du 13 septembre 2007 |
ÉDITO |
Pour quelques mètres de plus…
Le
contribuable est souvent enclin à réfléchir - c'est son droit le
plus absolu - à l'utilisation qui est faite de son argent par la puissance
publique. Il peut parfois contester les choix de ceux qui ont été
élus pour gouverner (ce sont les mêmes qui votent chaque année le
montant des impôts à prélever), voire déplorer des gaspillages
flagrants, dont on nous assure toujours qu'ils sont tout à fait exceptionnels.
Voire… Mais le citoyen soucieux du bon usage des deniers publics peut parfois
s'interroger sur certaines pratiques qui se situent entre Kafka et Ubu.
Dans le délicieux village de La Motte, département
du Var, l'unique bar-tabac, qui porte le doux nom de Bar des Cascades, accueillait
depuis des années une clientèle fidèle, jusqu'au jour où, miracle
de l'efficacité technocratique, l'administration des douanes (on doit s'ennuyer
un peu, aux douanes varoises) constate avec horreur que le Bar des Cascades se
trouve à 38 mètres de l'église, soit 2 mètres en dessous
de la limite autorisée par un arrêté préfectoral de 1978 qui
fixe à 40 mètres la distance minimale entre un lieu de culte et un débit
de boissons. Une telle atteinte à la loi ne pouvant rester impunie, le
dossier est transmis immédiatement au parquet, qui instruit l'affaire (la justice
varoise doit également avoir quelques loisirs) sans faiblir. Et l'affaire prend
une ampleur inattendue, du moins au pays de Descartes où le bon sens est
encore censé l'emporter sur toute autre considération.
Comme vous lirez dans ce numéro de L'Hôtellerie
Restauration les péripéties
de ce roman digne de Don Camillo, voici l'état de la situation à
ce jour : relaxé par le tribunal correctionnel de Draguignan, - car il
s'agit bien évidemment d'une affaire pénale, comme le trafic de drogue,
le racket, le proxénétisme, la conduite en état d'ivresse et autres
délits aussi graves -, le patron du Bar des Cascades n'est pas au bout
de ses peines. Le parquet fait appel devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence qui
ordonne la fermeture de l'établissement. Car 2 mètres, c'est 2 mètres
qui font la différence entre "le respect de la dignité d'un établissement
de culte", comme le précise le Code des débits de boissons, et l'incitation
coupable à l'alcoolisme débridé après la messe dominicale.
Au-delà du pittoresque du contentieux, il faut savoir que
le président du tribunal correctionnel de Draguignan, conscient de l'absurdité
de la situation avait affirmé à l'audience avoir mesuré personnellement
la distance entre les deux bâtiments et constaté "exactement 40 mètres
et 3 millimètres" ! Mais la justice a su se montrer inflexible.
À La Motte, dont le maire fut naguère bâtonnier, on reste dubitatif.
D'autant qu'il paraît qu'il faut mesurer la distance non pas à vol
d'oiseau, mais selon le 'cheminement piétonnier', ce qui change tout, bien
sûr. Même éméché, un fidèle assoiffé doit parcourir
par voie de surface 82 mètres pour joindre son lieu de prière à
son lieu de perdition.
Voilà qui distraira les hauts magistrats de la Cour de
cassation saisis de l'affaire. Mais si.
L. H. zzz80
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L'Hôtellerie Restauration n° 3046 Hebdo 13 septembre 2007 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE