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Paul Bocuse, ‘empereur des gueules’

Restauration - mercredi 29 décembre 2010 16:46
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Lyon (69) Il vit toujours dans la maison où il est né. Près de cette Saône qui lui sert de repère et où, jadis, lui et son père Georges, sauvèrent quelques candidats à la noyade ! Dans ce restaurant familial devenu le plus prestigieux du monde, Paul Bocuse - parfaitement épaulé par son épouse Raymonde et une équipe de MOF - est au sommet de l’Olympe étoilée depuis 1965. Quarante-six années à ce niveau : record du monde ! Logique, dès lors, qu’à l’occasion du Sirha, ses pairs et ses disciples se préparent à rendre un hommage solennel à l’Empereur des Gueules qui s’est confié à L’Hôtellerie Restauration…



L’Hôtellerie Restauration : Vous tournez-vous parfois vers le passé ?
Paul Bocuse : J’ai quand même plus de passé que d’avenir (rires). Je crois que j’ai vécu une époque assez fabuleuse. J’ai connu les Trente glorieuses avec la chance de débuter dans ce métier après guerre quand les gens avaient faim, envie de manger et appréciaient une cuisine généreuse.

La générosité, justement…
Il faut être généreux, c’est primordial et cela permet aussi de gagner sa vie. Cela dit, aujourd’hui, il ne suffit pas de savoir faire la cuisine, il faut aussi savoir gérer et je pense que c’est beaucoup plus difficile qu’il y a quelques dizaines d’années.

Gérer et être généreux : Fernand Point, qui vous a tant marqué, faisait-il l’un et l’autre ?
Ce n’est pas certain car je ne pense pas qu’il ait gagné beaucoup d’argent. Il était très généreux et avait une belle cave, ce qui vaut beaucoup d’argent. Il a bien réussi et je sais tout ce que je lui dois. J’ai passé des années formidables à La Pyramide.

Si vous regardez en arrière, où situez-vous les progrès ?
Dans les instruments de cuisine et les moyens de travailler ! Jadis, les cuisines étaient parfois en sous-sol, le cuisinier était souvent méprisé ou en tout cas oublié.
Hier, on suivait le rythme des saisons pour des produits essentiellement locaux. On guettait les premières cerises, les premières fraises, des ramasseurs ou des pêcheurs nous amenaient les écrevisses, les truites, les champignons. Tout ça, c’est fini : on trouve de tout et tout le temps…

Vous évoquiez les cuisiniers méprisés, les cuisines en sous-sol. Vous avez quand même œuvré pour que cela change…
Pour les cuisiniers, tout est parti des années 1960 avec Charles Barrier, quand nous avons créé la Grande Cuisine Française (1) avec les chefs trois étoiles de l’époque qui étaient propriétaires de leur affaire : c’était une vraie révolution ! Nous étions une douzaine - Troisgros, Haeberlin, Guérard, Lasserre, Outhier, Vergé, Chapel…- qui avons vécu une dizaine d’années extraordinaires, en toute amitié et avec quelques contrats formidables. Il est vrai que la cuisine d’alors appartenait aux cuisiniers tandis qu’avant on connaissait davantage le chasseur de chez Maxim’s que le cuisinier.
Du côté des cuisines, Wolfgang Pück à La Maison à Los Angeles aux États-Unis a été novateur en ouvrant sa cuisine sur la salle. Aujourd’hui, beaucoup ont suivi ce modèle. C’est quand même formidable : les clients mangent dans la cuisine, ou presque ! C’est formidable aussi pour le matériel et pour les cuissons par exemple, avec une certaine facilité à travailler au degré près.

Quel sont les personnages qui vous ont le plus marqué ?
Raymond Oliver qui était un très bon cuisinier a anobli la cuisine. À travers ses passages à la télévision, il donnait envie de faire la cuisine. Un jour, je me souviens qu’il nous avait servi un ‘repas de bohémiens’ où il a nous a fait manger des tripes de poulets !

Il y a eu aussi Fernand Point, le plus fantastique. Sans Point, il n’y aurait pas eu Bocuse. C’était un homme généreux, inventif, aimant la farce et qui disait toujours “je ne vais pas au spectacle, c’est le spectacle qui vient à moi”. C’était un perfectionniste de la cuisine qui savait ne pas compter et utilisait toujours les meilleurs produits.

Auprès de Fernand Point, il y avait Mado. Auprès de Paul Bocuse, Raymonde. Et les femmes, alors ?
Importantes, indispensables ! Mado, Raymonde, mais aussi Jeanne Dumaine, Charlyne Bise, Dominique Loiseau qui arrive derrière ce ‘monstre’, ce monument de Bernard ! Pour un chef, il est bien sûr primordial qu’il y ait un bon tandem…

Il est aussi important d’être curieux, attentif, ouvert. Vous êtes allé dans le monde entier et avez beaucoup regardé !
J’ai dit parfois que, quand je voyais quelque chose d’intéressant, je ne copiais pas mais je faisais pareil [rire]. C’est vrai que la curiosité est importante. Savoir ce qui se passe, rencontrer d’autres chefs, découvrir de nouveaux produits sans cependant se prendre trop au sérieux car le plus difficile, c’est de durer.

Justement, vous durez depuis plus d’un demi-siècle. Quel est le secret de la réussite ?
Si je le savais, je ferais un livre qui serait un formidable best-seller [rires]. Je pense que c’est avant tout la qualité du travail et de savoir s’entourer. J’ai su déléguer et garder mes collaborateurs. Je suis entouré de Meilleurs Ouvriers de France et, chez moi, des gens ont trente ou quarante ans de maison.

À titre personnel, de quoi êtes vous le plus fier ?
Les trois étoiles, c’est formidable ! Et le titre de Meilleur Ouvrier de France symbolise l’amour du travail bien fait, la volonté de transmettre pour le futur. Tout seul, je ne peux rien faire. J’ai mis 46 ans à construire Bocuse et le Bon Dieu a mis six jours à faire le monde avec des tremblements de terre partout : il n’a pas fait son travail convenablement [rires].

Un dernier mot sur le Bocuse d’Or né en 1987 ?
Avec mon ami Albert Romain, nous avons eu envie de créer un concours mondial de cuisine. Aujourd’hui, ce concours rassemble des chefs du monde entier, de tous les continents, avec toute l’ambiance qui va avec. Je trouve cela tout simplement formidable.

(1) Le mouvement devint la Nouvelle cuisine à l’initiative de Christian Millau et Henri Gault, journalistes puis fondateurs de leur revue et d’un guide.

Propos recueillis par Jean-François Mesplède

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