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du 17 novembre 2005
RESTAURATION

DÉBAT : OUVRIR LE CAP AUX JEUNES DE 14 ANS

LES MAÎTRES D'APPRENTISSAGE DOIVENT JOUER LE JEU

Décrié, l'abaissement à 14 ans de l'entrée au CAP apparaît comme un facteur de relégation scolaire. Les entreprises d'hôtellerie et de restauration sont-elles adaptées à ce jeune public ?


Gilles de Robien a annoncé en septembre l'objectif de 500 000 apprentis d'ici à 2010.

Les Français sont pour, à 83 % selon le sondage publié la semaine dernière dans Le Parisien. Les professeurs et les syndicats de salariés n'approuvent pas. L'abaissement de l'âge d'entrée en apprentissage à 14 ans contre 16 actuellement fait débat aujourd'hui à tous les niveaux de la société, l'obligation de la scolarisation jusqu'à 16 ans étant inscrite dans la loi. Mercredi dernier, Gilles de Robien, ministre de l'Éducation nationale, estimait dans une interview sur France 2 que "l'apprentissage à 14 ans [était]une bonne mesure". Rappelons qu'au début de l'année, ledit ministre avait annoncé le chiffre de 500 000 apprentis d'ici à 2010 (contre 370 000 actuellement) et la mise en place en amont de la découverte professionnelle renforcée en classe de 3e. Public visé ? Les jeunes élèves "sans problèmes scolaires particuliers", un second module (facultatif) de 6 heures par semaine étant destiné aux élèves volontaires, en difficulté scolaire et se situant dans la perspective d'une réduction des sorties du système éducatif sans qualification.
Les professionnels le savent, les professeurs des lycées professionnels aussi : oui, l'apprentissage peut être une solution pour trouver un métier et s'épanouir tant professionnellement que personnellement. Selon André Daguin, président national de l'Umih, "le secteur de la restauration et de l'hôtellerie emploie actuellement entre 60 000 et 70 000 apprentis, soit 10 % de l'effectif", soulignant qu'un apprenti trouvait "85 fois sur 100 un travail à la fin de son apprentissage". Et d'ajouter : "Dans notre secteur, l'apprenti est un futur chef d'entreprise et dans un délai assez bref. Dans les 10 ans, il peut se trouver chef d'entreprise." 

Cataplasme
Mais voilà, en ce moment, les banlieues brûlent et l'entrée en classe de CAP avancée à 14 ans n'est peut-être pas le cataplasme idéal. Et encore plus en hôtellerie-restauration. Prenons le cas du service. Les jeunes sont en salle. On leur demande de savoir vendre, de savoir parler. En apprentissage en entreprise, ils sont tous les jours en scène. En salle, on ne se cache pas. Au contraire, "il faut taper dedans". À 14 ans, est-on assez 'grand' pour cela, a fortiori en situation de relégation scolaire ? Pour assurer face au client qui paie la note ? "Je crois que des métiers plus manuels et plus calmes sont davantage adaptés à ce type de jeune public. En créant un objet par exemple, le jeune se construit ; la restauration est un métier de vente. À la fin de la journée, il ne lui reste plus rien. C'est ingrat. D'ailleurs, beaucoup de nos élèves ne veulent pas être serveurs ; au début de l'année, ils veulent tous être en cuisine", témoigne un enseignant parisien. Comme lui comme pour un certain nombre de ses collègues, la crainte est que les professeurs de collège "y aillent à tour de bras et leur envoient les plus nuls".
Pourtant, le mode de fonctionnement caractéristique propre aux métiers de la restauration pourrait jouer le rôle de garde-fou. Soyons clairs. Les coupures sont-elles compatibles avec les exigences des jeunes ? Non. Les jeunes des banlieues n'en voudront pas, et ceux des quartiers plus favorisés non plus de toute façon. Les adolescents ne sont plus les gamins d'hier. "Ils ne seront jamais, heureusement, les sous-plongeurs, sous-vaisseliers, sous-nettoyeurs du métier passant 2 ans aux tâches les plus ingrates", se réjouit Gilles Grandjean du restaurant Rech. "Profitons tout au contraire de cette décision (le CAP à 14 ans) pour en faire des espoirs de la cuisine et de la salle, des jeunes fiers de porter la veste blanche de cuisinier ou de serveur", ajoute-t-il. À condition que le maître d'apprentissage ait au minimum le diplôme préparé par les jeunes recrues.
Serpent de mer, l'agrément, accordé auparavant par les préfectures des départements et supprimé pour des raisons de difficultés d'application, refait surface. Pour encadrer des jeunes, il faut être apte à accueillir, former et transmettre. "Le maître d'apprentissage doit repenser la façon d'intégrer un jeune de 14 ans ou de 16 ans dans son entreprise. Le mettre à l'aise mais aussi être le tuteur professionnel", commente pour sa part Jean-Michel Flageul, chef de travaux au lycée hôtelier Jean-Quarré à Paris (XIXe). 'Label', 'agrément', les termes peuvent être différents, mais la volonté et le point de départ sont identiques : pour garder et attirer les jeunes dans la profession, il faut être crédible. Et savoir transmettre. C'est sûr, un gamin de 14 ans ne se posera pas longtemps la question de savoir s'il remet ou pas les pieds dans l'entreprise au bout de '3 jours de balayage'. Il ne reviendra pas. Et tout le monde sera énervé. "Pas d'apprenti dans les établissements où l'élève ne pourra pas obtenir la formation à l'ensemble des techniques du CAP", tranche Gilles Grandjean. Le sujet est important. Pas besoin d'attendre que les banlieues brûlent pour en parler.
Lydie Anastassion zzz68v

Ce qu'ils en disent…

Propos recueillis par L. A.

La FCPE (Fédération des conseils de parents d'élèves des écoles publiques) : "Une politique de l'abandon"
"Alors que les jeunes ont besoin, pour s'insérer socialement et professionnellement, de plus d'école, mais surtout de 'mieux d'école', le gouvernement rétablit l'apprentissage à 14 ans. Il revient 30 ans en arrière, lorsque la fin de la scolarité obligatoire était fixée à 14 ans !
Jamais encore on n'est parvenu à un tel niveau dans l'aveuglement et dans l'impuissance, alors qu'il faudrait changer profondément l'école pour permettre à tous d'y trouver le chemin de la réussite, alors qu'il faudrait mobiliser toute l'institution scolaire pour raccrocher les nombreux jeunes qui l'ont quittée par découragement ou par écoeurement. [...]
À ceux qui ne peuvent se couler dans le moule, le gouvernement répond : puisque vous n'êtes pas capables, puisque l'école vous ennuie, puisque vous ne savez pas vous soumettre au modèle culturel dominant, alors, dehors ! Au travail ! Avec quelle formation ?
Pour quel avenir professionnel ? […]
Décidément, ce gouvernement n'a rien compris ou ne veut pas comprendre : à une très grande majorité de la jeunesse qui demande plus d'aide, plus de considération, plus d'éducation, il oppose une politique de l'abandon et du mépris qui porte les germes de tensions sociales futures encore plus graves. Comment, dans ces conditions, ne pas craindre le pire ?

Pierre Berthet, président de l'association des anciens élèves du lycée Jean-Drouant Paris-Proatel Région île-de-France :
"Il faut que l'apprentissage demeure un choix. Comment les élèves en situation d'échec grave, visés par l'apprentissage à 14 ans, pourraient obtenir un diplôme en allant à l'école 13 semaines par an au lieu de 36 ? […]. Il faut laisser les jeunes sortir de la scolarité avec un bagage minimum."

André Daguin, président national de l'Umih : "Une mesure de salut public"
"L'apprentissage à 14 ans, on aurait jamais dû le quitter, c'est une mesure de salut public. Lorsqu'il existait, on donnait aux jeunes des notions de vie en société, de discipline, de politesse."

L'Union nationale des anciens élèves des écoles hôtelières propose un CAP cuisines du monde

La preuve que certains professionnels n'ont pas attendu les événements actuels pour lancer des avertissements aux instances dirigeantes et proposer leur solution : "L'ouverture des frontières internes."
Pour que les jeunes, en majorité issus de l'immigration entrent dans le monde de la restauration, l'Unaeeh propose la création d'un CAP cuisines du monde. "Nous estimons que les restaurants de cuisine étrangère représentent aujourd'hui près de 50 % des restaurants de la métropole, explique Gilles Grandjean, président de l'association, alors pourquoi ne pas actionner ce levier ?"

"Pourquoi ne pas offrir d'avenir à tous ceux qui, dans nos banlieues, sont sans travail, sans motivation, sans espoir ? Les Auvergnats quittant leur ferme isolée, leur pays sans espoir de travail, sans avenir, avec leur patois et leur seul courage pour bagage, étaient dans la même situation que nos jeunes. Notre métier est depuis toujours un ascenseur social, les employés d'hier ont toujours été les patrons de demain, par une entrée grâce à un CAP adapté à leurs origines, nous leur donnerons la fierté d'intégrer le monde du travail par leur culture mère, leur gastronomie, et nos administrations pourront avoir face à elles des personnes formées et responsables. Ceux qui en ont envie pourront alors prendre la passerelle vers les autres voies de la restauration", écrivait-il dans une lettre ouverte envoyée à Renaud Dutreil, alors secrétaire d'État aux Petites et Moyennes entreprises, au Commerce, à l'Artisanat, aux Professions libérales et à la Consommation en… décembre 2003.
Et publiée dans les colonnes de
L'Hôtellerie Restauration2853 du 25 décembre 2003.
L. A.

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L'Hôtellerie Restauration n° 2951 Hebdo 17 Novembre 2005 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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