du 28 septembre 2006 |
JURIDIQUE |
DU CÔTÉ DES PRUD'HOMMES
Tolérance zéro pour les propos injurieux
À l'occasion du coup de feu, le rythme intense imposé par le service à la clientèle peut déstabiliser certains salariés. Stressés, fatigués, il leur arrive parfois de 'déraper' verbalement et de proférer à l'endroit insultes et autres propos injurieux. Doivent-ils être sanctionnés ? Les conditions difficiles d'emploi doivent-elles pardonner de tels propos ? La cour d'appel de Paris vient de trancher et préconise la tolérance zéro.
La
brasserie en cause étale sa belle terrasse le long de l'une des plus réputées
des places de Paris. Là, 50 collaborateurs s'activent quotidiennement afin
d'offrir à la clientèle une cuisine et un service irréprochables.
L'un de ces collaborateurs, maître d'hôtel, est entré dans cette
brasserie il y a près de 20 ans. Il y a fait ses classes, montant progressivement
tous les échelons de la hiérarchie jusqu'à occuper un des 4 postes
de maître d'hôtel.
Un dimanche soir, quelques jours avant les fêtes
de Noël, ce salarié s'emporte. Il tient à l'égard de 2 employés
de l'établissement - un commis puis une hôtesse - des propos racistes.
Au commis, qui l'assiste dans le service, il demande "de retourner dans sa cage"
avant qu'il n'ait "à le renvoyer dans son cocotier". Quant à
l'hôtesse, qui lui proposait également de l'aide, il lui répond
: "Ne touche rien, retourne à ta porte."
Ces propos entendus par des clients
entraînent leur intervention. Ils écrivent à la direction pour
se plaindre de l'atmosphère raciste qui règne dans la brasserie. Le salarié
est immédiatement convoqué à un entretien préalable de licenciement.
Quelques jours après, il est licencié
pour faute grave, sans indemnités ni préavis. Ce salarié saisit le
conseil de prud'hommes de Paris d'une demande en contestation de son licenciement.
Il demande que lui soit payé son
préavis (2 mois), une indemnité de licenciement, ainsi que de lourds dommages-intérêts
qu'il estime à 2 ans de salaire.
Les arguments du salarié
Le maître d'hôtel
conteste vivement les propos injurieux qui lui sont reprochés.
Il fait tout d'abord remarquer
qu'il n'a eu aucun avertissement, aucun blâme pendant ses 20 années de
service à la brasserie. Il n'a jamais montré le moindre signe de racisme
ni fait preuve d'une quelconque agressivité à l'encontre de ses collègues
de travail, de ses subordonnés ou de sa direction. D'ailleurs, il produit nombre
de témoignages attestant de sa grande conscience professionnelle.
Le salarié s'applique ensuite
à expliquer ce comportement que sa direction a, selon lui, maladroitement
considéré comme injurieux et raciste. Pour lui, il n'y a rien d'insultant
ou de raciste dans les propos qu'il a pu tenir. Il s'agissait en fait d'une plaisanterie,
et plus précisément, de répliques de théâtre tirées
de La Cage aux folles, cette pièce de théâtre dont il apprécie
la drôlerie.
D'ailleurs, les salariés auxquels
ces propos s'adressaient ont ri et n'ont manifesté aucun malaise.
Enfin - et comme pour tenter d'excuser
ces paroles -, le salarié ajoute qu'en tout état de cause, il était
débordé par un service particulièrement important ce soir-là,
service qu'il devait assumer avec un seul autre maître d'hôtel et 3
chefs de rang.
Le salarié conclut, en demandant
au conseil de prud'hommes, de faire effectivement preuve de sévérité,
mais pas à son égard : à l'égard de la société
qui l'a licencié sans indemnité ni préavis en dépit de ces 20
longues années de service.
Les arguments de la société
La société réplique.
Elle veut d'abord rappeler de façon très précise quelle fut l'attitude
inadmissible du salarié ce fameux soir. Elle produit à titre de preuve
plusieurs documents :
Une feuille de liaison
établie par le directeur d'exploitation faisant état le jour même
des incidents en cause.
Le témoignage de 3 salariés étant présents au moment des faits.
La lettre de mécontentement d'un client
manifestement outré par les propos racistes du salarié, ainsi que le courrier
qu'elle s'est empressée d'adresser à ce client afin de lui présenter
ses excuses.
La société produit également
2 rapports disciplinaires relativement récents dénotant déjà
au préalable une attitude inacceptable du salarié envers des clients.
Puis, la brasserie explique, par la
voie de son conseil, que les propos tenus par le salarié sont manifestement
contraires à l'article L. 122-45 du Code du travail, interdisant tous propos
discriminatoires dans l'entreprise.
De plus, ils ont été formulés
devant la clientèle. Dès lors, ils étaient inadmissibles. Et le plus
important : que les effectifs de la société étaient ce jour-là
en mesure (ou non) de répondre au service à la clientèle.
La société demande au conseil
de prud'hommes de Paris de débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes.
Le jugement du conseil de
prud'hommes de Paris
Après en avoir
délibéré, le conseil de prud'hommes de Paris décide de condamner la société pour
licenciement abusif.
Elle considère en effet
que "si les propos tenus sont effectivement très regrettables, il méritait
une sanction, mais ne relève pas, en l'absence d'intention raciste sous-jacente,
d'une faute grave ni même, non plus, en l'absence de tout antécédent
sanctionné, d'une cause réelle et sérieuse de licenciement".
Le conseil de prud'hommes décide donc de faire preuve de clémence à
l'égard du salarié au regard de son ancienneté. Elle décide
également de lui accorder le bénéfice du doute quant à un
éventuel relent raciste devant être attribué à ses propos.
L'appel de la brasserie
Outrée par cette décision,
la défense de la brasserie décide d'interjeter appel de ce jugement. L'affaire
est donc portée devant la cour d'appel de Paris. À cette occasion, l'affaire
est à nouveau plaidée entièrement.
Et le résultat tombe :
La cour d'appel de Paris décide
pour sa part d'infirmer totalement le jugement, et même de condamner le salarié
à indemniser la société de ces frais de procédure.
La cour d'appel considère
en effet qu'en dépit "de son ancienneté dans l'entreprise, le comportement
intolérable ainsi adopté par le salarié au cours du service du 21
décembre au soir, que l'affluence ne saurait excuser, constitue une violation
des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail
d'une importance telle qu'elle rendait impossible la présence du salarié
durant la durée de son préavis".
La tolérance zéro, c'est
ce que semble dire la cour d'appel de Paris au salarié. Quelle que soit son
ancienneté et quelles que soient les circonstances du travail, il ne peut pas
être admis que soient proférés des propos injurieux ou racistes.
Il appartient à la direction
de l'entreprise de prendre toute mesure en sanctionnant d'un licenciement le salarié
fautif.
Voila un arrêt qui mérite
d'être médité, après les gestes d'une rare violence aperçu
sur le petit écran il y a quelques mois.
Franck
Trouet (Synhorcat)
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