Actualités

Page d'accueil
 Sommaire
du 16 février 2006
EN DIRECT DE L'UMIH

LES RENDEZ-VOUS DU SENS

Micro libre entre André Daguin et Karim Zeribi

Spécialiste des quartiers sensibles, Karim Zeribi retrouve régulièrement le président de l'Umih, André Daguin, sur le plateau de l'émission Les Grandes Gueules, sur RMC. Pour les lecteurs de L'Hôtellerie Restauration, ils se sont réunis au Sens, à Paris, sur le thème de la discrimination, de l'intégration, de la citoyenneté.

Propos recueillis par Sylvie Soubes

André Daguin : Je tenais à vous féliciter pour votre toute récente nomination en tant que conseiller auprès du président de la SNCF, Louis Gallois, pour l'égalité des chances. Quel va être au juste votre rôle ?

Karim Zeribi : C'est un challenge très excitant, car la SNCF est une belle et grande entreprise. C'est aussi une marque de confiance qui me fait très plaisir. Il ne faut pas croire que la SNCF n'a rien fait sur ce terrain-là, je vais poursuivre le travail déjà engagé par la DRH. Je vais apporter ma pierre à l'édifice en ayant un regard attentif sur les processus de recrutement, la promotion interne et l'égalité. On va recruter 5 200 personnes, dont la moitié en Île-de-France. Le président Gallois a fixé un objectif de 10 à 15 % de ses nouveaux embauchés issus des quartiers sensibles. Il ne s'agit pas d'une politique de quotas. La SNCF aborde la question sous l'angle territorial. Il y a des jeunes hommes et des jeunes femmes qui sont candidats et qui n'ont pas de réseau dans l'entreprise. Il faut que l'on puisse prendre en compte leurs compétences et qu'on aille à la rencontre de ces territoires vers lesquels on ne va pas naturellement.

A. D. : Des territoires dont on se détourne. Moi, dans tout ça, je vois trois handicaps terribles : le faciès, le nom et le quartier ou l'adresse. Et c'est inadmissible. Il y a 100 ans, on avait un peu ça dans nos métiers avec les Normands, les Bretons, les Gascons ou les Savoyards. Et c'est une belle stupidité, et je le dis en toutes lettres. Je ne suis pas sûr que ce soit du racisme. J'ai l'impression que c'est une espèce de crainte de l'autre, qui ne fait que révéler la faiblesse du mec qui l'éprouve.

K. Z. : Lever ces obstacles pour ne laisser place qu'à la compétence et au mérite. Nous sommes dans une démarche où il faut réactiver les principes républicains. Et pas simplement les laisser au stade de la promesse. C'est ça l'enjeu, aujourd'hui. Et c'est l'enjeu de la société française. La SNCF fait partie des services publics, et à ce titre, nous faisons partie des premiers concernés. Le privé s'intéresse aussi au sujet, et j'ai l'impression qu'il y a un sursaut au sein de la société française qui a pris conscience de la problématique, et qui veut apporter des réponses.

A. D. : Je me souviens de la première fois où l'on s'est croisé. Vous étiez conseiller technique auprès de Chevènement. C'était l'époque des premiers testings en discothèques, et grâce à vous, le ministre de l'Intérieur avait eu un jugement plus sain vis-à-vis de la profession. Il faut séparer discrimination et tri. Un patron de discothèque est un chef d'entreprise qui doit pouvoir, dans certains cas, refuser certaines clientèles. Si je vais dans une boîte de filles gay, je suis quasiment sûr qu'on va me refuser, et c'est tant mieux. Ce qu'il ne faut pas, c'est que ce soit dirigé contre la couleur de la peau.

K. Z. : Quand un responsable de discothèque refuse de laisser entrer un jeune simplement au faciès, on ne peut pas l'accepter. En revanche, quand il y a un groupe de jeunes qui ont une tenue vestimentaire qui laisse apparaître un laisser-aller, et qui sont en surnombre, susceptibles alors de gêner les équilibres, les choses sont différentes. Le patron est un chef d'entreprise qui doit garantir la bonne marche de son affaire. Personnellement, j'ai envie de dire attention, on ne règlera pas tout avec le pénal dans notre pays. Il faut entreprendre d'autres démarches. Quand on noue une discussion, un dialogue, on arrive à de meilleurs résultats que si l'on se fait des procès à tour de bras.

A. D. : Ça me rappelle une anecdote à laquelle j'ai assisté à Paris, chez Castel. Il y avait un émir du pétrole qui a dit à mon ami Castel : "Moi, je suis bien ici, vendez-moi 20 cartes." Castel lui a dit non. Ça faussait l'équilibre intérieur de l'établissement. Chez Castel, on vient à 1, 2 ou 3. On vient pour retrouver d'autres personnes. Mais pas en groupe, pas comme ça.

K. Z. : C'est une question sensible, la discrimination. Elle doit être traitée avec précision et avec intelligence, sinon c'est la porte ouverte à tout. Si un jeune des quartiers populaires envoie 500 courriers pour demander un entretien et qu'il ne reçoit que 10 réponses officielles, dans lesquelles on lui dit qu'il ne correspond pas au profil, on peut se poser des questions sur le dysfonctionnement de notre société. Il ne faut toutefois pas crier au loup, crier au racisme toutes les 30 secondes, c'est plus compliqué que ça. Pour sortir des préjugés, aujourd'hui, il faut restaurer la confiance.

A. D. : Chez nous, dans nos secteurs, on a un rôle important à jouer. On a une multitude de petites entreprises, et c'est de là que le succès viendra. Quand quelqu'un vient d'une entreprise de 5 ou 6 personnes, il est pris en charge, il est pris dans le rythme, il fait partie de l'équipe. C'est plus facile pour lui. Ce n'est pas l'aspect familial dont je parle, mais c'est un cadre professionnel dans lequel il se forme et qui est à échelle humaine. Et ce qui me plaît, c'est quand ils sont capables de se charrier. Là, c'est gagné !

K. Z. : L'accès à la citoyenneté pleine et entière, c'est un double cheminement. Il ne faut pas que le jeune attende au pied de son quartier que les choses viennent toutes seules. Ca, ça n'existe pas. Il faut aller à la conquête, démontrer que l'on a envie, qu'on est disponible, qu'on est motivé. Un bon employeur, dans la restauration et l'hôtellerie, c'est quelqu'un qui fait preuve de dynamisme et de volontarisme, et s'il a en face de lui quelqu'un qui en veut, il ne peut pas passer à côté. Nous, quand on va démarcher une entreprise, on ne dit pas faites un geste social. On ne veut pas de discours compassionnel. D'ailleurs, ça n'intéresse pas les chefs d'entreprise. Une entreprise n'est pas un centre social. C'est ce discours-là qu'il faut que l'on tienne ouvertement et sans tabou. Et les jeunes l'entendent, ce discours.

A. D. : Des Métiers, Un Avenir est une campagne de témoignage, qui montre aux jeunes qu'ils peuvent avoir accès à un vrai ascenseur social. Aujourd'hui, ce qui me consterne, c'est le coup d'arrêt de la TVA. Même si le combat n'est pas fini, comment allons-nous convaincre les employeurs à respecter leur parole si le gouvernement n'est pas capable de tenir sa promesse, puis ses engagements renouvelés, réitérés dans ce dossier ? Je crains que ça ait cassé quelque chose de profond. Le gouvernement devrait pourtant montrer l'exemple.

K. Z. : L'exemplarité est le meilleur moyen de combattre le fatalisme. Ça me fait penser à un jeune qui discutait dans un café et qui disait : "Tiens, le copain de mon frère, il a monté un restaurant. C'est cool." Le gamin était content, ça lui donnait envie. Alors que sans débouchés, il va donner quoi ? Un petit caïd qui flambe…

A. D. : Dans nos métiers, la parole est importante. Nous ne sommes pas un métier d'écrit. La transmission se fait chez nous d'abord par la parole. Et on sait combien il est important de la tenir… Être citoyen, c'est ça aussi.

K. Z. : J'ai le sentiment que notre modèle républicain n'est pas mis en application, qu'il est grippé. Il faut le dégripper. Il faut qu'on soit pragmatique à travers le modèle républicain : c'est le sens de mon combat et de mon engagement dans la vie associative. Je veux que l'on fasse vivre notre modèle républicain et laïque. Si on ne le fait pas, il va y avoir d'autres modèles qui vont se mettre en place, et peut-être que là, le danger nous guette : communautarisme, repli, radicalisation. Moi, je ne veux pas de ça. Mon pays, c'est la République.

Sens par la Compagnie des Comptoirs Paris
23 rue de Ponthieu
75008 Paris
Tél. : 01 42 25 95 00

Repères
Ancien footballeur, Karim Zeribi est le président-fondateur de l'association Agir pour la citoyenneté et d'APC Recrutement. En 1999, il intègre le ministère de l'Intérieur en tant que conseiller du ministre chargé des questions d'accès à la citoyenneté. Il passera 2 ans au sein de la Direction générale de la police nationale où il a favorisé une politique de recrutement
à l'image de la population.

Karim Zeribi occupe aujourd'hui un poste de cadre à la SNCF. Il vient d'être nommé conseiller auprès du président Louis Gallois pour l'égalité des chances.

Article précédent - Article suivant


Vos questions et vos remarques : Rejoignez le Forum des Blogs des Experts

Rechercher un article

L'Hôtellerie Restauration n° 2964 Hebdo 16 février 2006 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

L'Application du journal L'Hôtellerie Restauration
Articles les plus lus...
 1.
 2.
 3.
 4.
 5.
Le journal L'Hôtellerie Restauration

Le magazine L'Hôtellerie Restauration