sommes responsables de l'avenir de cette maison parisienne, un symbole de la capitale, et on espère la voir briller encore longtemps.

 

Vous avez déjà investi 350 000 € avant l'ouverture. Quelle est l'ampleur de l'investissement à venir ?

Il y a un gros investissement à prévoir qui n'est pas encore chiffré. Nous allons refaire les cuisines et changer la salle de restaurant de place. Nous allons mettre le restaurant aux normes PMR. Il y aussi la terrasse à réaménager. Cela se fera progressivement. On a repris 67 personnes et on en a embauché treize pour l'instant. À plein régime, c'est une machine qui tournera avec 120-130 personnes. Depuis trois ans, à Paris, avec l'ouverture des Terroir parisien, nous avons créé 150 emplois.

 

Quelle a été votre entrée en matière avec les équipes ? Vos messages ?

Il a fallu donner des directives concernant l'orchestration du repas, la façon de faire les choses… Il fallait former et motiver tout le monde. C'est un management napoléonien. Napoléon allait au front avec ses gars. Je ne dis pas "Allez-y" mais "On y va". Je suis aux fourneaux midi et soir. C'est aussi un management participatif, car je ne suis pas le seul à avoir de bonnes idées. Je leur apprends la matière avant de se lancer dans la création. Pour cuisiner une endive, il faut d'abord la connaître : d'où
vient-elle, qui la fait pousser, est-ce que c'est cette variété qui convient, est-ce qu'il faut la braiser, la rôtir… Finalement, l'assiette est une finalité secondaire. Il faut d'abord s'intéresser au goût que l'on veut donner. Quand on connaît bien un aliment, il va commencer à nous aiguiller et nous amener sur un terrain gustatif. Quand on est suffisamment concentré sur cela, on fait de grands pas. De la même façon, j'essaye de faire passer mes positions sur la sauce qui, pour moi, correspond à 80 % de l'intérêt d'une assiette.

 

Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui veut faire ce métier ?

Ce qui ressort aujourd'hui, c'est qu'ils ont tous envie de quitter la France. Ils souhaitent se constituer une bonne base et de partir rapidement. C'est inquiétant. Alors, je leur conseille d'apprendre l'anglais ! Je pense qu'il faut avant tout faire le tour de grandes maisons françaises pour être armé avant de partir si tel est leur souhait. C'est un métier de gestes et de savoir-faire, il faut d'abord se concentrer sur son métier et ne pas partir trop vite.

 

Un conseil qui vous a servi ?

C'est un conseil de Paul Bocuse que j'ai toujours appliqué. Il disait : "Si les cuisiniers goûtaient leur cuisine, on mangerait mieux en France." C'est un défaut de jeune, il faut prendre le temps. L'assiette est jolie ? Cela ne suffit pas.

 

Un message à faire passer aux politiques ?

Je pense qu'il faudrait que les consommateurs étrangers puissent récupérer la TVA des restaurants en rentrant chez eux, comme pour les produits de luxe par exemple. Cela les inciterait à se rendre plus facilement dans les restaurants de qualité. C'est plus intéressant que de demander aux restaurateurs de faire des prix à certains moments de l'année. Quand j'achète une chemise en solde, je ne peux pas m'empêcher de penser que je me suis fait avoir le reste de l'année. Dans les restaurants, les marges sont tellement courtes que cette proposition, qui ne coûte rien aux restaurateurs, peut donner une impulsion à la fréquentation par les étrangers. Cela aurait un sens et ce serait un signal fort de la part du Gouvernement.


Publié par Propos recueillis par Nadine Lemoine



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