du 9 novembre2006 |
VIE PROFESSIONNELLE |
RENDEZ-VOUS AU 12 RUE DE RPESBOURG À PARIS
ENTRETIEN CROISÉ ENTRE ANDRÉ DAGUIN ET TONY GOMEZ, LE GENTLEMAN DE LA NUIT
Le monde de la nuit, une économie essentielle au secteur du tourisme ! Cette affirmation, André Daguin, président de l'Umih, et Tony Gomez, patron de L'Étoile, haut lieu de la vie nocturne parisienne, en sont convaincus.
Propos recueillis par Sylvie Soubes
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Tony Gomez : La nuit a énormément évolué. Avant, c'était une nuit marginale ; maintenant, c'est une nuit commerciale. C'est un véritable secteur d'activité, indispensable à la société. Les gens consomment la nuit. Ceux qui travaillent n'ont pas le temps de consommer comme ils le voudraient. Regardez cette nécessité d'ouvrir le dimanche. En fait, la nuit s'est banalisée, et en prenant ce terme, je la défends. Aujourd'hui, tout le monde va dans les restaurants le soir, quel que soit l'âge.
André Daguin : La nuit, ce n'est pas là qu'il fait noir. Dans le rapport qui vient d'être adopté par le Conseil économique et social, on voit que le monde de la nuit est essentiel à l'activité économique du pays. Il n'y a pas de tourisme qui tienne sans la nuit.
T. G. : La nuit est aussi un thermomètre. On prend la température du futur. Les problèmes des jeunes, on les connaît depuis longtemps. Malheureusement, nos pouvoirs publics ne courent pas assez vite derrière les problèmes de société… Les concierges d'hôtels dans les capitales considèrent que la nuit est le moteur de l'activité. C'est le kilomètre 0 de la clientèle haut de gamme. S'il n'y a pas de vie nocturne, il n'y a pas de jet-set. Quelque part d'ailleurs, les étrangers boudent Paris qui a été mis - on peut le dire - sous un bonnet de nuit. Alors que des villes comme Londres, Moscou ou Dubaï bougent énormément.
A. D. : Au siècle dernier, Paris était célèbre parce qu'on y vivait la nuit. Il s'agirait maintenant de rattraper Londres…
T. G. : Quand vous vous promenez dans Londres, vous sentez l'optimisme. Les gens y croient. Ils travaillent en disant qu'ils vont s'en sortir. En France, le travail n'est plus la façon de s'en sortir. On a l'impression que c'est l'assistanat et l'utilisation du système qui mène le jeu. Or, les gens ne s'en sortent pas. Et du coup, ils ne sortent pas. Il y a une morosité palpable.
A. D. : Tu n'as pas l'impression que l'Angleterre a gardé cet orgueil que nous avons perdu ? La vanité est un défaut. L'orgueil est une qualité.
T. G. : Les Anglais se sont remis en question. Quand on voit l'Angleterre d'il y a 15 ans et l'Angleterre de maintenant, ce n'est plus du tout la même. Le souci, en France, c'est qu'on refuse de se remettre en question, on refuse les évidences, on reste avec de vieux tabous. La vision que peuvent avoir les pouvoirs publics de la nuit est encore une idée sulfureuse. Comme si c'était tenu par une pègre… La nuit, c'est devenu tellement de travail que seuls des gens professionnels, seuls des gens très travailleurs peuvent s'en sortir. Si vous n'êtes pas un vrai pro, la nuit, vous n'avez aucune chance. C'est terminé l'époque où, d'un tour de clé, on ouvrait la porte et où la clientèle accourait. Aujourd'hui, la clientèle est exigeante en tout. Elle veut l'accueil, la qualité, le décor, la musique, le confort. Elle souhaite qu'on s'occupe d'elle du début à la fin.
A. D. : Le chemin est trop long en France.
T. G. : Chez nous, 1 repas sur 7 est pris au restaurant contre 1 repas sur 3 en Angleterre.
A. D. : Les métiers de service sont mieux considérés là-bas.
T. G. : Prenons le voiturier : c'est devenu une profession mal-aimée. On a l'impression qu'il gagne sa vie sur le dos du domaine public. Alors qu'il sécurise et gère les voitures. La nuit développe de nouveaux métiers, et on est à l'origine d'une nouvelle économie qui doit être reconnue.
A. D. : Il n'est pas normal qu'une activité économique comme celle-là soit suspendue à une dérogation, à une tolérance. Si un exploitant investit, il faut quand même qu'il sache ce qu'il va devenir dans 5 ou 6 ans. Comment voulez-vous que les banquiers prêtent à quelqu'un dont l'activité est suspendue au bon vouloir des pouvoirs publics ? À ce stade, on va finir par jeter tous les créatifs de la nuit à la poubelle.
T. G. : La nuit est l'un des seuls moyens de rencontres pour les gens. Ce n'est pas évident de se rencontrer sur son lieu de travail. On lance les 'after work'. L'idée, c'est d'aller à la sortie du bureau dans des lieux où l'on est susceptible de rencontrer des personnes qui ont une même activité ou des territoires en commun. On fait les after work de la banque ou de la coiffure. On se rend compte que pour qu'un couple fonctionne, il faut des choses en commun. Les tendances de la nuit restent dominées par le phénomène de rencontre, que ce soit en vue d'un mariage ou dans le cadre professionnel. À L'Étoile, une des grandes thématiques, c'est le showbiz.
A. D. : La nuit gomme également les classes sociales et permet de faire tomber certaines barrières.
T. G. : Les jeunes, il faut leur faire aimer le travail. Avant, avec l'apprentissage, on les y amenait progressivement. Maintenant, ils sont scolarisés jusqu'à 20-22 ans, et d'un seul coup, boum, ils sont confrontés à la réalité de la vie. Moi, quand j'avais 18 ans, j'étais dans les starting-blocks. J'aurais été incapable de continuer. Il fallait que je m'y mette. J'ai ouvert ma première discothèque tout de suite. C'est vrai que tout est devenu plus complexe. Il est très dur, par exemple, pour un jeune de se loger correctement. Je suis obligé de me porter caution. Un gamin de 20 ans qui entre dans la vie active, il va mettre un certain temps à capitaliser les 3 mois de garanties et le mois pour l'agence… C'est insensé que le système soit fermé d'entrée. Moi, je les encourage à accéder à la propriété.
A. D. : Il faut absolument que nous, professionnels, quand nous le pouvons, nous allions dans ce sens. Si l'on veut les faire venir et les garder dans notre secteur.
T. G. : Si les pouvoirs publics veulent aider les jeunes, il faut les aider à s'assumer. On ne prête qu'aux riches et c'est scandaleux. Les loyers sont beaucoup trop chers. En France, il faut une mobilité géographique si l'on veut résoudre le problème du chômage. Or, tout est tellement compliqué chez nous… Il faut être dingue pour travailler à Paris. Je bataille pour que les transports en commun fonctionnent 24 heures sur 24. Il y a beaucoup de gens qui travaillent la nuit - je pense au secteur hospitalier - qui ne sont pas pris en compte. Jean-Paul Huchon, le président de Région, se bat pour ça. Un gamin des cités qui a envie de s'amuser, comment fait-il ? Tous les gamins des banlieues sont des cendrillons en puissance. Le métro devient citrouille. Soit il rentre pour minuit, soit il passe la nuit dehors. Je trouve étrange d'ailleurs qu'on ne fasse pas de vrais lieux de vie dans les cités…
A. D. : Toutes les statistiques le prouvent. Dans les quartiers où il y a un bistrot, ça se passe toujours mieux que dans les quartiers sans lieu de vie… Malheureusement, l'interdiction de fumer dans les lieux publics va toucher les petits bistrots. Or, 90 % des victimes du tabagisme le sont à leur domicile. C'est une mesure autoritaire, qui passe à côté…
T. G. : Je me mets à la place d'une discothèque qui fait 300 personnes. Si demain il y a 50 personnes qui fument en permanence dans la rue, cela va dégénérer. Cela va créer des attroupements dehors avec tout ce que cela comporte. Au-delà du bruit, cette pratique va entraîner des problèmes sans doute plus importants que ce qu'on avait prévu. zzz74v
Repères Tony Gomez a commencé dans l'univers de la nuit il y a 31 ans à Orléans (45). Il avait tout juste 18 ans. Il est aujourd'hui le patron de L'Étoile, à Paris. Un des hauts lieux de la vie nocturne de la capitale, devenu également un restaurant très apprécié d'une clientèle haut de gamme, midi et soir. Retrouvez Tony Gomez sur son blog
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L'Hôtellerie Restauration n° 3002 Hebdo 9 novembre 2006 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE