du 11 septembre 2003 |
À LA LOUPE |
Comme au football, le monde de la cuisine a des transferts de taille. Celui de la rentrée, c'est l'arrivée au Meurice de Yannick Alléno.
"On
joue avec les textures, les saveurs, les contrastes", prévient Yannick Alléno.
Yannick Alléno
traverse le hall de l'Hôtel Meurice. En tenue, abordable, disponible, sourire scotché
aux lèvres, avec un je-ne-sais-quoi de fierté bien placée et de décontraction. Comme
un poisson dans l'eau. Et ça lui va bien. Il salue quelques clients, l'un d'eux vient
vers lui pour lui dire que le melon du petit-déjeuner n'était pas bon. Très bien, il va
en changer.
C'est ça qu'il veut, Yannick Alléno, il nous l'a confirmé quelques minutes plus tôt.
Etre proche de sa clientèle, rester en contact avec la salle, que le client puisse se
sentir libre de donner son avis, qu'il ait un retour direct et sans retenue, "mettre
l'accent sur une personnalité, sur la convivialité, la fidélité, et créer un vrai
lien avec le client". C'est déjà gagné.
Yannick n'est pas en terrain inconnu, il a déjà travaillé ici, comme chef de partie, il
y a 10 ans. "J'ai l'impression de ne jamais être parti", dit-il. C'est
le directeur général de l'hôtel qui l'a rappelé pour lui proposer de remplacer Marc
Marchand, parti pour un autre projet. "Nous avons beaucoup d'affinités avec M.
Borri. C'est le plus beau palace de Paris pour moi, ça ne se refuse pas."
Yannick Alléno fait visiter son nouveau domaine. En entrant dans la salle du restaurant,
il ne peut cacher son émerveillement. "C'est Versailles. C'est la plus belle
salle à manger de Paris, je vais bientôt me prendre pour Louis XVI, dit-il en riant.
Moi je vis un rêve. J'suis heureux, ça en devient presque insolent." Arrivé
le 1er août avec une partie de son équipe (33 anciens collaborateurs) pour prendre en
charge le restaurant, le jardin d'hiver, le room-service et les banquets du Meurice, le
chef a imposé ses habitudes de travail : communication, curiosité, ouverture d'esprit,
proximité avec les fournisseurs. Son arrivée, il l'a gérée avec sérénité. "Ça
ne m'a pas empêché de dormir d'arriver ici, j'ai été zen. Mais j'ai mûri."
L'hôtel compte 400 employés. "Je ne les ai pas encore tous vus", avoue
le chef. En cuisine, l'effectif s'élève à 72 personnes parmi lesquelles il a ramené
ses seconds et 50 nouvelles têtes.
Une incroyable volonté d'avancer
Une brigade recrutée en partie grâce à ses confrères qui lui ont recommandé
spontanément des noms. Solidarité du métier oblige, "l'esprit de fratrie"
est une tradition bien ancrée. Lui aussi en a bénéficié quand Paul Bocuse l'a aidé à
entrer au Scribe. "J'ai été gâté", conclut-il en pensant à son
parcours. "On a une force ici, c'est une volonté incroyable d'avancer. J'ai
trouvé ici une brigade de salle hypermotivée et intéressée", commente le chef
à propos de sa nouvelle équipe. La nouvelle carte a été testée par le personnel, pour
une meilleure synergie des équipes et d'appréhension du produit. A 35 ans, Yannick
Alléno ne veut pas parler de 'relève', il va continuer à faire ce qu'il a "toujours
fait. Je suis très attaché à la cuisine traditionnelle française, mais capable de
faire un plat très japonisant. Ma cuisine, je ne la définis pas, ce sont les autres qui
le font. Je me fais plaisir, c'est très égoïste". En 3 dimensions, ça donne
des Ormeaux confits au beurre salé, son plat fétiche, ou encore des Pinces de tourteaux
décortiquées parfumées aux agrumes et un Crémeux à l'infusion d'herbes aux grains de
caviar d'Osciètre. De la cuisine française dans toute sa splendide tradition (ris de
veau, poularde de Bresse, turbot, homard, cuisses de grenouilles, cochon de lait, etc.)
mâtinée d'un vent de fraîcheur et de créativité, juste ce qu'il faut pour respecter
l'essence du produit, avec une carte qui évolue à 100 % (et en douceur) sur l'année.
Une cuisine d'équilibre et d'harmonie. Au jardin d'hiver, il proposera une approche plus
féminine, légère, simple : vapeur, plancha, marinades, etc. Le classique chariot de
pâtisseries va se transformer en véritable "boutique à table" de
minipâtisseries gourmandes par le chef pâtissier Kirk Whitle (Cantine des Gourmets) qui
propose par exemple au restaurant un Shortbread aux framboises glacé à la verveine ou
une Pina Colada mousseuse et sa gelée au curry. "On joue avec les textures, les
saveurs, les contrastes", prévient le chef en parlant des créations
pâtisseries. Quant au bar, il va être entièrement renouvelé autour d'un nouveau
concept. "Un palace doit suivre sa clientèle, on ne doit pas se mettre dans un
carcan, la concurrence est rude, tous les palaces font appel à de grands chefs."
La cuisine dans les gènes
CAP-BEP en poche, Yannick Alléno fait son apprentissage chez Jacky Fréon au Lutétia en
1986, qui s'était déjà illustré par son Bocuse d'or. "12 ans après, c'était
moi. J'ai toujours voulu faire ça, c'était dans mes gènes." Des gènes
transmis par ses parents propriétaires d'un café-tabac et d'hôtels. Son modèle, Paul
Bocuse. "Tous m'ont marqué, Robuchon, Dutournier (un roman !)... mais Bocuse,
avec l'image de cuisinier qu'il donnait, ça me fascinait. Ce sont des gens sincères qui
ont contribué à déclencher des vocations. Ce métier-là est fait d'amour, même si
c'est un métier dur. La réussite motive, mais on bosse comme des galériens pendant
quinze ans, c'est très long."
Entre-temps, il y a eu le Royal Monceau, le Sofitel Sèvres, le Meurice, le prix Escoffier
en 1994 et le restaurant Drouant avec Louis Grondard pendant 5 ans. "Je ne ferais
pas la cuisine que je fais aujourd'hui sans lui", avoue-t-il. Arrive le Bocuse
d'argent en 1999, l'entrée au Scribe et la 2e étoile le 12 février 2002 aux Muses. Une
sacrée étape. "Les gens qui m'ont fait fantasmer étaient à ce niveau."
Alors imaginez... Il a gardé les deux classeurs de fax qu'il a reçu à cette occasion.
Le premier de Bocuse. Le deuxième de Loiseau, "et après les clients. Je suis
ravi de poursuivre le travail que font nos pères, de faire un pied de nez à ceux qui
pensent que la cuisine française est morte. On a une banque de données culinaires
incroyables dans ce pays. Ravi aussi que des maisons comme celles-ci fassent confiance aux
jeunes, il faut gérer une masse salariale et des hommes, ils prennent des risques. C'est
un peu comme si on prêtait une Porsche à quelqu'un qui vient d'avoir son permis".
En même temps, Yannick Alléno est un passionné de belles voitures. Pas de risque pour
la Porsche donc.
K. Kulawick zzz22v
En dates
1984
Formation au lycée Santos Dumont à Saint-Cloud
1992
Chef de partie à l'Hôtel Meurice à Paris
1994
1er prix international Auguste Escoffier à Nice
1999
Vice-champion du monde de cuisine (Bocuse d'argent) à Lyon
2003
Chef des cuisines au Meurice
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L'Hôtellerie Restauration n° 2838 Hebdo 11 Septembre 2003 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE