Bruno Juin (CBRE) : "On ne voit pas de désaffection du secteur hôtelier par le marché de l'investissement"

"Nous faisons face à la pire crise de notre secteur..." et pourtant, constate Bruno Juin, directeur senior Hôtels France, Belgique & Luxembourg chez CBRE, le secteur de l'hôtellerie intéresse toujours les investisseurs. L'expert en conseil immobilier nous livre sa vision du marché actuel.

Publié le 10 mars 2021 à 15:28

L'Hôtellerie Restauration : Comment voyez-vous le marché des transactions d’aujourd’hui ?

Bruno Juin : La bonne nouvelle à ce jour c'est que la crise de la Covid n'a toujous pas eu l'effet dévastateur que certains anticipaient, à savoir un gel total du marché. Il est même rassurant de constater que, malgré l’ampleur de cette crise, les valeurs n’ont pas subi de décrochage proportionnel à celui enregistré sur les performances opérationnelles. Il y a bien quelques exceptions avec des prix de ventes comparativement faibles mais c'est resté à la marge, et lié, dans la majorité des cas, à des problèmes de gestions antérieurs à la crise. Cela démontre que le marché de l’investissement hôtelier est dans une fenêtre temporelle à la fois décalé et dans des stimuli différents de ceux de l’opérationnel. Pour preuve, nous faisons face à la pire crise de notre secteur et on ne voit pas de désaffection du secteur par le marché de l’investissement, un hôtel reste un objet qui garde une valeur intrinsèque.

CBRE Hotels a enregistré sur l’année 2020 un volume d’investissement d’environ 1,1 milliard d’euros sur l’hôtellerie en France. Si ce montant traduit une tendance en très nette diminution par rapport à l’année précédente, on remarque, à y regarder de plus près, que ce montant est essentiellement composé de vente d’actifs à l’unité. L’année 2020 n’a vu, en effet, aucune vente d’actif emblématique et très peu d’opérations de vente de portefeuille d’hôtels réalisé. Malgré l’absence de ces types d’opérations, le marché est resté dynamique par rapport à d’autres crises, porté par une abondance de liquidités et par un nombre toujours croissant d’acteurs souhaitant se positionner sur le secteur hôtelier avec une optique long terme. Cette dynamique se confirme toujours dans les premiers mois de 2021.

L’ombre principale au tableau reste, à l’heure actuelle, le faible nombre d’organismes bancaires présents de manière active sur le secteur. Mais l'avantage c'est que les banques changent vite d'avis. Si elle sont particulièrement réactives aux effets négatifs de marché elles le sont aussi sur des éléments positifs tel qu’une reprise du tourisme. Dans nos échanges réguliers avec celles-ci, nous avons noté leur vision objective sur les fondamentaux du secteur à moyen terme et surtout leur capacité d’écoute du marché.

 

Avec la crise, avez-vous constater des changements sur le marché ?

Aujourd’hui, ce que l'on constate, c'est un rallongement du délai moyen d'une vente. Et notamment parce que les négociations sont plus longues avec d’un côté des acheteurs qui peuvent avoir des difficultés à trouver des financements et qui cherchent donc à valoriser à la baisse les actifs, avec en plus une incertitude quant au marché de demain, et en face on a des propriétaires qui fondent leurs espoirs sur une rebrise à moyen terme de l'activité et qui bénéficient des aides de l’Etat leur permettant ainsi de patienter un peu. L'inconnu aujourd'hui c'est lequel des deux pourrait avoir raison avant l'autre. 

La crise actuelle va-t-elle être générateur dans un avenir plus ou moins proche d’un flux d’hôtels en difficulté sur le marché, c’est encore à ce jour difficile à anticiper car un élément déterminant reste l'arrêt programmé des aides gouvernementales dont bénéficie notre industrie. Si elles s’arrêtent trop tôt, est-ce que l’hôtelier va survivre. Toutes ces subventions maintiennent en vie certains établissements qui étaient déjà en crise avant le coronavirus. Mais l’aspect positif des subventions c’est que ça a permis de maintenir en vie des établissements qui étaient sains avant la crise. Le risque va résider entre la fin des aides et le début de la reprise. Une autre inconnue c’est l’émergence d’une éventuelle guerre des prix. Le risque est réel car au moment de la reprise du tourisme dans le monde entier, certains hôteliers seront tentés d’utiliser la variable tarifaire pour remplir leurs établissements plus vite que les autres. C’est une spirale descendante qui peut faire de nombreuses victimes très rapidement car elle est consommatrice de trésorerie dans un contexte où le niveau de celle-ci à déjà fortement été impacté. La crise hôtelière des années 90 est un parfait cas d’école avec un marché qui aura mis près d’une décennie à effacer la chute des prix enregistré sur deux années.

 

Quels sont les éléments que vont prendre en compte les investisseurs dans le cadre d’un achat ?

Un investisseur en hôtellerie se focalise sur trois éléments ; la localisation de l’établissement, sa taille et son type d’exploitation.

En premier lieu, la localisation de l’actif reste le point principal pour chaque investisseur. En fonction de l’environnement de l’actif, un investisseur sera à même de déterminer sa capacité à optimiser les performances de l’hôtel. Le contexte actuel vient renforcer cette approche et un actif bien localisé par rapport à sa zone de chalandise à de forte chance de motiver l’intérêt des investisseurs.

Ensuite, la taille de l’établissement vient juste après sur la liste. Un investisseur cherche avant tout à optimiser la profitabilité de l’exploitation qu’il achète et la taille joue pour beaucoup dans ce calcul. Ainsi le nombre de chambres permet à la fois de déterminer l’éventail des segments de clientèle que l’on pourra viser (clientèle affaire, clientèle loisirs et/ou clientèle groupe) et permet surtout d’estimer le niveau du seuil de rentabilité. Un hôtel, quelque soit sa taille nécessitera toujours un nombre minimum d’employés pour assurer un service minimum et ces charges fixes s’étalent plus facilement avec un nombre important de chambres. Sans surprise, un nombre important d’investisseurs restent particulièrement motivés par des hôtels de grande taille (plus de 100 chambres) et certains marchés, tel que Paris, sont particulièrement sensible à cet argument.

Enfin, les investisseurs vont porter une attention toute particulière sur le mode d’exploitation de l’hôtel. L’existence d’une relation contractuelle avec une marque hôtelière par le biais d’un contrat de franchise ou d’un contrat de gestion peut avoir de réelles répercussions sur la valeur de l’actif en fonction de son marché. Ainsi une marque sur un marché fortement concurrentiel sera un élément positif de valorisation de l’hôtel alors que pour des marchés ou la demande excède régulièrement l’offre, l’existence d’un contrat ne sera pas perçue de la même manière par les investisseurs. Tout est question d’appréciation ! Paris, par exemple concentre principalement des investisseurs à la recherche du minimum de contrainte d’exploitations et d’engagement avec un marque. Une destination touristique périphérique justifiera, pour ces investisseurs, un partenariat avec une marque pour bénéficier des multiples avantages que la force de la marque pourra lui apporter et sera donc un vecteur de valeur. Encore tout est question d’appréciation.

 

Quels conseils pour un hôtelier vendeur ?

Il n’y a pas une bonne méthode pour vendre un hôtel, comme il n’y a pas un prix pour vendre un hôtel. C’est une foule d’éléments. C’est son RBE, c’est sa capacité à se relancer dans un contexte compliqué, c’est son marché concurrentiel et la possibilité à aller chercher de nouveaux vecteurs de valeur qui vont faire la valeur d’un hôtel.

Je conseille à mes clients de rester intellectuellement le plus flexible possible. La vente d’un hôtel, c’est la rencontre entre un vendeur et un acheteur sur un prix mais en échange d’une contrepartie et selon des conditions définies et le tout dans un contexte économique… donc une équation à multiples variables qui inter-agissent entre elles. Vendre son outil de travail n’est jamais anodin pour un hôtelier, j’en suis conscient mais le rationnel d’achat d’un investisseur s’accommode mal d’un prix de vente que l’on ne serait pas capable de justifier par des éléments tangibles d’exploitations ou par des fondamentaux solides à long terme du tourisme de l’hôtel en question.

L’objectif principale dans le processus de vente c’est de motiver l’audience la plus large possible d’investisseur depuis des hôteliers jusqu’à des investisseurs institutionnels en passant par des investisseurs privés… et l’intérêt c’est de créer une émulation pour que le prix de vente reste le plus élevé possible. Cette méthode nous l’appliquons pour tous les process sur l’ensemble de la France.

#BrunoJuin# #CBRE#


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Publié par Romy CARRERE



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