du 1er septembre 2005 |
TALENT |
Dominique Corby : le Japon dans la peau
Le Japon et sa clientèle à fort pouvoir d'achat fascine les chefs français. Robuchon, Ducasse, les frères Pourcel, bientôt Gagnaire, prennent position au pays du Soleil levant. En une dizaine d'années, Dominique Corby a su s'y faire une place en or. Portrait d'un chef 'intégré' et paroles d'expert.
Nadine Lemoine
Son visage est très présent dans les magazines.
"Au Japon, les chefs ne sont pas des stars, mais des artisans, des chefs d'entreprise, des 'sensen', ce qui veut dire des professeurs qui sont là pour leur apprendre la cuisine française. C'est une idée qui me plaît", dit Dominique Corby. |
Il
participe à des émissions culinaires à la télévision. Son visage est très présent
dans les magazines. Des fans japonais ont créé des sites internet pour parler de lui.
Lui, c'est Dominique Corby, 40 ans depuis le mois dernier. Arrivé il y a 12 ans de
France, il est aujourd'hui à la tête de deux restaurants gastronomiques, Le 6ème Sens
à Tokyo et le Sakura à Osaka. "Pourquoi je suis resté ? Parce que je me suis
bien acclimaté. Il y a aussi les conditions de travail exceptionnelles que j'ai eues et
ma cuisine plaît aux Japonais." Pas de langue de bois pour autant, il reconnaît
qu'un "bagage important" ne suffit pas. Il n'est pas facile de s'imposer
au Japon.
Rien ne prédestinait Dominique Corby à s'y rendre un jour.
Il a seulement su saisir sa chance. En 1992, il travaille comme sous-chef à La Tour
d'Argent à Paris. À Tokyo, une autre Tour d'Argent fait des flammes. Le jeune homme fait
alors savoir qu'il est partant pour un poste à l'autre bout du monde. Le message est bien
passé. Il faut être patient. Il obtient un poste de chef de cuisine à l'Auberge
d'Aigremont. Le jeune cuisinier continue son ascension. Il sent même que le macaron est
proche.
C'est alors que la chance frappe à sa porte. Claude Terrail, l'âme de La Tour d'Argent
à Paris, le contacte et lui dit : "Dites-moi jeune homme, on m'a dit que vous
étiez candidat pour partir à Tokyo. Je pense que vous savez cuisiner. Alors à partir de
demain, vous allez me préparer mon repas midi et soir pendant 15 jours, je jugerai alors de vos qualités !"
15 jours plus tard, Claude Terrail lui remet un billet d'avion, un aller simple pour Tokyo
! De 1994 à février 2002, Dominique Corby fut le chef exécutif de La Tour d'Argent de
Tokyo. En mars 2002, il se voit confier la création du restaurant gastronomique Sakura
(ce qui signifie les cerisiers ; un nom jamais écrit en idéogramme afin de bien faire
comprendre qu'il s'agit d'un restaurant français), dans l'Hotel New Otani Osaka et il en
est toujours le chef exécutif. Depuis novembre 2003, il a ajouté une corde à son arc en
devenant, en parallèle, chef-propriétaire du restaurant Le 6ème Sens à
Tokyo.
Dominique Corby est toujours le chef exécutif du Sakura d'Osaka, le restaurant gastronomique de l'Hotel New Otani Osaka. |
Dominique Corby se partage donc entre deux restaurants : le Sakura d'Osaka, restaurant gastronomique de 40 couverts, et Le 6ème Sens de Tokyo, où cohabitent deux concepts : le café (30 places assises) et le restaurant, 20 places et une grande table pour 12 personnes dans la cave à vins (lire encadré page 12).
Une
intégration qui demande de gros efforts
Quelques semaines après son arrivée à
Tokyo, le jeune chef, porté par son enthousiasme, s'est malgré tout rendu à l'évidence
: il est impossible de bien travailler sans comprendre la langue. Parce que comprendre la
langue, c'est comprendre les gens, leur culture, leurs envies, leur façon de penser,
leurs attentes. Trois cours de japonais par semaine (3 heures) pendant 2 ans. Il faut de
la pugnacité et ça a payé. Il parle enfin couramment le japonais. 12 ans plus tard, il
a intégré beaucoup plus que la langue. Il dit penser en japonais. Il anticipe les
réactions des Japonais et partage avec eux de nombreuses valeurs comme le respect.
"C'est une grande vertu au Japon et cela me plaît beaucoup." Un mot qui
revient souvent dans la bouche du chef, un mot-clé pour comprendre ce monde si loin du
nôtre. La clef aussi pour comprendre la réussite de ce jeune Français.
Le respect de la hiérarchie au point que le chef doit
toujours arriver en dernier au restaurant. L'apprenti fait l'ouverture, vient ensuite le
commis, les chefs de partie puis le chef. Et impossible de dire à son équipe de partir
avant lui. C'est le chef qui quitte les lieux en premier. Déférence toujours. Alors par
respect aussi pour ses employés et conserver des horaires convenables (8 heures/21 heures
pour l'apprenti), Dominique Corby a l'il sur la montre et s'éclipse quand il faut.
C'est sa façon de soutenir ses équipes qu'il sait dévouées. Une journée type : le
service commence à 11 h 30. Pas de réservations après 14 h 30. 15 h 30, le service est
terminé. Coupure d'une demi-heure. Le service du soir reprend à 17 heures et tout est
bouclé à 21 h 30.
Restaurant
Le 6ème Sens à Tokyo Ticket moyen 6ème Sens Café : 15 E 6ème Sens Restaurant : 50 E (midi), 150 E (soir) Capacité |
Restaurant Sakura Hotel New Otani Osaka Ticket moyen 50 E (midi), 150 E (soir) Capacité 40 places assises CA annuel 42 ME Ouvert tous les jours de l'année www.osaka.newotani.co.jp |
La salle de la cave à vins du 6ème Sens est vitrée, permettant, de conserver une température de 20/22°C pour les clients et une température de cave normale pour les vins. |
Les
Japonais toujours fans de cuisine française
L'influence du Japon sur la cuisine de
Dominique Corby ? Pas de doute, elle existe et le chef la revendique. Comme pour chaque
chef à l'étranger, ce sont les produits locaux qui ont la première incidence. Comment
ne pas s'intéresser aux légumes, fruits, viandes
que l'on ne connaît pas ? Cela
ouvre des horizons. "Je ne travaille pas les produits locaux par obligation, mais
parce qu'il y a de très bons produits. Et puis, je pense que les Japonais sont heureux de
retrouver leurs produits dans ma cuisine." Mais pas de méprise, Dominique Corby
fait de la cuisine française : "Je ne suis pas influencé par la cuisine
japonaise. Je ne fais pas de cuisine franco-japonaise. Je garde mes bases de cuisine
française en utilisant des produits locaux."
Et la cuisine française plaît toujours là-bas même si le
marché évolue. "Il y a une telle concurrence à Ginza (quartier de Tokyo)
! Il y a près de 1 500 restaurants ! Il y a 200 restaurants dans notre rue, dont 40
spécialisés dans la cuisine française. Sur Tokyo, pour 15 millions d'habitants, on
compte 2 000 restaurants français. Et le potentiel de clients qui mangent de la cuisine
française est de 1 % ! On a toutes les cuisines du monde. Il faut savoir aussi que
beaucoup de chefs japonais ont ouvert des bistrots. Je pense qu'on commence à regagner du
terrain avec les Robuchon, Ducasse et Gagnaire qui arrivent", explique Dominique
Corby. Quand il a débarqué au Japon, tous les restaurants français étaient chers. Les
Japonais se repliaient sur les restaurants italiens à l'addition plus légère. Depuis 5
à 6 ans, avec l'ouverture de bistrots français, ils reviennent.
Dominique Corby invite d'ailleurs régulièrement des chefs français à faire des
semaines gastronomiques dans ses restaurants. Jean-Paul Jeunet, Patrick Jeffroy, Patrick
Gauthier ou encore Pierre Gagnaire se prêtent au jeu d'autant plus volontiers que cela
leur permet de découvrir de nouveaux produits, de nouvelles saveurs
Pour la
clientèle, c'est aussi un plus. Les Japonais, qui ont "une vraie culture du
goût", veulent voir le chef.
"Je vais très souvent en salle. Ils ont besoin de me voir, confie Dominique
Corby. Après, ils sont prêts à dépenser de l'argent. Il y a des clients qui ne
viennent que lorsque je suis là. J'ai 2 heures et demie de train entre Osaka et Tokyo,
j'arrive à saluer les clients dans les deux restaurants." Si la clientèle
japonaise préfère les menus, elle demande aussi souvent au chef de décider pour eux. "Ils
me laissent carte blanche."
Feuille de gobou en tempura, lanières de buf et coquillages | |
Ingrédients
pour 10 personnes Prendre une belle pièce d'entrecôte de Iga (région du centre du Japon près de Nagoya, où se trouve en ce moment l'Exposition universelle), saler, poivrer, faire revenir à la poêle et rôtir. Cuisson très saignante. Laisser reposer quelques instants. Sauce Garniture Décor |
koimo farci au lait de coco, gingembre et yuzu | |
- 10 pièces de koimo à farcir + 200 g de pulpe
Éplucher les koimo et les cuire sous vide en vapeur pendant une vingtaine de minutes,
ensuite récupérer la pulpe. 100 g de cette pulpe seront mis dans un bol pacojet avec le
gingembre frais haché, 10 g de jus de yuzu (comme du citron vert mais beaucoup plus
odorant), un peu de sirop à 30 °, un peu de lait de coco. Décor |
Savoir
communiquer
Au Japon, il y a beaucoup d'émissions de
cuisine et une foule de journaux consacrés à la gastronomie. Les chefs doivent jouer le
jeu de la communication. "Si on se fait de plus en plus connaître, on a plus de
chance de remplir le restaurant." Dominique participe donc fréquemment à des
émissions. Outre son talent, le fait de parler couramment japonais est un atout
indéniable.
Particularité nippone : il n'y a pas de critiques
gastronomiques ! Pas de chroniques assassines dans les journaux. Pas d'éloges non plus.
En revanche, une presse très portée sur la gastronomie. De très nombreux magazines qui
présentent les restaurants de haute volée, y compris en France bien sûr. "Les
seuls critiques, ce sont les clients. Les Japonais mécontents ne reviennent pas",
explique Dominique Corby. Plus difficiles à gérer, les déçus font leurs commentaires
sur internet, et ne se gênent pas pour faire une publicité désastreuse à celui qui n'a
pas été à la hauteur selon eux. Dominique Corby s'impose donc de jeter un il
très attentif à ce qui se passe sur la toile. "Je surveille ce qui se dit de moi
et de mes restaurants par Google. Les Japonais remplissent des pages et des pages sur le
net. Ils dialoguent en permanence. C'est une mesure de contrôle pour éviter toute dérive. Je vois aussi
ce que mes fans racontent. C'est intéressant, même si parfois les commentaires
dépassent la cuisine", explique le chef.
Comme en France, la médiatisation est un plus au Japon.
Elle permet aussi de trouver des financiers, vu le montant prohibitif des loyers et du m2.
"Impossible d'ouvrir un restaurant français au Japon sans être adossé à un
groupe. C'est systématique, il faut des sponsors !", prévient le chef
français. Il faut savoir que de nombreuses entreprises japonaises investissent dans la
restauration, notamment pour des questions d'impôts. Posséder son propre restaurant,
c'est également une marque de prestige. Pour Le 6ème Sens, Dominique Corby a
été sollicité par des financiers, une société de distribution de vins japonais,
Oenon.
À ceux qui souhaiteraient faire le grand saut, Dominique Corby, ancien de l'École
Belliard à Paris, conseille de venir avec déjà au moins 10 ans d'expérience (plus
simple pour obtenir un visa). Le mieux étant de postuler directement pour un poste
au-dessus du chef de partie. "L'intégration est plus facile", confie
Dominique. Autre conseil : apprendre le japonais avant de partir. Les Japonais ne parlent
pas le français et peu l'anglais. Membre du Syndicat de la haute cuisine française au
Japon et de l'association des Maîtres cuisiniers de France, Dominique Corby est un
professionnel reconnu et très actif dans ce pays. Il est très sollicité par ses pairs
en France et par des candidats au voyage à qui il prodigue quelques conseils. Voit-il
lui-même son avenir en japonais ? À très long terme, il s'imagine de retour en France
où il créerait alors un restaurant d'un nouveau genre : un "petit bistrot avec
des influences japonaises!" En attendant, le premier livre de cuisine signé
Dominique Corby est sur le point de sortir en librairie au Japon. Un livre de recettes
bilingues : français-japonais : Dominique Corby chapitre 13, aux Éditions Shibata
Shoten. Un autre livre est déjà prévu. Un homme à suivre. < zznz22v zzz99 zzz18p
les démarches pour travailler au Japon ? |
Pour travailler au Japon, un visa de
travail est obligatoire, quelle que soit la durée du contrat de travail. Et pour obtenir un visa, il faut avoir trouvé du travail, donc un employeur. C'est l'employeur qui prend contact avec le bureau d'immigration et y dépose une demande de 'Certificate of Eligibility' ou CoE. En fonction des documents fournis par l'employeur et par le futur salarié (CV, diplômes ), le bureau d'immigration décidera d'accorder ou non le CoE. Ce dernier permettra au futur expatrié de déposer une demande de visa de travail auprès du consulat du Japon. Depuis 1999, un accord relatif au visa 'Vacances-travail' a été signé entre la France et le Japon. Il permet aux jeunes Français âgés de 18 à 30 ans d'y séjourner une année et d'y travailler pour financer leur séjour. Pour plus d'informations, consulter le site internet de l'ambassade du Japon : http://www.fr.emb-japan.go.jp/visa/v_t.html |
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L'Hôtellerie Restauration n° 2940 Magazine 1er septembre 2005 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE