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du 12 avril 2007
VIE PROFESSIONNELLE

ILS BATAILLENT POUR LA MODERNISATION DE LA PROFESSION, CHACUN À LEUR MANIÈRE

Entretien croisé entre André Daguin, Gérard Cagna et Gilles Choukroun, fondateur de Générations. C

Président de l'association Générations. C, Gilles Choukroun est le porte-parole d'une nouvelle vague de cuisiniers. Face à lui, André Daguin, président de l'Umih, et Gérard Cagna, qui ont tous deux misé sur le syndicalisme pour faire avancer la profession. Micro libre.
Par Sylvie Soubes avec le service communication de l'Umih


De gauche à droite : Gérard Cagna, Gilles Choukroun et André Daguin se sont rencontrés autour d'un thème qui leur est cher : la modernisation du métier de cuisinier.

Gérard Cagna : Est-ce qu'un chef talentueux de 34 ans, qui est aussi un chef d'entreprise, peut négliger le syndicalisme ?

Gilles Choukroun : Ce n'est pas forcément sous cet angle que je vois les choses. En tant que cuisinier et chef d'entreprise, une de mes grandes préoccupations porte sur les rapports que je peux entretenir avec mes collaborateurs. Au sein de Générations. C nous voulons que nos collaborateurs soient le mieux possible dans nos maisons. Et nous essayons de mettre en place des règles internes qui leur permettent d'être bien dans l'entreprise, sans avoir derrière le problème du syndicalisme. J'ai lancé ce mouvement parce que j'ai vécu des choses qui ne me convenaient pas. Je pense qu'il fallait sortir de cet individualisme qui pousse les chefs à travailler chacun de leur côté, à ne quasiment pas se respecter. Nous avons vécu ça de plein fouet, et nous voulons que ça change. Aujourd'hui, il existe de nouveaux modèles, et je trouve d'ailleurs dommage que la presse ne regarde pas les nouveaux étoilés Michelin sous cet angle par exemple. L'Astrance à Paris, qui vient d'obtenir 3 étoiles, ferme samedi, dimanche et lundi et 1 semaine toutes les 5 semaines. Il fait 22 couverts et offre des salaires des plus corrects. Pascal, en tant que chef d'entreprise, a prouvé que d'autres schémas peuvent exister. Il a apporté un soin énorme et un regard très strict à l'aspect social. Sans forcément avoir pensé syndicat.

André Daguin : Diriger une équipe n'est jamais facile.

Gilles Choukroun : On essaie d'adapter dans nos maisons de vrais rapports avec nos collaborateurs pour qu'ils se sentent bien et vice et versa. Je pense que c'est un souci permanent chez nous. On a des rapports qui sont complètement différents et tout en découle, le travail, les salaires… Si quelqu'un comme Pascal est arrivé à ça, c'est parce qu'il s'en est donné les moyens. Nous devons faire gagner de l'argent à l'entreprise que nous dirigeons. Un cuisinier qui est chef d'entreprise ne peut pas se contenter de se faire plaisir dans les assiettes. Il doit aussi instaurer un partage. Dans mon établissement, il existe un échange avec mon équipe. Quand je mets une carte en place, je demande leur avis. Y compris sur les fournisseurs. Ils viennent régulièrement me voir en me disant, tient on pourrait faire comme ça ou comme ça…

Gérard Cagna : Quand j'ai parlé de syndicalisme, je n'ai pas parlé de défilé et de pancartes. La question que je me pose aujourd'hui, c'est comment remettre le syndicat au centre de l'entreprise ? Parce que pour moi, le syndicalisme fait progresser les choses. Dans votre charte, tout me paraît idyllique… Est-ce que les 80 ou 100 jeunes chefs de Générations. C, dans leur quotidien, réussissent à instaurer cette relation de confiance avec leur jeune plongeur ou directeur ? Est-ce que tous vivent cette relation de confort ? Est-ce naturel pour tous ces jeunes chefs ?

Gilles Choukroun : Ce n'est pas naturel pour tout le monde. Par contre, c'est quelque chose de clairement dit. Et je n'accepterais pas que quelqu'un fasse partie de Générations. C et qu'on entende dire que la manière dont il s'y prend avec ses collaborateurs est à l'opposé de notre philosophie. Maintenant, chacun vit dans son entreprise comme il a envie, et chacun adapte en fonction de ses possibilités. Cette idée de respect des jeunes est fondamentale, et nous n'avons pas envie dans l'association de gens qui n'avancent pas dans ce sens.

André Daguin : Générations. C revendique une éthique.

Gilles Choukroun : La première raison qui m'a poussé, il y a bientôt 3 ans, à créer cette association, était que les chefs se connaissaient uniquement par article ou reportage interposé. Générations. C nous a permis de nous connaître, et nous avons compris qu'il y avait beaucoup à partager. Avoir des valeurs communes et les défendre est important. Derrière tout ça, notre préoccupation principale s'est très vite dessinée autour de la formation. Je ne vois pas comment on pourrait réussir à ce que les jeunes s'intéressent à nouveau à notre profession sans faire bouger notre image dans les écoles et les collèges. Il faut que les parents comprennent que notre secteur est en train de changer. Que c'est redevenu un métier d'échanges, que c'est un métier contemporain, bien dans son époque et que la cuisine est une véritable échelle sociale. Aujourd'hui un gamin qui est commis, qui aime ce qu'il fait, qui prend les choses à coeur ne va pas rester 15 ans à ce poste. Il y a une vraie progression qui se fait. Une belle ascension peut être faite. Tout en sachant que ces gamins, qu'on forme et à qui on donne envie de faire ce métier, on leur donne aussi l'envie demain d'acheter leur boîte. Il y a de plus en plus de cuisiniers qui arrivent à 60 ans, qui ont une belle affaire mais qui ne savent pas quoi en faire. Personnellement, je n'ai pas envie de me retrouver dans ce cas.

Gérard Cagna : La priorité, pour la profession, c'est de séduire les enfants et d'apprivoiser les parents… J'ai assisté à plusieurs étapes de la campagne de promotion Des Métiers Un Avenir. Et lorsque je parlais du secteur dans un taxi ou dans le train, à chaque fois, les gens me disaient que la restauration était un métier dur.

André Daguin : Ce sont les horaires qui marquent les esprits. Pourtant, les taxis font aussi beaucoup d'heures… Pour revenir à Générations. C, vous êtes une centaine et il y a 180 000 entreprises de restauration en France. Il faut absolument trouver le moyen de faire germer le message que vous défendez au sein de ces établissements…

Gilles Choukroun : L'école doit être un vecteur. Je ne suis pas convaincu que la meilleure solution soit de prendre les professionnels de front. En passant par le grand public, je pense qu'on peut, petit à petit, faire comprendre aux enseignants que de nouvelles générations arrivent et que ces générations sont différentes, avec d'autres conceptions du métier. Il faut amener tranquillement le truc.

André Daguin : C'est un peu ce qui se passe. Le coup est en train de partir. Dans le cadre de la campagne Des Métiers Un Avenir, j'ai remarqué cette année que les questions des journalistes ont changé depuis 3 ans…

Gérard Cagna : Passion, engagement, trajectoire, ces mots ne sont pas vains chez nous. Bien sûr, il y a quelques moutons noirs dans notre grande famille, mais ça bouge et ce sont des gens comme vous, Gilles, qui doivent porter le drapeau. Ce ne sont pas les vieux barbares qui le peuvent, même quand on partage votre opinion. C'est vous qui pouvez amener cette coloration… Moi, j'étais chef de partie à 19 ans et chef d'entreprise à 22 ans. L'ascenseur social existait déjà et il existe toujours… Générations. C est un mouvement alternatif, qui répond à un vécu qui devenait pour vous psychologiquement, intellectuellement insupportable. On ne peut pas écrire l'histoire qu'avec des gens qui revêtent l'habit des anciens. Vous êtes nés dans une autre réalité. Les codes sont les mêmes, mais l'habillage doit être tout autre.

André Daguin : Il est important qu'on vous donne la parole. Vous avancez à nos côtés, en représentant quand même un certain élitisme. Je pense qu'il faut tendre d'autres micros que ceux des journalistes. Tu as des choses sérieuses à dire Gilles, et il serait bien que tu viennes avec moi chez Dutreil. Il faut que tu fasses entendre ta voix en direct.

Gilles Choukroun : Il y a une vraie place qui peut se faire et on en revient à notre idée de départ : se rapprocher collectivement, pour mieux se connaître et mieux s'apprendre. Le syndicalisme a une image lourde, dans le mauvais sens du terme. C'est vrai qu'on connaît très mal le syndicat. C'est en essayant d'avancer ensemble ou côte à côte qu'on se comprendra mieux. On a une voix, c'est la nôtre et on a envie de la garder, sans pour autant écraser les autres. Soyons collectifs, si on arrive à créer une toile d'araignée qui sera cohérente, eh bien tant mieux !

André Daguin : J'ai cette conviction que si on n'est pas gros, on n'est pas entendu. Mais être gros, ça ne veut pas dire 'bouffer' tout le monde. Il ne faut pas vouloir tout phagocyter. Ce qu'il faut, ce sont des solutions, des réponses, des chemins qui s'ouvrent. zzz76v zzz74v

Repères
Créé à l'initiative de Gilles Choukroun (Angl'Opéra à Paris), avec David Zuddas (L'Auberge de Charme à Prenois), Générations. C regroupe des chefs ayant pour objectif de "pallier le déficit d'image d'une profession dévalorisée", de "redonner le goût de cuisiner à des jeunes", de "séduire de nouveau les consommateurs gastro-bistro". Entre autres. Rendez-vous sur leur site : www.generations-point-c.com

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L'Hôtellerie Restauration n° 3024 Hebdo 12 avril 2007 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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