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du 16 février 2006
VIE PROFESSIONNELLE

APRÈS L'IRLANDE, L'ITALIE

LA DOLCE VITA SANS TABAC

Rome L'Italie crie haro sur le tabac. Emmenée à Rome par Yves Bur, une délégation parlementaire a tiré les leçons de l'interdiction totale de fumer en Italie. Pour les CHR directement concernés, un premier bilan positif vient d'être établi : maintien relatif des chiffres d'affaires, satisfaction du personnel et des clients. Reste à voir si l'exemple italien est transposable de l'autre côté des Alpes.


Yves Bur au bar Big Apple : la signalétique Vietato fumare est visible dans tous les CHR. Sur 5 600 inspections réalisées en 2005, seules 276 infractions à la loi ont été constatées, et une majorité d'entre elles concernait la visibilité des panneaux d'interdiction.

Autour de la Piazza Navona, impossible de trouver un restaurant ou un bar fumeur. Même topo près de Campo Formio où il semblerait que la cigarette ait disparu de la circulation. Au détour d'une ruelle, on croise soudain une tablée enfumée : les clients dînent dehors sous un parasol chauffant. À l'abord des bars et discothèques, des grappes de fumeurs stationnent à la porte : plus personne ne fume à l'intérieur. Partout à Rome et dans le reste de la péninsule, le Vietato fumare règne sans partage. L'interdiction de fumer est totale dans tous les lieux publics, CHR compris. Pour le plus grand bonheur de l'opinion : selon les derniers sondages, 90 % des Italiens en seraient satisfaits et refuseraient son abrogation. Un exemple surprenant dont Yves Bur fait ses choux gras. Le député alsacien vient de recueillir 80 signatures auprès de ses collègues de l'Assemblée nationale en faveur de son projet de loi déposé le 2 novembre 2005. Et peut compter sur le soutien de Robert del Picchia qui vient de soumettre un texte similaire au Sénat. L'étau se resserre autour du tabac dont la disparition des lieux publics français semble, à terme, inévitable. Arrêter de fumer entre dans les moeurs européennes : la protection des non-fumeurs et des salariés est une obligation de santé publique.


En haut, de gauche à droite : le député UMP de la Marne, Francis Falala, le sénateur Robert del Picchia, et le député UMP Luca. En bas : Girolamo Sirchia et Yves Bur.

L'étau se resserre autour du tabac
En Italie, le combat contre le tabagisme passif a été mené entre 2003 et 2005 par le professeur Girolamo Sirchia, à l'époque ministre de la Santé. Un constat de départ motive ce choix draconien : les sondages indiquent alors que 75 % des Italiens sont favorables à une interdiction totale de fumer, et la loi de 1975 fonctionne mal. Suit une campagne massive d'information pendant 2 ans conclue par une courte tempête de protestations. "On m'a traité de taliban, j'ai reçu des menaces, confie l'ancien ministre. Mais j'ai tenu bon. Depuis, on en récolte les fruits : la consommation de cigarettes a baissé de 6 %." Pour la mise en place, il n'y a pas eu d'aides financières aux entreprises mais une collaboration technique. Côté application, la loi prévoit de fortes amendes : jusqu'à 275 E pour le client fumeur, entre 220 et 2 200 E pour le patron qui ferme les yeux. Des sanctions qui restent marginales au vu de l'adhésion unanime à cette loi dont le succès a bluffé les Italiens eux-mêmes. Guiseppe Dell'Aquila, membre du syndicat hôtelier Confcommercio, le confirme : "Au départ, nous étions perplexes : cette loi rigide obligeait les CHR à rendre leur salle fumeur parfaitement hermétique et à y installer des systèmes d'aération coûtant entre 8 000 et 20 000 E. Un investissement trop lourd pour beaucoup : 2 % seulement de nos adhérents ont fait cet effort. Le problème qui se pose vraiment se situe au niveau des nuisances sonores pour les bars et les discothèques. Sinon, les débitants de tabac ont compensé les pertes liées à la baisse des ventes de cigarettes par la diversification de leurs activités. Quant à l'évolution des chiffres d'affaires, elle est globalement positive : seulement 13 % des CHR déclarent connaître une baisse significative de leurs revenus." Pour Fabrizio Ambrosi, patron du bar Big Apple, la mesure est excellente : "Fumeur passif depuis 17 ans, je réalise à quel point cette loi est fondamentale pour ma santé. Son atout : le climat italien qui permet 9 mois de l'année de fumer dehors. Point de vue fréquentation, on ne perd plus nos clients fumeurs, mais on a noté tout de même une baisse de 20-25 % du CA."


Les fumeurs se sont résolus à s'installer en terrasse, même l'hiver. La douceur du climat italien a l'avantage de permettre d'utiliser les terrasses 9 mois par an.

L'exemple est édifiant, les représentants de l'Umih le reconnaissent volontiers. "La démarche italienne est intéressante : au lieu d'interdire sans raison, le gouvernement a mis en avant la nécessité de protéger les non-fumeurs.
Une loi française pourrait fonctionner si elle n'interdisait pas, explique Jean-Marc Le Carour, président de l'Umih Bretagne. Cependant, je reste sceptique pour ma région où les comportements tabac-alcool sont liés : nos établissements sont des refuges pour une large clientèle de solitaires qu'on exclurait de notre société si cette loi passait. De plus, elle impliquerait une discrimination entre petits et grands établissements : comment argumenter auprès de tous nos adhérents alors qu'il existe autant de disparités entre eux ?" Pour Bernard Quartier, président national des cafés de l'Umih, la crainte est liée au changement de clientèle que pourrait générer cette loi en France : "Nous sommes pris entre deux feux car nous avons beaucoup de buralistes parmi nos adhérents. J'admets cependant que la loi Evin est mal appliquée et qu'il faut y remédier."
La désapprobation patentée des professionnels des CHR n'effraie plus Yves Bur : "On nous a affirmé que l'exemple irlandais n'était pas transposable en France. Or, en Italie, qui est plus proche de nous, ça s'est fait naturellement. Je suis convaincu qu'on peut faire aussi bien que les Italiens. Ils sont attachés à leur convivialité, et nous constatons que la loi antitabac n'affecte pas cette valeur. Évidemment, en France, la profession se trouve dans certaines difficultés, il faudra mettre en place des dispositifs d'accompagnement : un débat avec les professionnels des CHR doit avoir lieu, car la prochaine étape qui attend les employeurs, ce sont des poursuites, des dommages-intérêts pour atteinte à la santé."
En attendant, il reste à convaincre le gouvernement du bien-fondé de ce projet de loi. Ce qui n'est pas encore fait.
Gaëlle Girard zzz32


De gauche à droite : Bernard Quartier (président national des cafés de l'Umih), Yves Bur, Jean-Marc Le Carour (Umih Bretagne) et Didier Jayle (MILDT).

3 QUESTIONS À...

Hubert Valois, chef et patron du Bistrot d'Hubert à Rome

L'Hôtellerie Restauration : Quel bilan tirez-vous de l'application de la loi antitabac en vigueur depuis un an ?
Hubert Valois : Je tiens depuis 2004 un établissement de 30 couverts : vu sa taille, j'ai été contraint de déclarer mon restaurant entièrement non-fumeur sans avoir la possibilité de m'équiper d'un système de ventilation aux normes, car de très importantes restrictions pesaient sur les conditions d'installation de cet équipement. Moi-même fumeur, comme mes 2 serveuses, je suis dans l'obligation de fumer dehors, alors que je suis chez moi ! Mais cette loi est un bien pour notre métier. Elle ne m'a pas fait perdre de clientèle, au contraire. Quant à son application, je n'ai pas eu souvent à faire la police : mes clients ont respecté l'interdiction sans broncher.

Que pensez-vous des conditions de mise en place et d'application de cette loi ?
Ce n'est pas le contenu de la loi qui me chagrine, mais j'aurais préféré avoir le choix. J'aurais souhaité une loi dans l'esprit de celle votée en Espagne, qui laisse la possibilité aux établissements de moins de 100 m2 de se déclarer fumeurs s'ils le désirent. Il faut laisser la liberté aux patrons de décider ce qui est bon pour eux en fonction de l'activité qu'ils exercent.

Une loi similaire en France fonctionnerait-elle ?
Je ne le pense pas et ne le souhaite à personne ! Je suis d'accord avec le constat d'échec de l'application de la loi Evin : dans trop d'établissements, la séparation entre salle fumeur et non-fumeur est illusoire, ce qui est regrettable. Malheureusement, les Français ne se respectent pas assez, d'où la nécessité de promulguer des lois rigides. C'est dommage de vouloir passer d'un extrême à l'autre.

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L'Hôtellerie Restauration n° 2964 Hebdo 16 février 2006 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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