du 3 avril 2003 |
FORMATION |
Le débat se poursuit dans nos colonnes. La lettre ouverte d'Yves Cinotti (L'Hôtellerie n° 2799), enseignant à l'IUFM, continue de susciter des réactions. Sa position : l'enseignement actuel n'est plus adapté à la pratique en milieu professionnel. Ce qui n'est pas le point de vue de tous.
L. Anastassion zzz68v
w Le cuisinier doit-il
être un artiste ou seulement un manipulateur formaté ?
Bertrand Simon, webmaster du site Chef Simon Web : http://chefsimon.com
L'enseignement de la cuisine doit prendre en charge la transmission de cette passion
culinaire, cette curiosité qui nous fait tous avancer, et cette envie d'atteindre les
modèles qui nous ont marqués le long de notre vie professionnelle, de transmettre cette
volonté d'apprendre et de se surpasser, mais cela n'est pas scientifique, ne peut être
codifié, ne peut entre quantifié...
La question est de savoir si le fait d'apprendre un poulet ou de le brider est franchement
nécessaire à l'entrée dans la vie professionnelle, si battre une pâte à brioche sur
le marbre est véritablement utile, si clarifier un bouillon classiquement est
nécessaire... S'il est plus utile de montrer comment ouvrir une coquille Saint-Jacques
plutôt qu'un sac de noix surgelées...
Goût de la recherche
Je ne veux pas prendre ici le ton corporatiste, appartenant au monde de l'Education
nationale (j'enseigne depuis 15 ans), mais ma réflexion du moment, et après plus de 25
ans à pratiquer la cuisine au quotidien, je me plais à retrouver les techniques perdues,
à affiner mes gestes, à placer des challenges techniques... c'est bien de passion qu'il
s'agit et d'amour... Ces sentiments impalpables m'ont été transmis par un prof (encore
en activité au LTH du Touquet), mais aussi et surtout par mes anciens chefs, qui, à la
fin de leur vie professionnelle, ont eu envie de transmettre leur savoir, le goût de la
recherche, de la perfection.
La recherche d'idées, de références du passé, réactualisées, appliquées aux
techniques modernes, la découverte de produits et de procédés, autant de choses
existantes mais pas nécessairement dans les référentiels, les livres de cuisine, les
guides et autres bibles...
Tenter de faire croire que les entreprises n'attendent que des ouvreurs de boîtes, ne
sachant plus la forme initiale d'un animal, ne connaissant pas les subtilités de l'emploi
d'un produit brut, fait croire que le monde hôtelier rejetterait l'aspect culturel, au
seul profit d'une philosophie moderniste poussée à l'extrême...
L'étranger fait mieux que nous
A l'étranger se développent de nombreuses écoles de cuisine et de gastronomie
française, où l'on enseigne comment tourner un artichaut, comment fendre un pigeon en
crapaudine...
Aujourd'hui on voudrait casser ce que nous avons ici, plutôt que d'améliorer et trouver
plus tard ces compétences enseignées ailleurs dans de meilleures conditions. Ces écoles
recrutent en France des chefs passionnés par ces héritages et les élèves de ces
écoles, souvent privées, deviennent à leur tour de formidables cuisiniers...
La cuisine française devrait alors être enseignée seulement à l'étranger ou dans des
stages très confidentiels pour que seule une frange infime de professionnels ait accès
à un savoir valorisant ? Former en douce et à l'abri de tous une vision sacrée de la
cuisine pour une minorité et laisser le tout- venant apprendre à travailler pour devenir
seulement cuisinier assembleur ?
Les textes, les référentiels et les documents formatés n'y changeront rien... Dissocier
techniques modernes ou anciennes est une erreur. Il serait bon d'augmenter la part de
pratique professionnelle pure où l'enseignant pourrait mener à son rythme la
transmission des savoirs, en insufflant techniques du patrimoine avec contraintes
actuelles, que le praticien transmette son savoir avec la passion qui l'anime ; organiser
des séances de cuisine commerciales et des séances de cuisine classique pour tous les
élèves et non de façon optionnelle, ou même de niveau, en incluant les notions utiles
pour la compréhension et amener à la réussite ou à la perfectibilité ces méthodes
anciennes ou courantes, par le biais des connaissances apportées par la gastronomie
moléculaire. Comment croire que nous drainerons dans le métier des jeunes à qui l'on
offrirait comme perspective que deboitage et assemblage ? Pensez-vous que mes élèves
seraient encore accrochés aux cours si je ne me plaisais à cuisiner à chaque moment de
libre, en lisant et en cherchant, en tentant et en expérimentant ?
Passion
Chacun sait que les sorties de formation qu'elles soient de l'école ou de CFA ne placent
pas sur le marché des jeunes performants et que tous, nous avons eu besoin d'expérience
pour parfaire notre savoir et notre aisance. Si un champ large et pragmatique est ouvert,
dissociant cependant la part de la réalité à la part nécessaire, l'apprentissage
serait désacralisé, calmé, simplifié. Démontrer telle ou telle technique, réaliser
l'approche par la démonstration, et travailler ensuite avec les contraintes existantes
dans le monde réel de la profession est un lien intéressant.
Ce qui est dangereux est, à mon sens, de scinder, diviser, renier. Non ne séparez pas la
charge artistique, donnez seulement plus de moyens, de possibilités pour y parvenir.
L'enseignement culinaire devrait se dérouler comme se passerait l'enseignement d'un jeune
peintre, d'un sculpteur ou d'un musicien, dans la paix, le calme et la sérénité, sans
appréhension fondée sur la productivité. On doit choisir et savoir. Le cuisinier
doit-il être un artiste ou seulement un manipulateur formaté ? Ou peut-il devenir les
deux ? Cette notion déjà enseignée n'est pas efficace, cette réalité on l'apprend le
premier mois d'embauche et on s'y fait, et ce, dans tous les corps de métiers, il n'y a
donc pas d'exceptions.
w "Le feu dans
la poêle..."
Jean-Pierre Déquesnes - professeur au lycée hôtelier de Chamalières -
MOF maître de service de la table
Dès le premier regard, le client perçoit dans vos yeux si vous êtes disposé à lui
procurer le plaisir qu'il attend. Si cette vérité peut faire sourire, voire même
soulever quelques protestations indignées sur la formulation, elle a le mérite de fixer
clairement l'objectif essentiel de la vente au restaurant : procurer du plaisir au client
! Cette règle est valable partout, quelle que soit la formule de restauration.
Sans cette prise de contact, la prestation aura inévitablement un goût d'inachevé.
Paradoxalement, parmi les désirs du client, l'assiette ne s'avère souvent qu'accessoire.
Par contre la relation humaine est vécue comme une partie incontournable de la prestation
et la nature de l'accueil, la qualité de l'ambiance va conditionner tout le reste, c'est
un passage obligé.
Prudence et concertation
Oui il faut s'adapter et même s'adapter en permanence, c'est bien la seule nécessité
qui ne changera jamais d'actualité. C'est bien aussi le seul message que l'on peut
transmettre aux jeunes sans avoir la possibilité d'en douter. Sous prétexte de tirer
parti de l'évidence d'un constat qui concerne les formateurs et les formés, faut-il
désormais revoir de fond en comble l'ensemble des techniques surannées ?
Ne convient-il pas d'agir avec prudence et concertation ? En effet, le consommateur
apprécie toujours le service personnalisé du steak tartare, le tranchage de la côte de
buf ou le service de la bouillabaisse ; beaucoup de techniques sont encore
d'actualité que ce soit dans la restauration traditionnelle comme dans d'autres formules
de restauration à thème. Est-il nécessaire de se poser la question de savoir s'il faut
encore apprendre à décanter, composer un bouquet, ou allumer le cigare... ?
La salle est une scène
Avant de procéder à un coup de balai, il faut surtout penser que la salle est une
scène, et que l'aspect scénique d'un repas doit faire rêver. La découpe d'une volaille
peut s'avérer être plus un art qu'une simple technique, et lorsque le client
s'émerveille, l'artiste y trouve forcément son compte.
La magie des crêpes flambées est à la fois dans l'attente
et la fascination : le consommateur veut, et c'est son droit, les voir flamber sous
ses yeux. Il n'appréciera pas l'affirmation qu'elles ont bien été flambées, mais sans
lui, en cuisine. En d'autres domaines, la dextérité du pizzaïolo devant son four, la
présentation d'un banc de fruits de mer et la dextérité de l'écailler ne sont-elles
pas des façons de vendre ?
Compte tenu de la réduction des temps de formation aux techniques, il me paraît
désormais inutile de continuer dans la voie du "toujours plus" et de faire
apprendre des milliers de références pour les vins ou les produits. Sur ce sujet, je ne
pense pas que la suppression de l'épreuve de prise de commande au baccalauréat
technologique, remplacée par une connaissance des produits, aille dans le bon sens de la
formation de vendeur. Mais il n'est pas besoin de faire une révolution de palais pour
ajuster le tir.
La formation ne doit-elle pas s'orienter vers l'objectif principal qui est de former des
jeunes professionnels extravertis ? Pour qu'un vendeur remplisse parfaitement son rôle,
il est aussi souhaitable de lui laisser un morceau de scène sur laquelle il puisse
s'exprimer. Ceux qui souhaitent être une force de proposition peuvent adhérer à l'APTHR
: (Association des professeurs de techniques d'hôtellerie-restauration) : Fax : 03 21 94
77 70
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L'Hôtellerie Restauration n° 2815 Hebdo 3 Avril 2003 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE