du 11 septembre 2003 |
À LA LOUPE |
Sans doute n'était-il pas évident d'assumer un aussi lourd héritage que celui échu à Sophie Bise à Talloires. Sur les bords du lac d'Annecy, François, son arrière-grand-père, créa en 1903 l'Auberge porté par Marguerite et Marius ses grands-parents d'abord, Charlyne et François ses parents ensuite, au firmament de la gastronomie.
Gilles
Furtin, Christophe Ledigol, Franck Fleurance, Bernard Tatin, Patrick Lemercier : cuisine
et salle, l'union sacrée autour de Sophie Bise.
L'immuable le
paysage et pourtant tellement changeant. Au bord du lac d'Annecy, le cadre est majestueux.
Sophie Bise est née là, a toujours connu le lieu et ne s'en lasse pas. Ceci expliquant
cela, si elle est un jour partie en Amérique (Brésil, Venezuela et Etats-Unis), il
était écrit qu'elle reviendrait. Fatalement. Comme il était fatal qu'elle embrase la
carrière de cuisinière, elle dont sa mère se souvient que gamine elle délaissait
volontiers les jouets offerts à Noël pour s'amuser, en cuisine, avec "une
casserole, de l'eau et de la farine". Elle ne se pose pas vraiment la question. "Je
suis née ici, j'ai grandi dans les cuisines où j'ai commencé à travailler",
dit-elle simplement évoquant avec émotion les instants passés en cuisine avec son
père, silencieuse tandis qu'il élaborait un nouveau plat, jouait sur de nouvelles
alliances de goût. Flous et lointains les souvenirs, mais jamais oubliés. "J'ai
perdu mon père très jeune. A l'époque je me rendais moins compte des choses, mais avec
le recul je réalise combien il me manque", dit-elle encore. Ici rien n'a
véritablement changé. Dans l'esprit qui veut que l'on accueille les clients comme des
amis. A l'Auberge du Père Bise, on professe un art de vivre et une façon d'être. Et
depuis un siècle on cultive la convivialité comme une seconde nature... Flash-back.
Lorsqu'en 1860 la Savoie est définitivement rattachée à la France, l'impératrice
Eugénie visite le petit village de Talloires. Séduite, elle offre à ses habitants un
bateau à vapeur affecté au service des voyageurs sur le lac d'Annecy. C'est sur l'un
d'eux que travaille François Bise (on confondait volontiers z et s sur les actes
officiels). Lui qui, époux de Marie Fontaine dont les parents possédaient quelques
biens, demande au maire de Talloires l'autorisation d'ouvrir un "débit de
boissons à consommer sur place" le 17 mai 1903. Une nouvelle vie commence. Dans
les années 20, les 2 enfants du couple travaillent à leur tour à l'Auberge qui a acquis
une belle réputation : Marius y restera tandis que Georges, son cadet, s'expatriera un
temps en haut du village avant de revenir au bord du lac et de créer le Cottage des
Marronniers. A l'Auberge, la cuisine de Marguerite fait tourner les têtes dont celle des
inspecteurs du guide Michelin qui la notent à 2 étoiles dès 1933 avant de lui
attribuer la note suprême en 1951. Têtes couronnées, stars du cinéma, hommes
d'affaires : les hôtes les plus illustres passent par Talloires où François - qui
épousera Charlyne en 1957-, rejoint sa mère en cuisine avant d'assumer le relais après
son décès. L'affaire de famille poursuit sa route, définitivement classée parmi les
meilleures tables de France. Marguerite, Marius, François : tous trois s'en vont.
Charlyne dirige désormais une affaire dont Sophie s'éloigne un temps. Il est encore trop
tôt pour elle et elle ne l'ignore pas. Apprentissage chez Féraud au Pique-Pierre à
Grenoble, Outhier à l'Oasis de La Napoule, Gaertner aux Armes de France à Ammerschwihr
et Trompier à La Marée à Paris. Même constat que "les filles de patron sont
souvent mal acceptées". Même envie d'apprendre et de faire ses preuves. Elle
part aussi aux Etats-Unis. Chez Jean-Louis Gerin ancien de l'Auberge et de Guy Savoy, elle
découvre "une certaine modernité, les petits jus, les cuissons plus
courtes". Pas le temps d'assouvir sa soif de connaissance : la revoilà à
Talloires sur insistance maternelle. Elle est à l'Auberge mais aussi au Café de la Place
qu'elle a ouvert dans le village, puis Chez ma Cousine créé à Doussard dans la maison
où jadis Marius fit la cour à Marguerite ! A l'orée de la quarantaine, Sophie se sent
enfin chez elle à l'Auberge où les travaux et la cuisine portent sa griffe. "Les
mauvais souvenirs ont été emportés avec les gravats", synthétise-t-elle pour
évoquer les difficultés passées. Il n'y a chez elle aucun souci de prouver ou de
bouleverser le cours des choses. "On réussit en cuisine quand on fait ce que l'on
aime. Je prône une cuisine franche, généreuse et de caractère avec une pointe
d'humour. La cuisine contribue au bonheur de nos clients qui doivent passer un bon moment
ici et prendre leur temps. Le charme de l'Auberge du Père Bise repose sur un mélange
harmonieux d'amitié, de convivialité et de générosité." En quelques mots,
tout est dit ou presque. Tout est situé de ce nouveau challenge qu'elle s'est fixé.
Reconquête des étoiles perdues ? Sans doute, mais plus que ça. Désormais entourée
d'une équipe à son image, solidement épaulée en salle par Bernard Tatin qui, gamin,
rêvait déjà de devenir maître d'hôtel, elle entend bien que l'Auberge du Père Bise
reste telle qu'elle est depuis un siècle. "L'héritage est en soi. Il y a une
histoire derrière et il faut évoluer en douceur, en restant fidèle au passé",
professe-t-elle.
J.-F. Mesplède zzz22v2v zzz18p
En dates
w 17 mai 1903
François et Marie Bise créent une auberge au bord du lac d'Annecy.
w 1933
2 étoiles au Michelin.
w Mars 1951
L'Auberge du Père Bise est de la première promotion de l'après-guerre à 3 étoiles.
w 1963
Naissance de Sophie Bise le 12 septembre
w Mai 1965 et août 1969
Décès de Marguerite puis de Marius Bise.
w Janvier 1984
Décès de François Bise à qui le guide Michelin a retiré sa 3e étoile un an
avant.
w Mars 1985
Charlyne Bise, pour 2 ans, retrouve la 3e étoile au Michelin.
w 2003
Centenaire de l'Auberge du Père Bise.
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L'Hôtellerie Restauration n° 2838 Hebdo 11 Septembre 2003 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE