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du 21 août 2003
CONJONCTURE

Les effets de la canicule

PRES DE 50°C EN CUISINE, PERSONNEL ÉPUISÉ ET TERRASSES DÉSERTÉES

Moins de consommations, moins de clients, des horaires décalés, mais aussi des difficultés pour le respect de la chaîne du froid, pour la surveillance du matériel. Toutes les équipes sont au bout du rouleau, mais il faut s'adapter et rester vigilant.


Pendant cette vague de chaleur, chacun s'est adapté

Les conséquences de cette canicule 2003, détentrice du record des températures depuis 1947, sont malheureusement nombreuses : écologie (taux d'ozone, feux), agriculture (avancée des vendanges, sécheresse et perte des récoltes), santé (on compte 3 000 décès, en particulier chez les personnes âgées), fatigue physique et morale. Le milieu de la restauration n'aura pas été en reste. Un quotidien souvent difficile, qui pour certains, aura des conséquences économiques.

* Eric Leautey, executive chef du restaurant gastronomique California Grill, Disneyland Paris
Les conséquences se font sentir sur les conditions de travail, même si nous avons certaines parties de la cuisine qui sont climatisées. Nous avons l'habitude de la chaleur toute l'année, mais là il n'y a pas de temps de répit entre le fourneau et l'extérieur, on a l'impression d'être au travail tout le temps ! Au restaurant voisin, Les Inventions (à l'entrée du parc), ils travaillent beaucoup plus parce que les clients ne restent pas sur le parc pour déjeuner et viennent se mettre au frais. Les clients mangent plus léger. Au California Grill, nous sommes ouvert de 19 à 23 heures mais les gens viennent dîner tard, à partir de 21 h 30. Il faut être très vigilant aux conditionnements et à l'approvisionnement, tout conserver au froid et tout refroidir, aussi bien au niveau des liquides que des solides.

* Christophe Beaufront, chef à L'Avant Goût, Paris XIIIe
Le personnel a chaud, mais il est là. D'habitude c'est climatisé, mais là, la clim est en panne. On a des ventilateurs en attendant. Le problème, c'est le matériel, on a un risque de voir sauter les frigos. Il fait facilement 10 °C de plus en cuisine, c'est-à-dire 50 °C. Les gens n'ont pas envie de manger et on a une grosse diminution de clientèle. Le soir on arrive à être complet, mais le midi c'est difficile, ça ne nous est jamais arrivé. Les clients consomment beaucoup plus d'eau, ils ont très chaud. Ils mangent moins, consomment plus léger, des entrées froides et du poisson en plat. Il y a une désaffection de la clientèle et une grosse perte.

* Jean-Luc Buscaylet, chef du Café Malongo, Courbevoie (92)
C'est très calme en ce moment, nous n'avons pas beaucoup de couverts et c'est plus difficile. Nous sommes à 60 couverts en moyenne au lieu de 180 et il fait 40 à 50 °C en cuisine, et en salle, il fait également très chaud. On est situé sur un parvis et les gens ne restent pas sur la terrasse... On fait seulement la moitié du CA...

* Alain Drian, directeur d'exploitation, Brasserie Flo, Toulouse (31)
C'est dramatique, on ne sera pas climatisé avant l'année prochaine ! Sur la terrasse, il fait très chaud et les gens ne dînent pas avant 21 h 30. Ils mangent léger, des plats froids, des huîtres, des fruits de mer, et de manière générale, ils sont énervés et excités. En cuisine, les employés ont chaud, les pauvres, ça fait 2 mois que ça dure, qu'on est a 37-38 °C. Le personnel est fatigué, mais on va attendre que ça passe... On ne va pas faire comme tous les médias qui nous font croire que c'est la première fois qu'il fait chaud, on garde notre bonne humeur !

* André Kim, directeur de salle, L'Ancienne Douane, Strasbourg (67)
C'est l'enfer. On a une terrasse de 150 places avec 6 rangs et 6 garçons, alors qu'en ce moment, un seul rang est ouvert à midi, et encore, il est rempli à 10 %. Les gens ne déjeunent pas, même pas d'assiettes froides, ils se réservent pour le dîner qui ne commence pas avant 20 h 30. Parmi le personnel de service, il manquait 8 serveurs qu'on n'a pas remplacés et on en a mis 4 autres en congé. On travaille avec un effectif de 18 personnes au lieu de 30 d'habitude. Nous avons un CA de moins 35 % par rapport à la même période l'an dernier. Nous avons 850 places qui sont remplies à 90 % en général et là on fait 250 couverts, et encore ça dépend des jours. On se retrouve avec 2 000 e de recette un dimanche midi alors qu'on est à 4 ou 5 fois plus d'habitude ! Nos serveurs sont habillés de façon traditionnelle, ils ont eu l'autorisation de quitter le nœud papillon. Les filles sont en jupe traditionnelle en laine épaisse, elles n'ont pas changé de tenue, mis à part les femmes chefs de rang qui ont droit d'ôter leur gilet.

* Pascal Lorenzini, directeur du Flora Danica, Paris VIIIe
Malgré nos terrasses, les gens veulent manger à l'intérieur et je manque de place dans la salle climatisée. On refuse du monde tous les jours. Nous avons une capacité de 110 places en intérieur et 120-140 en terrasse et il faut se battre pour que les clients acceptent de manger en terrasse. Mais c'est assez courant qu'ils me demandent si la terrasse est climatisée ! Notre cuisine est climatisée, et nous avons la chance d'avoir une carte avec 70 % de plats froids (saumons fumés, marinés, gaspachos, pochés froids), des plats chauds plutôt légers (saumon grillé, thon, etc.), simples, qui rafraîchissent, et qui s'associent très bien avec cette chaleur. Le restaurant gastronomique (Le Copenhague) étant fermé, nous sommes à 300 couverts par jour alors qu'on avait tablé sur 200. Dans l'ensemble, c'est plutôt positif, mais il y a quand même des jours où j'ai perdu des clients parce que les gens ne veulent pas aller en terrasse et que l'intérieur est plein. Nous avons la chance d'avoir une terrasse en retrait, sous les arbres, entourée de verdure. Par contre, les terrasses, côté Champs-Elysées avec le snack et la vente à emporter, ne travaillent pas du tout parce qu'il n'y a pas d'air. Les gens viennent plus tard, on vit un peu à l'heure espagnole : mon coup de feu de 21 heures est décalé à 22 h 15.

* Dominique Fonseca, chef de cuisine au Ritz, Paris Ier
Il faut faire plus attention aux produits, parce qu'ils sont maintenus ou déchargés dans des conditions où la chaîne du froid n'est pas toujours respectée. Du coup ils se conservent moins longtemps. Les produits se dégradent plus vite quand les fournisseurs sont moins bien équipés. Et il y a plein de choses à surveiller, les frigos qui tombent plus facilement en panne. Il y a des choses qu'on vend plus, comme les poissons grillés, une cuisine plus estivale, sans sauce, plus légère. Et puis les gens sont plus facilement fatigués et irritables, mais ça, c'est pour tout le monde pareil.

* Laurent Lapaire, directeur du restaurant L'Arpège, Paris VIIe
Nous sommes complet depuis juillet, étant un des rares restaurants 3 étoiles ouvert au mois d'août. Nous sommes complet midi et soir, pour le soir, c'est habituel, mais le midi, c'est assez rare par rapport aux autres mois d'août. Au niveau de la consommation, il y a plus de personnes qui mangent des choses rafraîchissantes comme les gaspachos. Les gens ont moins d'appétit, donc les desserts sont squizzés, mais ils prennent un café ou un thé, une méthode des pays chauds. Le restaurant et la cuisine sont climatisés, donc la canicule est à l'extérieur, même si les climatisations des restaurants parisiens ne sont pas spécialement performantes. La nôtre a le temps de se reposer pendant le week-end puisque nous sommes fermés, donc en début de semaine ça va...

* Thierry Bégué, George V Restauration (Chai 33, Buddha Bar, etc.), Paris
Au centre-ville, il y a une incidence évidente sur la consommation et la fréquentation. Au Chai 33 à Bercy-Village, je suis en progression, on a l'avantage des terrasses, même si ce n'est pas la terrasse qui a fait augmenter le CA, mais l'intérieur qui est naturellement frais, entre le béton et les vieilles pierres. Les gens refusent les terrasses quand il fait trop chaud. Certains jours, il n'y a personne jusqu'à 20 h 30 sur les terrasses du Cour Saint-Emilion. Le soir on a maintenu des tickets moyens cohérents, mais les clients se serrent la ceinture à midi, ils ne déjeunent pas dans un restaurant, assis, donc on peut considérer que cette chaleur est quand même une contrainte. Jusqu'à 28-30 °C, ça va, le business reste propice, mais au-delà, ça touche la consommation.

* David Pierucetti, directeur d'exploitation de l'Atelier Renault, Paris VIIIe
Ça a été plus dur de vendre des alcools durs, du vin et même de la bière. On a vendu énormément d'eau minérale, sur une période où l'on vend d'habitude beaucoup de cocktails. Les gens prennent 2 entrées, et on s'est adapté en faisant des plats du jour froids. Par contre, il n'y a pas eu de baisse du ticket moyen. Début août, il y a un congélateur qui nous a lâché. Il y a eu de gros problèmes avec les fournisseurs puisqu'il y a eu certaines ruptures de température. Mais la plus grosse difficulté, c'est pour le personnel, qui avait le moral dans les chaussettes. On avait 20 % de personnel en plus pour cette période pour la même productivité, aussi bien en salle qu'en cuisine. Nous avons eu de gros problèmes de climatisation qui n'est pas prévue pour de telles températures. Et ils sont intervenus au bout de 8 jours ! C'est un manque à gagner certain : on était à 28°C au déjeuner et à 35°C au dîner !
K. Kulawick zzz16 zzz22v zzz36v zzz70 

Les clients fuient les terrasses pour les salles climatisées.

Désaffection de la clientèle, repas légers... un manque à gagner certain pour la plupart des restaurateurs

Conséquences des fortes chaleurs
L'Ane Rouge à Nice ravagé par les flammes
L'Ane Rouge à Nice a brûlé dans la nuit du samedi 9 au dimanche 10 août, vers 6 heures du matin. Michel Devillers en est le propriétaire depuis 1995, et a obtenu 1 étoile au Michelin en 2002. Selon les experts, l'origine du sinistre est accidentelle, mais pour Michel Devillers, le feu s'est déclenché suite à un court-circuit dans un moteur de réfrigérateur, qui n'a pas supporté les fortes chaleurs. "Le feu est parti de la cuisine où il ne reste plus rien. Quant à la salle, elle est noire de suie et il faudra la refaire. La réouverture ne se fera pas avant 3 ou 4 mois, si tout se passe bien."

Formation
Prudence pour la rentrée
Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l'Education nationale et de la Recherche, a demandé aux recteurs d'académie de préparer avec les inspecteurs et les chefs d'établissement la mise en place de mesures au cas où la canicule reprendrait au moment de la rentrée scolaire, comme l'approvisionnement en eau, l'aménagement des horaires ou toute autre solution adaptée.

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