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du 18 janvier 2007
JURIDIQUE

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
7 décembre 2006 (*)

«Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information – Directive 2001/29/CE – Article 3 – Notion de communication au public – Oeuvres communiquées au moyen d’appareils de télévision installés dans des chambres d’hôtel»

Dans l’affaire C-306/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’Audiencia Provincial de Barcelona (Espagne), par décision du 7 juin 2005, parvenue à la Cour le 3 août 2005, dans la procédure

Sociedad General de Autores y Editores de España (SGAE)

contre

Rafael Hoteles SA,

LA COUR (troisième chambre), composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. A. Borg Barthet, J. Malenovský (rapporteur), U. Lõhmus et A. Ó Caoimh, juges, avocat général: Mme E. Sharpston, greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal, vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 mai 2006, considérant les observations présentées:
– pour la Sociedad General de Autores y Editores de España (SGAE), par Mes R. Gimeno-Bayón Cobos et P. Hernández Arroyo, abogados,
– pour Rafael Hoteles SA, par Me R. Tornero Moreno, abogado,
– pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et J.‑C. Niollet, en qualité d’agents,
– pour l’Irlande, par M. D. J. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. N. Travers, BL,
– pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement polonais, par M. K. Murawski, Mme U. Rutkowska et M. P. Derwicz, en qualité d’agents,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. J. R. Vidal Puig et W. Wils, en qualité d’agents, ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 juillet 2006, rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Sociedad General de Autores y Editores de España (SGAE) à Rafael Hoteles SA (ci-après la «société Rafael»), au sujet de la prétendue violation, par cette dernière, des droits de propriété intellectuelle gérés par la SGAE.

Le cadre juridique

Le droit international applicable

3 L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, figurant à l’annexe 1 C de l’accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, a été approuvé au nom de la Communauté européenne par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1).

4 L’article 9, paragraphe 1, de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce dispose :
«Les Membres se conformeront aux articles premier à 21 de la Convention de Berne (1971) et à l’Annexe de ladite Convention. Toutefois, les Membres n’auront pas de droits ni d’obligations au titre du présent accord en ce qui concerne les droits conférés par l’article 6bis de ladite Convention ou les droits qui en sont dérivés.»

5 Aux termes de l’article 11 de la convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques (acte de Paris du 24 juillet 1971), dans sa version résultant de la modification du 28 septembre 1979 (ci‑après la «convention de Berne») :
«1. Les auteurs d’oeuvres dramatiques, dramatico–musicales et musicales jouissent du droit exclusif d’autoriser:
i) la représentation et l’exécution publiques de leurs oeuvres, y compris la représentation et l’exécution publiques par tous moyens ou procédés;
ii) la transmission publique par tous moyens de la représentation et de l’exécution de leurs oeuvres.
2. Les mêmes droits sont accordés aux auteurs d’oeuvres dramatiques ou dramatico–musicales pendant toute la durée de leurs droits sur l’oeuvre originale, en ce qui concerne la traduction de leurs oeuvres.»

6 L’article 11 bis, premier alinéa, de la convention de Berne dispose :
«Les auteurs d’oeuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser:
i) la radiodiffusion de leurs oeuvres ou la communication publique de ces oeuvres par tout autre moyen servant à diffuser sans fil les signes, les sons ou les images;
ii) toute communication publique, soit par fil, soit sans fil, de l’oeuvre radiodiffusée, lorsque cette communication est faite par un autre organisme que celui d’origine;
iii) la communication publique, par haut–parleur ou par tout autre instrument analogue transmetteur de signes, de sons ou d’images, de l’oeuvre radiodiffusée.»

7 L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a adopté à Genève, le 20 décembre 1996, le traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes ainsi que le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur. Ces deux traités ont été approuvés au nom de la Communauté par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000 (JO L 89, p. 6).

8 L’article 8 du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur dispose :
«Sans préjudice des dispositions des articles 11.1)2°), 11bis.1)1°) et 2°), 11ter.1)2°), 14.1)2°) et 14bis.1) de la convention de Berne, les auteurs d’oeuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser toute communication au public de leurs oeuvres par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs oeuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit de manière individualisée.»

9 Des déclarations communes concernant le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur ont été adoptées par la conférence diplomatique le 20 décembre 1996.

10 La déclaration commune concernant l’article 8 dudit traité est libellée comme suit :
«Il est entendu que la simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas une communication au public au sens du présent traité ou de la convention de Berne. Il est entendu en outre que rien, dans l’article 8, n’interdit à une partie contractante d’appliquer l’article 11bis.2).»

La réglementation communautaire

11 Aux termes du neuvième considérant de la directive 2001/29 :
«Toute harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l’intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.»

12 Le dixième considérant de cette directive est libellé comme suit: 
«Les auteurs ou les interprètes ou exécutants, pour pouvoir poursuivre leur travail créatif et artistique, doivent obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs oeuvres, de même que les producteurs pour pouvoir financer ce travail. L’investissement nécessaire pour créer des produits, tels que des phonogrammes, des films ou des produits multimédias, et des services tels que les services à la demande, est considérable. Une protection juridique appropriée des droits de propriété intellectuelle est nécessaire pour garantir une telle rémunération et permettre un rendement satisfaisant de l’investissement.»

13 Le quinzième considérant de cette même directive énonce :
«La Conférence diplomatique qui s’est tenue en décembre 1996, sous les auspices de l’[OMPI], a abouti à l’adoption de deux nouveaux traités, à savoir le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et le traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, qui portent respectivement sur la protection des auteurs et sur celle des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs de phonogrammes. Ces traités constituent une mise à jour importante de la protection internationale du droit d’auteur et des droits voisins, notamment en ce qui concerne ce que l’on appelle ‘l’agenda numérique’, et améliorent les moyens de lutte contre la piraterie à l’échelle planétaire. La Communauté et une majorité d’États membres ont déjà signé lesdits traités et les procédures de ratification sont en cours dans la Communauté et les États membres. La présente directive vise aussi à mettre en oeuvre certaines de ces nouvelles obligations internationales.»

14 Aux termes du vingt-troisième considérant de ladite directive:
«La présente directive doit harmoniser davantage le droit d’auteur de communication au public. Ce droit doit s’entendre au sens large, comme couvrant toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication. Ce droit couvre toute transmission ou retransmission, de cette nature, d’une oeuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion. Il ne couvre aucun autre acte.»

15 Le vingt-septième considérant de la directive 2001/29 énonce:
«La simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au sens de la présente directive.»

16 L’article 3 de cette directive dispose:
«1. Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs oeuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs oeuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.
2. Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement:
a) pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions;
b) pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes;
c) pour les producteurs des premières fixations de films, de l’original et de copies de leurs films;
d) pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite.
3. Les droits visés aux paragraphes 1 et 2 ne sont pas épuisés par un acte de communication au public, ou de mise à la disposition du public, au sens du présent article.»

La réglementation nationale

17 Le texte codifié de la loi sur la propriété intellectuelle, qui régularise, précise et harmonise les dispositions légales en vigueur dans ce domaine (ci-après la «LPI»), a été approuvé par le décret royal législatif n° 1/1996, du 12 avril 1996 (BOE n° 97, du 22 avril 1996).

18 L’article 17 de la LPI prévoit :
«L’auteur exerce de façon exclusive les droits d’exploitation de son oeuvre de quelque manière que ce soit, notamment les droits de reproduction, de distribution, de communication publique et de transformation, auxquelles il ne peut être procédé sans son autorisation, sauf dans les cas prévus dans la présente loi.»

19 L’article 20, paragraphe 1, de la LPI énonce :
«On entend par communication publique tout acte par lequel une oeuvre est rendue accessible à une pluralité de personnes, sans distribution préalable d’exemplaires à chacune d’entre elles.
Ne peut être qualifiée de publique la communication qui a lieu dans un endroit strictement privé qui n’est pas intégré ni connecté à un réseau de diffusion.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles

20 La SGAE est l’organisme chargé de la gestion des droits de propriété intellectuelle en Espagne.

21 La SGAE a considéré que l’utilisation des appareils de télévision et de diffusion de musique d’ambiance au sein de l’hôtel dont la société Rafael est propriétaire, au cours de la période comprise entre les mois de juin 2002 et de mars 2003, a donné lieu à des actes de communication au public d’oeuvres appartenant au répertoire qu’elle gère. Estimant que ces actes ont été exécutés en violation des droits de propriété intellectuelle attachés à ces oeuvres, la SGAE a introduit une demande d’indemnité compensatoire contre la société Rafael devant le Juzgado de Primera Instancia n° 28 de Barcelona (tribunal de première instance n° 28 de Barcelone).

22 Par décision du 6 juin 2003, cette juridiction a rejeté partiellement la demande. Elle a en effet considéré que l’utilisation des appareils de télévision dans les chambres de l’hôtel ne donnait pas lieu à des actes de communication au public des oeuvres gérées par la SGAE. Cette juridiction a considéré, en revanche, que la demande de celle-ci était fondée eu égard à l’existence notoire, dans les hôtels, d’espaces communs dotés d’appareils de télévision et agrémentés par la diffusion de musique d’ambiance.

23 La SGAE et la société Rafael ont toutes deux interjeté appel du jugement devant l’Audiencia Provincial de Barcelona, laquelle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’installation, dans les chambres d’un hôtel, d’appareils de télévision au moyen desquels est distribué, par câble, le signal de télévision capté par satellite ou par voie terrestre constitue-t-elle un acte de communication au public sur lequel porte l’harmonisation escomptée des réglementations nationales relatives à la protection des droits d’auteur visée à l’article 3 de la directive [2001/29]?
2) Considérer qu’une chambre d’hôtel est un endroit strictement privé et, de ce fait, que la communication y effectuée au moyen d’appareils de télévision auxquels est distribué le signal capté préalablement par l’hôtel ne constitue pas un acte de communication au public est-il contraire à la protection des droits d’auteur préconisée par la directive [2001/29]?
3) Aux fins de la protection des droits d’auteur à l’égard des actes de communication au public prévue par la directive [2001/29], l’acte de communication réalisé au moyen d’un appareil de télévision installé dans une chambre d’hôtel peut-il être considéré comme un acte de communication publique dans la mesure où le public qui s’y succède a accès à une oeuvre?»

Sur la demande de réouverture de la procédure orale

24 Par lettre parvenue à la Cour le 12 septembre 2006, la société Rafael a, en vertu de l’article 61 du règlement de procédure de la Cour, demandé la réouverture de la procédure orale.

25 Cette demande est motivée par l’incohérence prétendue des conclusions de Mme l’avocat général. La société Rafael fait valoir que la réponse négative à laquelle aboutissent ces conclusions en ce qui concerne la première question implique inévitablement de répondre aussi négativement aux deuxième et troisième questions, alors que Mme l’avocat général invite à répondre à ces dernières par l’affirmative.

26 À cet égard, il y a lieu de rappeler que le statut de la Cour de justice et le règlement de procédure de celle-ci ne prévoient pas la possibilité pour les parties de déposer des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (voir, notamment, arrêt du 30 mars 2006, Emanuel, C‑259/04, Rec. p. I‑3089, point 15).

27 La Cour peut, certes, d’office ou sur proposition de l’avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 61 de son règlement de procédure, si elle estime qu’elle est insuffisamment éclairée ou que l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties (voir, notamment, arrêts du 13 novembre 2003, Schilling et Fleck-Schilling, C‑209/01, Rec. p. I‑13389, point 19, ainsi que du 17 juin 2004, Recheio – Cash & Carry, C‑30/02, Rec. p. I‑6051, point 12).

28 Cependant, la Cour considère qu’elle dispose en l’occurrence de tous les éléments qui lui sont nécessaires pour statuer.

29 Dès lors, il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la procédure orale.

Sur les questions préjudicielles

Observations liminaires

30 Il y a lieu de constater d’emblée que, contrairement à ce que soutient la société Rafael, la situation en cause dans l’affaire au principal ne relève pas de la directive 93/83/CEE du Conseil, du 27 septembre 1993, relative à la coordination de certaines règles du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble (JO L 248, p. 15), mais de la directive 2001/29. En effet, cette dernière s’applique à toutes les communications au public des oeuvres protégées, alors que la directive 93/83 ne prévoit qu’une harmonisation minimale de certains aspects de la protection des droits d’auteur et des droits voisins en cas de communication au public par satellite ou de retransmission par câble d’émissions provenant d’autres États membres. Or, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, à la différence de la directive 2001/29, ces règles d’harmonisation minimale ne fournissent pas d’éléments pour répondre à une question relative à une situation semblable à celle concernée par les présentes questions préjudicielles (voir, en ce sens, arrêt du 3 février 2000, Egeda, C‑293/98, Rec. p. I‑629, points 25 et 26).

31 Ensuite, il convient de rappeler qu’il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit communautaire que du principe d’égalité que les termes d’une disposition de droit communautaire qui, telles celles de la directive 2001/29, ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute la Communauté, une interprétation autonome et uniforme (voir, notamment, arrêts du 9 novembre 2000, Yiadom, C‑357/98, Rec. p. I‑9265, point 26, et du 6 février 2003, SENA, C‑245/00, Rec. p. I‑1251, point 23). Il s’ensuit que le gouvernement autrichien ne peut utilement soutenir qu’il revient aux États membres de donner la définition de la notion de «public» à laquelle fait référence la directive 2001/29 sans la définir.

Sur les première et troisième questions

32 Par ses première et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la distribution d’un signal au moyen d’appareils de télévision aux clients installés dans les chambres d’un établissement hôtelier constitue un acte de communication au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et si l’installation d’appareils de télévision dans les chambres d’un tel établissement constitue, en soi, un acte de cette nature.

33 À cet égard, il convient de relever que ladite directive ne précise pas elle-même ce qu’il faut entendre par «communication au public».

34 Selon une jurisprudence constante, pour l’interprétation d’une disposition de droit communautaire, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, notamment, arrêts du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, Rec. p. I‑6857, point 50, et du 6 juillet 2006, Commission/Portugal, C‑53/05, non encore publié au Recueil, point 20).

35 Par ailleurs, les textes de droit communautaire doivent être interprétés, dans la mesure du possible, à la lumière du droit international, en particulier lorsque de tels textes visent précisément à mettre en oeuvre un accord international conclu par la Communauté (voir, notamment, arrêt du 14 juillet 1998, Bettati, C‑341/95, Rec. p. I‑4355, point 20 et jurisprudence citée).

36 Il ressort du vingt‑troisième considérant de la directive 2001/29 que la notion de communication au public doit être entendue au sens large. Une telle interprétation s’avère par ailleurs indispensable pour atteindre l’objectif principal de ladite directive, lequel, ainsi qu’il résulte de ses neuvième et dixième considérants, est d’instaurer un niveau élevé de protection en faveur, entre autres, des auteurs, permettant à ceux-ci d’obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs oeuvres, notamment à l’occasion d’une communication au public.

37 La Cour a jugé que, dans le cadre de cette notion, le terme «public» vise un nombre indéterminé de téléspectateurs potentiels (arrêts du 2 juin 2005, Mediakabel, C‑89/04, Rec. p. I‑4891, point 30, et du 14 juillet 2005, Lagardère Active Broadcast, C‑192/04, Rec. p. I‑7199, point 31).

38 Dans un contexte tel que celui de l’affaire au principal, une approche globale s’impose, nécessitant, d’une part, de tenir compte non seulement des clients qui sont installés dans les chambres de l’établissement hôtelier, seuls explicitement visés dans les questions préjudicielles, mais également des clients qui sont présents dans tout autre espace dudit établissement et ont à leur portée un appareil de télévision y installé. Il importe, d’autre part, de prendre en considération la circonstance que, habituellement, les clients d’un tel établissement se succèdent rapidement. Il s’agit généralement d’un nombre de personnes assez important, de sorte que celles-ci doivent être considérées comme un public eu égard à l’objectif principal de la directive 2001/29, tel que rappelé au point 36 du présent arrêt.

39 Tenant compte, par ailleurs, des effets cumulatifs qui résultent de la mise à disposition des oeuvres auprès de tels téléspectateurs potentiels, celle-ci peut prendre dans un tel contexte une importance considérable. Il importe peu, par suite, que les seuls destinataires soient les occupants des chambres et que ceux-ci, pris séparément, ne représentent qu’un enjeu économique limité pour l’établissement hôtelier lui-même.

40 Il y a également lieu de relever qu’une communication opérée dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal s’analyse, selon l’article 11 bis, premier alinéa, sous ii), de la convention de Berne, comme une communication faite par un organisme de retransmission différent de l’organisme d’origine. Ainsi, une telle transmission se fait à un public distinct du public visé par l’acte de communication originaire de l’oeuvre, c’est-à-dire à un public nouveau.

41 En effet, comme l’explique le guide de la convention de Berne, document interprétatif élaboré par l’OMPI qui, sans avoir force obligatoire de droit, contribue cependant à l’interprétation de ladite convention, l’auteur, en autorisant la radiodiffusion de son oeuvre, ne prend en considération que les usagers directs, c’est-à-dire les détenteurs d’appareils de réception qui, individuellement ou dans leur sphère privée ou familiale, captent les émissions. Selon ce guide, dès lors que cette captation se fait à l’intention d’un auditoire plus vaste, et parfois à des fins lucratives, une fraction nouvelle du public réceptionnaire est admise à bénéficier de l’écoute ou de la vision de l’oeuvre et la communication de l’émission par haut‑parleur ou instrument analogue n’est plus la simple réception de l’émission elle‑même, mais un acte indépendant par lequel l’oeuvre émise est communiquée à un nouveau public. Ainsi que le précise ledit guide, cette réception publique donne prise au droit exclusif de l’auteur de l’autoriser.

42 Or, la clientèle d’un établissement hôtelier forme un tel public nouveau. En effet, la distribution de l’oeuvre radiodiffusée à cette clientèle au moyen d’appareils de télévision ne constitue pas un simple moyen technique pour garantir ou améliorer la réception de l’émission d’origine dans sa zone de couverture. Au contraire, l’établissement hôtelier est l’organisme qui intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner accès à l’oeuvre protégée à ses clients. En effet, en l’absence de cette intervention, ces clients, tout en se trouvant à l’intérieur de ladite zone, ne pourraient, en principe, jouir de l’oeuvre diffusée.

43 Ensuite, il découle des articles 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et 8 du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur qu’il suffit, pour qu’il y ait communication au public, que l’oeuvre soit mise à la disposition du public de sorte que les personnes qui composent celui‑ci puissent y avoir accès. Dès lors, il n’est pas déterminant à cet égard, contrairement à ce que soutiennent la société Rafael et l’Irlande, que les clients qui n’ont pas mis en marche l’appareil de télévision n’ont pas eu effectivement accès aux oeuvres.

44 Par ailleurs, il ressort des éléments du dossier soumis à la Cour que l’intervention de l’établissement hôtelier donnant accès à l’oeuvre radiodiffusée à ses clients doit être considérée comme une prestation de service supplémentaire accomplie dans le but d’en retirer un certain bénéfice. Il ne saurait, en effet, être sérieusement contesté que l’offre de ce service a une influence sur le standing de l’hôtel et, partant, sur le prix des chambres. Dès lors, même à considérer, ainsi que le fait valoir la Commission des Communautés européennes, que la poursuite d’un but lucratif ne soit pas une condition nécessaire à l’existence d’une communication au public, il est en tout état de cause établi que le caractère lucratif de la communication existe dans des circonstances telles que celles de l’espèce au principal.

45 Quant à la question de savoir si l’installation d’appareils de télévision dans les chambres d’un établissement hôtelier constitue, en soi, un acte de communication au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, il convient de souligner que le libellé du vingt-septième considérant de cette directive énonce, conformément à l’article 8 du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, que «[l]a simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au sens de [ladite] directive».

46 Or, si la simple fourniture d’installations physiques, impliquant, outre l’établissement hôtelier, habituellement des entreprises spécialisées dans la vente ou la location d’appareils de télévision, ne constitue pas, en tant que telle, une communication au sens de la directive 2001/29, il n’en reste pas moins que cette installation peut rendre techniquement possible l’accès du public aux oeuvres radiodiffusées. Dès lors, si, au moyen des appareils de télévision ainsi installés, l’établissement hôtelier distribue le signal à ses clients logés dans les chambres de cet établissement, il s’agit d’une communication au public, sans qu’il importe de savoir quelle est la technique de transmission du signal utilisée.

47 Par conséquent, il y a lieu de répondre aux première et troisième questions que, si la simple fourniture d’installations physiques ne constitue pas, en tant que telle, une communication au sens de la directive 2001/29, la distribution d’un signal au moyen d’appareils de télévision par un établissement hôtelier aux clients installés dans les chambres de cet établissement, quelle que soit la technique de transmission du signal utilisée, constitue un acte de communication au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive.

Sur la deuxième question

48 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le caractère privé des chambres d’un établissement hôtelier s’oppose à ce que la communication d’une oeuvre dans ces lieux au moyen d’appareils de télévision constitue un acte de communication au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

49 À cet égard, l’Irlande fait valoir qu’il y a lieu de distinguer les actes de communication ou de mise à disposition d’oeuvres qui sont effectués dans le contexte privé des chambres d’un établissement hôtelier des mêmes actes qui sont effectués dans des lieux publics au sein de cet établissement. Cette thèse ne saurait cependant être retenue.

50 En effet, il ressort tant du libellé que de l’esprit des articles 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et 8 du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, qui exigent tous deux une autorisation de l’auteur non pour les retransmissions dans un lieu public ou ouvert au public, mais pour les actes de communication par lesquels l’oeuvre est rendue accessible au public, que le critère privé ou public de l’endroit où a lieu la communication est sans incidence.

51 Par ailleurs, selon ces dispositions de la directive 2001/29 et du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, le droit de communication au public comprend la mise à la disposition du public des oeuvres de manière à ce que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. Or, ledit droit de mise à la disposition du public et, partant, de communication au public serait manifestement vidé de sa substance s’il ne portait également sur les communications effectuées dans des lieux privés.

52 À l’appui de la thèse relative au caractère privé des chambres d’un établissement hôtelier, l’Irlande invoque également la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et plus particulièrement l’article 8 de celle-ci, en vertu duquel toute intervention arbitraire ou disproportionnée de la puissance publique dans la sphère d’activité privée est interdite. Cet argument ne saurait cependant davantage être retenu.

53 Il y a lieu de relever, à cet égard, que l’Irlande ne précise pas qui serait, dans un contexte comme celui de la cause au principal, la victime d’une telle intervention arbitraire ou disproportionnée. Or, il est difficilement concevable que l’Irlande vise les clients qui profitent du signal qu’ils reçoivent et sur lesquels ne pèse aucune obligation de rémunération des auteurs. Il ne peut manifestement pas non plus s’agir de l’établissement hôtelier, car, même s’il y a lieu de conclure que cet établissement est tenu de payer ladite rémunération, il ne peut cependant prétendre être victime d’une violation de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où les chambres, une fois mises à la disposition de ses clients, ne peuvent pas être considérées comme relevant de sa sphère privée.

54 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que le caractère privé des chambres d’un établissement hôtelier ne s’oppose pas à ce que la communication d’une oeuvre y opérée au moyen d’appareils de télévision constitue un acte de communication au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

Sur les dépens

55 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:
1) Si la simple fourniture d’installations physiques ne constitue pas, en tant que telle, une communication au sens de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, la distribution d’un signal au moyen d’appareils de télévision par un établissement hôtelier aux clients installés dans les chambres de cet établissement, quelle que soit la technique de transmission du signal utilisée, constitue un acte de communication au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive.
2) Le caractère privé des chambres d’un établissement hôtelier ne s’oppose pas à ce que la communication d’une oeuvre y opérée au moyen d’appareils de télévision constitue un acte de communication au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

Signatures

* Langue de procédure: l’espagnol.


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L'Hôtellerie Restauration n° 3012 Hebdo 18 janvier 2007 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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