du 10 juillet 2003 |
RESTAURATION |
La sortie du guide Michelin est, tous les ans, un des plus grands événements de la profession. Si sa sélection est rarement contestée, nombreux sont ceux qui s'interrogent sur les critères de choix, sur les méthodes de travail des inspecteurs. Conscient du poids du guide sur la notoriété des établissements cités, son patron, Derek Brown, a choisi d'en dire un peu plus aux professionnels. Révélations exclusives.
Propos recueillis par Patricia Alexandre Le Naour
"Concentrez-vous
sur le client ! Le reste suivra". Derek Brown.
L'Hôtellerie :
Quels sont vos critères de classement, comment sélectionnez-vous les établissements ?
Derek Brown : Notre guide n'a rien de statique, il suit l'évolution dont
fait preuve la profession. Nous nous devons d'être extrêmement rigoureux dans nos
jugements : c'est ce qu'attendent de nous les clients qui achètent le guide pour voyager
avec plus de sécurité et de plaisir. Ce que nous leur proposons tous les ans, c'est
notre sélection, c'est le fruit de nos expériences pour satisfaire à leur attente. Les
lecteurs du guide Michelin recherchent des expériences différentes, c'est
pourquoi nous devons appréhender tous les styles de cuisine et rechercher les
professionnels qui, dans leur catégorie, ont le plus de talent. Ne perdons jamais à
l'esprit que 80 % des adresses citées sont des maisons où l'on mange correctement pour
un prix tout à fait raisonnable. C'est pour trouver ces adresses que les gens achètent
notre guide. C'est une des richesses de la France : il existe sur tout le territoire des
établissements où l'on sert de bons produits, travaillés simplement, pour un prix
raisonnable.
L'Hôtellerie :
Qui sont vos inspecteurs, comment procèdent-ils ?
Derek Brown : Nous avons une centaine de personnes qui circulent aujourd'hui
dans toute l'Europe. Les inspecteurs ne sont pas régionalisés, ils ont ainsi une
meilleure appréhension de l'évolution de l'offre. Ce sont tous des gens passionnés par
l'hôtellerie-restauration dont ils sont tous issus. Moi-même, je suis ancien élève
d'école hôtelière et j'ai travaillé en cuisine. C'est vous dire combien nous avons une
idée très claire des difficultés de ce métier. Notre équipe est très stable, nous
avons un turn-over très faible, ce qui est essentiel pour la stabilité de la qualité du
guide. Quand ils arrivent dans l'équipe, les nouveaux inspecteurs restent en doublon
pendant 6 à 12 mois avec un autre inspecteur. Notre mission est très claire : c'est pour
les lecteurs du guide que nous travaillons, pas pour les restaurateurs pour lesquels nous
avons toutefois le plus grand respect.
L'Hôtellerie :
Tous vos inspecteurs ne restent pas anonymes, certains établissements entretiennent des
relations avec les professionnels, ne sont-ils pas reconnus lorsqu'ils reviennent ?
Derek Brown : Nous fonctionnons en effet de deux manières : nos inspecteurs
se rendent dans les établissements en tant que client, partent après avoir réglé leur
note et personne ne sait qui ils sont. Ce qui amène certains professionnels à prétendre
qu'ils n'ont pas eu de visite depuis longtemps. Ils se trompent dans la mesure où tous
les établissements sont visités au moins tous les 18 mois. Quand ils ont 1 étoile, ils
sont visités tous les ans, et les 2 et 3 étoiles ont souvent plusieurs visites dans
l'année... Il est exact que dans certaines situations, nos inspecteurs demandent à
rencontrer le chef d'entreprise afin de visiter la maison et discuter un peu avec lui. A
partir du moment où un inspecteur a effectué une visite en se faisant connaître, il ne
reviendra pas dans cet établissement avant 6 à 10 ans... Autant dire qu'il aura changé,
qu'on l'aura oublié et que souvent dans l'entreprise, les équipes auront, elles aussi,
un autre profil...
L'Hôtellerie :
Que faites-vous des courriers que vous recevez de vos lecteurs ? Interviennent-ils dans
vos décisions ?
Derek Brown : Nous recevons une grande quantité de courrier, avec une très
forte progression des mails : l'année dernière, nous en avons reçu 7 000. Sur la
France, nous traitons près de 100 000 appréciations de nos lecteurs. 7 personnes sont en
charge du dépouillement. Tout ce que nous recevons est enregistré dans le dossier de la
maison citée. Ce qui est important en matière de crédibilité de ces informations,
c'est la cohérence des commentaires les uns par rapport aux autres. Les courriers sont
utiles, ils nous servent d'alerte, dans un sens comme dans un autre. Nous prenons tout au
sérieux, de nouvelles adresses peuvent aussi être découvertes de cette manière ; nous
n'avons aucune raison de cacher un bon restaurant ou un bon hôtel à nos lecteurs. Nous
nous rendons dans les établissements vérifier ce qui a été dit par les clients. Il est
important de noter que 75 % des lettres que nous recevons sont des lettres de
satisfaction...
L'Hôtellerie :
Comment peut-on obtenir 1 étoile au Michelin ?
Derek Brown : Nous n'avons pas de grille de notation. Notre sélection est
le fruit de notre expérience. Nous n'avons aucun conseil à donner aux restaurateurs ;
c'est à eux et à eux seuls de décider du niveau de prestation qu'ils souhaitent offrir
à leurs clients. Nous ne sommes pas des consultants, nous venons simplement faire une
sélection de ce que l'ensemble de la restauration offre à sa clientèle. Mais bien sûr,
nous sommes très sensibles à certains points que nous vérifions systématiquement : les
produits de départ sont-ils bons ? Les mariages des saveurs sont-ils heureux,
équilibrés ? Ne gâchent-ils pas les qualités gustatives du produit ? Les cuissons
sont-elles bien maîtrisées ? Le produit est-il bien respecté ? Voilà les points qui
sont pour nous essentiels. Ce n'est pas un style de cuisine qui fait que l'on obtient une
étoile, c'est le niveau de qualité dans l'assiette. Mais avant de prendre une décision
pour attribuer une étoile, nous nous assurons de la régularité de la maison. C'est
très important : en sélectionnant un établissement sur le Michelin, en lui
attribuant un classement, nous nous engageons pour une année. C'est une question de
crédibilité. Certains restaurateurs sont capables de faire quelque chose
d'extraordinaire un jour et beaucoup moins bien le lendemain... Si nous ne sommes pas
sûrs que le même niveau de prestation peut être reproduit à chaque client, nous
attendons avant de prendre une décision. Le diable est dans les détails.
L'Hôtellerie :
Les restaurateurs ont le sentiment qu'aujourd'hui, vous mettez la barre de plus en plus
haut. Cette année, deux restaurants de palace ont décroché 3 étoiles. Certains pensent
que demain, les indépendants ne pourront plus accéder à cette distinction suprême,
faute de moyens financiers. N'avez-vous pas le sentiment de mettre la pression sur ceux
qui veulent accéder à la plus haute distinction ?
Derek Brown : Ils ont tort de tirer des conclusions sur le palmarès de
cette année. Tous les ans, nous remettons en cause toutes les étoiles et nous donnons
des étoiles, là où on les trouve. Il faut qu'il y ait une reconnaissance de toutes les
formes de cuisine ; tous les clients ne cherchent pas la créativité à outrance,
certains même ne la supportent pas. A nous de trouver les meilleurs dans chaque
catégorie. Je n'accepte pas que l'on dise que Michelin a mis la pression sur les
restaurateurs. Personne n'est obligé d'accepter d'être étoilé ! Ce sont eux, les
cuisiniers, qui placent la barre de plus en plus haut ; personne ne le leur a demandé.
Ils ont une telle fierté qu'ils cherchent toujours à mieux mettre en scène leur
cuisine, à travers une décoration, un service de haut niveau. C'est très bien, mais
tout ceci a un coût, c'est évident. Le guide se contente d'observer ce qui existe et de
sélectionner. Plus le niveau moyen augmente, plus notre sélection en tient compte, c'est
tout.
L'Hôtellerie :
Que pensez-vous de la création d'une 4e étoile ?
Derek Brown : Une 4e étoile n'aurait aucun sens !
L'Hôtellerie :
Comment voyez-vous évoluer l'hôtellerie et la restauration ?
Derek Brown : La tendance est à une très forte amélioration de l'offre,
et ce, à travers toute l'Europe. Le client est de plus en plus exigeant, il voyage de
plus en plus, il compare ; en hôtellerie, il demande du confort, du service, de
l'accueil. Il n'est aujourd'hui plus du tout acceptable d'être médiocre tant en
hôtellerie qu'en restauration.
L'Hôtellerie :
Ces derniers mois, certains ont mis en cause des failles dans votre système de
communication en matière de promotion. Plusieurs semaines avant la sortie du guide, des
indiscrétions ont été distillées dans la presse, ce qui n'a pas été sans avoir
certaines conséquences sur les restaurateurs concernés.
Derek Brown : Nous recevons ici tous les professionnels qui demandent à
nous rencontrer. J'en ai moi-même reçu plus de 100 l'année dernière. Je puis vous
assurer que je ne parle avec personne du contenu de ces entretiens. Quant à savoir ce que
je dis à ceux qui ont sollicité cet entretien, c'est simple : je me contente de leur
donner la tendance de leur dossier. Rien de plus. Ensuite, quand ils rentrent dans leurs
maisons, il y a fort à penser que certains membres de leurs équipes savent qu'ils m'ont
rencontré, et en fonction de l'attitude qu'ils ont sur le terrain, ils peuvent en tirer
des conclusions. Sans compter ceux qui livrent à des tiers la teneur de nos
conversations. Ces fuites, plusieurs semaines avant la sortie du guide, sont
particulièrement exaspérantes. Nous faisons tout pour nous assurer qu'il n'y a pas de
possibilité d'indiscrétions mais... beaucoup d'acteurs interviennent dans la fabrication
des 600 000 guides. Ils sont imprimés un mois avant, alors...
Nous sommes parfaitement conscients de l'enjeu que représentent nos décisions pour les
restaurateurs concernés. Ce n'est pas du tout mon style de créer une zizanie au sein de
cette profession et je tiens à être transparent. C'est la raison pour laquelle, pour
2004, je contacterai personnellement tous les professionnels qui connaîtront un
changement dans leur classification en 2 et 3 étoiles. Je trouve très désagréable pour
eux de l'apprendre par hasard dans la presse, d'autant que les informations distillées ne
sont pas toujours exactes.
L'Hôtellerie :
En conclusion, quel message pouvez-vous délivrer aux restaurateurs ?
Derek Brown : Concentrez-vous sur le client ! Le reste suivra. Si c'est bon
pour lui, ce sera bon pour le guide Michelin. zzz22v
Les questions
que vous devez vous poser
è Les produits de départ sont-ils bons ?
è Les mariages des saveurs sont-ils heureux,
équilibrés ? Ne gâchent-ils pas les qualités gustatives du produit ?
è Les cuissons sont-elles bien maîtrisées ?
è Le produit est-il bien respecté ?
è Ce n'est pas un style de cuisine qui fait que l'on
obtient une étoile, c'est le niveau de qualité dans l'assiette.
è La régularité de la prestation est-elle assurée ?
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L'Hôtellerie Restauration n° 2829 Hebdo 10 Juillet 2003 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE