du 7 juin 2007 |
ÉDITO |
HALTE !
Cela confine au grotesque : si vous êtes
allés au théâtre Marigny assister à la représentation
de 'Sur la route de Madison', vous n'avez pu manquer l'avertissement dûment
affiché dans le hall, qui précise - cela mérite une citation - :
"Les cigarettes fumées sur scène par les acteurs sont à base
de plantes, ne contiennent ni goudron ni tabac et ne présentent aucun aspect
nocif pour les spectateurs !"
Un botaniste sourcilleux pourrait relever que,
jusqu'à démonstration du contraire, le tabac est une plante, et qu'y
substituer un autre végétal ne garantit aucunement la santé des chers
spectateurs que la direction du théâtre semble juger particulièrement
fragiles.
Mais là n'est pas l'essentiel.
L'important, c'est d'abord que le roman de James Robert Walker, l'un des plus envoûtants
de la littérature américaine, n'a pas été dénaturé
par la suppression des cigarettes qui participent au caractère des personnages.
Alain Delon et Mireille Darc n'ont pas souffert de devoir fumer du foin, ce qui
est également important.
Mais de grâce, ne sombrons pas
dans cet excès de précaution qui envahit notre vie quotidienne dans les
endroits les plus surprenants, jusque sur la scène des grands théâtres
parisiens. Vous avez remarqué ? Impossible de sortir pour humer l'air du temps
sans qu'un avertissement inattendu ne vienne perturber votre sérénité.
Vous sirotez un apéro en terrasse,
le soir face à la Grande Bleue ? Attention à l'abus d'alcool ! Vous
allumez un Cohiba après un dîner dans un château ? Vous courez
au cancer du poumon ! Vous osez de temps à autre un cognac ou un limoncello
en lisant 'Sur la route de Madison' ? Vous sombrez dans l'alcoolisme mondain !
Et bien sûr, si vous buvez du
café à toute heure, si vous ne résistez pas au petit plaisir du
carré de chocolat, à la délicieuse transgression d'une barre de
Mars, à la joie perverse d'une assiette
de frites, votre sort est scellé : l'infarctus, l'obésité, le cholestérol
auront raison de votre santé sans tarder !
En fait, le phénomène n'est pas réjouissant
pour la profession dont la grande partie du succès repose précisément
sur le plaisir qu'elle procure à ses clients. Souvenez-vous de la scène
culte de 'Le bonheur est dans le pré' où Eddy Mitchell invite Sabine Azema
dans un resto gastronomique afin de la séduire, mais ne peut s'empêcher
d'exploser face aux craintes manifestes de la belle de prendre du poids : "Je
ne t'ai pas amenée ici pour manger des brocolis cuits à l'eau minérale
!" Certes, d'autant que les intentions de notre crooner national n'étaient
pas spécialement d'ordre diététique.
D'accord, abuser des meilleurs crus
de nos vignobles, des alcools forts venus d'ailleurs, comme de griller trois paquets
de clopes quotidiennement ou se gaver de tournedos au foie gras relève de la
médecine.
Mais il n'est pas utile, pour conduire
une politique de santé publique efficace, de culpabiliser le moindre geste
considéré à un moment ou un autre comme dangereux. Que serait James
Dean sans sa Porsche dans laquelle il mourut sur une route du désert californien.
Imagine-t-on André Malraux sans son éternelle gauloise (La Poste a bien
réussi à lui consacrer un timbre 'tabagiquement correct') ? Que deviendrait
Maigret sans sa pipe ou Hitchcock sans son Partagas ? Et Lauren Baccall aurait-elle
séduit Humphrey Bogart sans lui demander une cigarette dans un bouge de Fort-de-France
?
Inutile d'en rajouter, la liste serait
trop longue. La profession doit se préparer le plus sérieusement possible
à l'interdiction de fumer dans les établissements. La loi l'a décidé
et avec d'excellentes raisons. Mais de grâce, que le législateur ne se
transforme pas en censeur de nos moeurs.
L.H.R.
zzz80
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L'Hôtellerie Restauration n° 3032 Magazine 7 juin 2007 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE