'Œuf de poule heureuse'. La carte donne le ton. Comme le sympathique volatile qui s'ébat tranquillement aux alentours, le visiteur sent d'emblée la bonne maison. Est-ce un effet du panorama qui s'ouvre sur les Monts de Flandre ? De cette campagne, entre terre et mer, prodigue de beaux produits ? Ou de ce corps de ferme patiné par les années ? C'est un peu tout ça, l'Auberge du Vert Mont. Et ce qui a décidé du destin de Florent Ladeyn. "Je n'étais pas passionné par la cuisine, mais par le lieu", explique-t-il.
Voilà huit ans qu'il a trouvé sa place dans l'établissement ouvert il y une trentaine d'années par ses parents, José et Sophie. Après une scolarité un peu chahutée et un bac littéraire passé en candidat libre, il se destinait à une école d'art lilloise. Mais il y rencontre une "bande de rêveurs et d'utopistes" pas très raccord avec son tempérament de terrien. Il repasse alors un bac pro au centre de formation Cefral de Dunkerque et prend en main la cuisine de l'auberge, épaulé en salle par sa compagne Julie. "C'était une sorte de cantine flamande, où l'on servait de la carbonnade et des frites, se souvient-il. J'ai commencé par la pâtisserie. J'aime ça parce qu'on voit d'abord le produit fini. J'ai fait pareil avec le salé. Et puis j'ai appelé ma grand-mère pour avoir la recette de sa petite sauce !" Car le jeune chef n'a pas fait de tour de France, n'a pas eu de mentor. Et s'il a puisé de précieux conseils lors de stages auprès de Meilleurs ouvriers de France, il avoue sans ambages que c'est auprès d'une grand-mère gastronome qu'il a découvert le bar cuit sur l'arête à basse température ou la cuisine aux herbes.
Cool et local
Il y a deux ans, il demande carte blanche à son père et s'oriente vers une cuisine inspirée des produits locaux. "J'ai trouvé aberrant qu'on propose des spécialités flamandes avec de la viande qui venait d'Allemagne ou de Pologne." Florent Ladeyn, en bon enfant du pays, se tisse rapidement un réseau de petits producteurs transfrontaliers. Sa cuisine s'affine, se précise et il décroche le titre de Jeune talent Gault&Millau en 2011, et deux toques cette année. "Mais je ne suis pas un cuisinier d'internet, qui bosse pour la photo. Il faut nourrir le client et que cela reste gourmand." Et de proposer à ceux qui le souhaitent un cornet de frites avec le plat ! "On préfère être une bonne auberge qu'un gastro moyen. On ne cuisine pas pour les guides, mais pour notre clientèle qui est cool et locale."
Cool, le chef l'est lui aussi. Rugbyman, guitariste et chanteur dans un groupe de rock, il a le profil idéal pour passer à la télévision. Qui l'a pourtant recalé. "Top Chef m'a appelé. En cuisine, ça s'est bien passé. Mais en interview, j'ai été trop franc. J'ai dit que j'étais heureux dans ma campagne et que j'allais bientôt me marier. L'attachée de presse m'a rappelé en me disant qu'elle était désolée mais que le bonheur ne faisait pas vendre à la télé." Pas de quoi entamer le sien en tout cas. Entre deux riffs, il continue tranquillement à faire une cuisine qui ressemble à la Flandre. Franche et généreuse.
Publié par Marie-Laure Fréchet