du 24 novembre 2005 |
VIE PROFESSIONNELLE |
EN RÉGION PARISIENNE, 1 BAR-TABAC SUR 3 PASSE À L'EXTRÊME-ORIENT
QUAND LES ASIATIQUES REMPLACENT LES AUVERGNATS DERRIÈRE LE ZINC
Île-de-France 1 bar-tabac sur 3, c'est le chiffre avancé pour quantifier la reprise d'établissements de type bar-brasserie par la communauté asiatique dans la région.
Le bar-tabac-brasserie le Kennedy-Eiffel appartient depuis plus de 1 an à Hing Keung Kwam. Ce dernier est un Sino-Français originaire de Canton. En salle, au comptoir du tabac et derrière le zinc, sa famille gère l'établissement mais en cuisine, le chef est français. |
Le Bergerac, bar-tabac de la rue de la Chapelle, n'a guère changé depuis sa reprise par Monsieur Liu. Son nouveau patron né à Shanghai est arrivé en France il y a 7 ans, puis s'est sédentarisé avec sa femme et ses enfants dans le XVIIe arrondissement de Paris. Après quelque 220 000 E empruntés à la banque, le voilà propriétaire d'un établissement aux consonances périgourdines. Il n'a pas vu l'intérêt de débaptiser cette enseigne dont la clientèle cosmopolite apprécie à la fois les horaires à rallonge et le débit de tabac, seule carotte sur la longue travée reliant la porte de la Chapelle à la Goutte d'Or. Monsieur Liu souhaitait en effet respecter l'identité du lieu, et si les éclairages bleutés des plafonniers trahissent l'origine chinoise des gérants, Le Bergerac restera néanmoins parisien, la famille Liu l'assure, et s'y emploie de 7 heures à 22 heures, comme bon nombre de compatriotes reprenant affaire dans la capitale.
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Pas
de jeunes Français pour reprendre ces établissements
Loin d'être un cas isolé,
l'exemple des Liu est révélateur : depuis 4 ans, Paris et sa banlieue constatent un
accroissement de la mainmise asiatique sur les zincs parisiens. L'appropriation des
bars-tabac et brasseries par les communautés chinoises et cambodgiennes se réalise en
marge du développement relativement constant des restaurants thaïs, chinois ou
vietnamiens, et se chiffrerait autour de 18 à 30 % du nombre des transactions
réalisées. Une tendance lourde selon Christian Navet, président de l'Union patronale de
l'industrie hôtelière (Upih) : l'union, qui vient tout juste de s'ouvrir aux exploitants
asiatiques souhaitant se syndiquer, constate la généralisation de ce phénomène en
Île-de-France et l'associe directement au papy boom. "Avec l'arrivée de nombreux
fonds de commerce sur le marché de la reprise et l'absence de jeunes Français pour
racheter, une offre importante est à pourvoir, et la communauté s'y emploie, confie
Christian Navet. Les Asiatiques sont comme les Auvergnats d'après-guerre : organisés
de la même façon, ils s'installent puis aident un cousin. Mais leur nombre diffère
et les fonds ne proviennent pas des mêmes sources." Selon Yves-Marie Le Norgoll,
fondateur du cabinet Axxis, ce phénomène correspondrait à un redéploiement d'activité
au sein de la communauté chinoise : souffrant de la concurrence dans le textile, beaucoup
de ses membres se tournent vers des métiers ne requérant que peu de formation, mais
procurant une place respectable dans la société ; d'où le débit de tabac et le
prestige de l'agrément donné par les douanes. "Les Asiatiques préfèrent
acquérir des établissements dont les bilans sont lisibles. En bar-tabac, les revenus
liés au tabac sont fixes, ce qui représente un gage de sécurité pour les
investisseurs." En termes de finances, les fonds proviennent souvent de Chine,
sous forme de dons. "On élabore un acte notarié où un membre âgé de la
famille lègue à ses enfants une somme conséquente. Cet acte, traduit par un interprète
assermenté, constitue une pièce au dossier. C'est la forme de financement la plus
courante, avec l'usage de la tontine, ce crédit communautaire qui s'appuie sur la
confiance entre les membres du cercle. Des systèmes qui permettent d'investir jusqu'à
800 000 E par reprise", confie Yves-Marie Le Norgoll.
Christian Navet : "Les Asiatiques sont comme les Auvergnats d'après-guerre : organisés de la même façon, ils s'installent puis aident un cousin." |
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"Des
gens qui ne comptent pas leur temps"
Pour Charly Belisson,
vice-président de l'Upih, le phénomène semble plutôt positif : "Alors que le
métier est loin d'être valorisant, arrivent sur le marché des gens qui ne comptent pas
leur temps. C'est courageux, ils méritent de réussir." D'où la création de
l'Union des cafetiers, hôteliers et restaurateurs asiatiques (Uchra) dont la demande
émanait de nombreux patrons asiatiques. Pour Kuan Tso Ling et Monsieur Kuch, les
cofondateurs de cette branche syndicale (en partenariat avec l'Upih), ces reprises
auraient généré 4 000 emplois en Île-de-France, chiffre non négligeable. Et
permettent avant tout de faire vivre le tissu social, en donnant des repreneurs à des
affaires qui, autrement, resteraient sans gérance.
Côté hôtellerie, le phénomène demeure marginal selon Mme Hue, du cabinet Guyaumont : "La
reprise d'hôtels par la communauté asiatique est infime : les sommes en jeu sont
importantes, et les produits proposés ne leur conviennent pas. En revanche, on rencontre
de plus en plus d'investisseurs asiatiques qui cherchent à s'implanter en France : ils
possèdent déjà souvent leurs propres chaînes hôtelières à Hong-Kong ou Shanghai, et
cherchent en France de grands hôtels de luxe à haute capacité (150 chambres au moins)
pour faire venir des groupes de touristes chinois." Pour Bertrand Lecourt,
président de la chambre syndicale des hôtels de Paris, si un certain nombre
d'établissements est repris par des Asiatiques, la tendance reste difficile à quantifier
: "Ils achètent de petits établissements, du non homologué au 2 étoiles, dans
les arrondissements les moins cotés : XVIIIe, XIXe, XXe,
et le XIIIe, traditionnel quartier chinois d'Italie-Choisy. Avec l'arrivée à
la retraite des papy boomers, le nombre de reprises croît. Logiquement, si un acheteur a
les fonds, peu importent ses origines, il réalisera l'affaire, car l'essentiel pour le
vendeur reste de pouvoir s'en aller avec le capital souhaité."
La tendance, loin d'être nouvelle,
cristallise les peurs ancestrales d'une vague chinoise emportant tout sur son passage. Une
crainte infondée pour Qing Lochouarn : cette Pékinoise, heureuse épouse d'un Breton de
souche, gère depuis quelques années 2 établissements à Roissy (95), un restaurant
chinois et une brasserie. L'ancien propriétaire français l'a convaincue d'en faire la
reprise, parce qu'elle "connaît le métier mieux que personne" après 15
ans d'apprentissage en restaurant gastronomique. Elle a décidé d'en conserver intactes
l'équipe et le nom. Le secret de la réussite selon Qing ? Garder l'identité du lieu,
envers et contre tout.
Gaëlle Girard zzz22v
zzz24 zzz32
Uchra
11 rue Antoine Bourdelle
75015 Paris
Tél. : 01 53 63 11 70
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L'Hôtellerie Restauration n° 2952 Hebdo 24 novembre 2005 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE