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du 19 février 2004
RESTAURATION

Un an après la disparition de Bernard Loiseau

LA PASSION INTACTE DE TOUTE UNE ÉQUIPE AUTOUR DE DOMINIQUE LOISEAU, LA GARDIENNE DU TEMPLE

Le 24 février 2003, Bernard Loiseau se donnait la mort à Saulieu, en Côte-d'Or. Sa veuve, Dominique, a repris le flambeau. Femme de devoirs, cette biochimiste de formation assure aujourd'hui avec courage - mais aussi talent - la pérennité de l'entreprise. Le tout entourée d'une équipe plus motivée que jamais.


Dominique Loiseau s'est entourée d'experts en hôtellerie et gestion. Ici, à ses côtés, Isabelle Proust, secrétaire général du Groupe Loiseau.

Comment allez-vous ?" La question vient d'emblée lorsque l'on croise Dominique Loiseau, la femme dont la vie a basculé le lundi 24 février 2003 en fin d'après-midi... Une femme jusqu'alors dans l'ombre, qui, malgré des 'pourquoi' l'assaillant sans cesse, vous répond aujourd'hui dans le blanc des yeux : "Je viens de vivre l'année la plus éprouvante de ma vie, mais ça va ! Je suis juste un peu fatiguée." Avant d'ajouter d'une voix douce et en hochant légèrement la tête que "Bernard doit être fier de nous, on a fait face au destin".
Et de quelle façon ! Il avait décidément raison, celui que l'on appelait "Monsieur 100 000 volts", de confier à certains de ses amis : "Heureusement que j'ai Dominique, elle est plus forte que moi." Presque un an après la disparition brutale de son chef très charismatique, la maison Loiseau, rebaptisée Le Relais Bernard Loiseau, brille toujours de ses plus beaux feux au sommet de la gastronomie française. Le guide Michelin lui a une nouvelle fois octroyé la récompense suprême : les fameuses 3 étoiles. "C'est extraordinaire ! Sachant que les inspecteurs du Michelin ne nous ont pas fait de cadeau. Les visites ont été nombreuses. Mais ce qui est encore plus fabuleux, c'est que l'entreprise soit toujours debout", avoue Hubert Couilloud, directeur de la restauration.
De fait, le cuisinier mondialement connu et reconnu ayant mis fin à ses jours, Dominique Loiseau aurait pu décider d'achever là cette belle aventure. Tirer tout bonnement le rideau. En vérité, c'était oublier son sens du devoir et sa force intérieure. "Derrière ses allures fragiles se cache une femme de tête. Le lendemain du drame, lorsque Madame Loiseau nous a annoncé sa volonté de continuer, nous ne pouvions pas faire autre chose que de la suivre", confesse galvanisée, Stéphanie Gaitey, attachée de direction à Saulieu.

Epreuves administratives
Et toute l'équipe l'a bel et bien suivie. Hormis la cuisine où Patrick Bertron est désormais le seul collaborateur à avoir travaillé avec Bernard Loiseau, tous - du réceptionniste en passant par la gouvernante et les chefs de rang - se sont serrés les coudes derrière leur patronne. Un élément majeur pour poursuivre le rêve de l'enfant de Chamalières. D'autant plus capital que les clients se sont eux aussi manifestés au travers de milliers de lettres pour dire "Battez vous !". "Ces messages de sympathie étaient touchants. Sans compter que nous n'avons enregistré aucune annulation après la mort de Bernard. Tout cela m'a mis du baume au cœur", reconnaît aujourd'hui Dominique Loiseau.
En attendant, la vie en 2003 n'a pas été un long fleuve tranquille pour celle qui tient maintenant les rênes du Groupe Loiseau. Elle a rencontré les pires embûches pour mener à bien sa tâche. A commencer par les rumeurs portant sur l'endettement de la société. Au regard de la publication des comptes annuels 2002 de Bernard Loiseau SA, une chose est pourtant toujours apparue évidente : la structure financière du groupe était saine. Le montant des dettes s'élevant en effet à moins de 40 % des capitaux propres. Un ratio qui fait pâlir d'envie bon nombre de professionnels du secteur. "La Banque de France nous a d'ailleurs attribué un coefficient d'excellence n° 3", souligne Dominique.
Et de poursuivre en faisant la grimace : "Reste que j'ai eu à affronter des épreuves administratives incroyables liées à la succession." Avec des enfants mineurs et une société cotée en Bourse, tout se complique très vite. Il a fallu en outre rassurer les actionnaires afin de leur prouver qu'il y avait toujours un 'pilote dans l'avion'.  


Le ballet des serveurs est toujours aussi bien 'huilé', dans une salle de restaurant des plus lumineuses.

Une véritable 'dream team'
Détestant l'imprévu et cherchant à s'entourer de spécialistes de l'hôtellerie et de la gestion, cette biochimiste de formation a également été très vite amenée à élargir son conseil d'administration grâce à la nomination de nouveaux administrateurs tels Bernard Clauzel, professeur agrégé de gestion à l'Ecole hôtelière de Paris, et Philippe Pascal, patron de la branche montres et joaillerie de LVMH. Sans oublier la mise en place d'un comité de direction composé d'Hubert Couilloud, responsable de l'ensemble de l'activité restauration de la société, Patrick Bertron, chef à Saulieu depuis 21 ans, et d'Isabelle Proust, en charge de la direction administrative et financière, des ressources humaines et de la stratégie de développement.
Une véritable 'dream team', qui tranquillise sans aucun doute cette femme d'une extrême vigilance ainsi que la communauté financière. Sachant que parallèlement la totalité des emprunts souscrits (soit 3,6 Me) ayant fait l'objet d'une couverture en cas de décès du fondateur, la compagnie est aujourd'hui totalement désendettée. De quoi envisager l'avenir sous les meilleurs auspices. D'autant plus que Dominique Loiseau a aussi montré des qualités managériales indiscutables au cours des 12 derniers mois. La bonne humeur et la sérénité qui habitent chacun des salariés en témoignent. A Saulieu, rien n'a changé. Convivialité, sourire, authenticité, simplicité, quête de la perfection..., les valeurs défendues bec et ongles par Bernard Loiseau sont plus que jamais à l'ordre du jour.  

De l'innovation au piano
Mais, l'innovation est également au rendez-vous. Conforté par le p.-d.g. du Groupe Loiseau, Patrick Bertron ne s'est pas endormi sur ses lauriers. Bien au contraire ! Au piano, il a créé une bonne quinzaine de plats inédits dont plusieurs vous laissent bouche bée. C'est le cas notamment de la Palette de caviars et croustillants de légumes, sauces acidulées, ainsi que du Turbot à l'unilatérale accompagné d'une farce d'huîtres et pointes d'asperges, sauce au chablis. "On garde les grands classiques de Monsieur Loiseau comme les Jambonnettes de grenouilles, le Sandre sauce au vin rouge, ou bien encore le Blanc de volaille fermière et foie gras poêlé. Mais, on innove aussi sans le trahir", indique le chef des cuisines, secondé depuis peu par Christophe Quéant.
Du changement, il y en a eu par ailleurs côté pâtisserie avec Pascal Trouvé qui lui aussi n'a pas perdu son temps. Croustillant de figues au vin de Bourgogne, marmelade en opaline et sorbet figues, nougatine à la 'cazette' de noisettes et caramel mou..., les gourmands ont intérêt à bien se tenir. Et très sérieusement parce que la gamme des chocolats a également pris de l'ampleur. Et les choses ne s'arrêteront pas là puisqu'au programme de cette année figurent le lancement de confiseries à l'ancienne (nougats, guimauves, caramels...) et la création d'un bonbon en hommage au chef tant aimé. "Monsieur Loiseau adorait le sucré. Je travaille donc à l'élaboration d'un bonbon qu'il aurait apprécié", indique Patrick Bertron, l'œil coquin. Un bonbon après tout cela peut permettre de véhiculer l'image de la maison auprès de nouveaux consommateurs. Pareil aux missions de consulting (Manotel) et plats cuisinés sous vide, réalisés avec la société Agis.

Consolider les acquis
Malgré le décès du chef étoilé, ce groupe français continue d'ailleurs de développer la Ligne Bernard Loiseau avec succès. "6 nouvelles références ont vu le jour cette année. Des recettes comme l'Effeuillé de morue parmentière et la Cuisse de canard rôtie aux pommes de terre fondantes ont séduit la clientèle", commente Yves Bayon de Noyer, p.-d.g. d'Agis. Et d'ajouter : "Nous avons bien sûr fait évoluer le packaging en apposant une photo de Bernard un peu plus petite. Il n'empêche que les faits sont là : la marque Bernard Loiseau plaît." Marque qui, devenue un véritable gage de qualité, a séduit récemment un nouveau partenaire, en l'occurrence Besserat de Bellefon (groupe Marne et Champagne). Résultat : les restaurants parisiens (Tante Louise, Tante Jeanne et Tante Marguerite) affichent désormais à leur carte la Cuvée des Moines de ladite maison champenoise. Nul doute, la confiance est revenue. Il n'en demeure pas moins vrai que Dominique Loiseau doit se battre sur tous les fronts à la fois. Aujourd'hui, son objectif est de consolider les acquis. Le chiffre d'affaires 2003 de la société a en effet sensiblement chuté (- 25 %) à 8 269 930 e. Une baisse tout à fait honorable compte tenu de la conjoncture et du contexte propre à l'entreprise. "Nous allons toutefois tout mettre en œuvre pour inverser la tendance", lance Dominique Loiseau. Le maintien de la 3e étoile devrait bien sûr y contribuer. Ainsi que le plan de bataille concocté par l'équipe dirigeante qui est loin d'avoir dit son dernier mot. Affaire à suivre de près...
Claire Cosson zzz22v

Une équipe qui a plus que jamais 'la niaque'

JEAN-PHILIPPE GUÉRIAUX, directeur des restaurants Tante Louise, Tante Marguerite et Tante Jeanne à Paris
"A titre personnel, la disparition de M. Loiseau a été un choc terrible. D'autant qu'il me téléphonait tous les jours pour prendre la température des restaurants parisiens. Au début, il y a donc eu des moments difficiles. Mais, nous avons très vite reçu de nombreux témoignages de sympathie de la part des clients. Les Tante affichaient d'ailleurs complet 2 à 3 jours après le décès. Et puis Mme Loiseau a fait preuve d'une telle force face à l'adversité qu'il est devenu impossible d'envisager l'avenir autrement qu'en poursuivant l'œuvre de notre patron. Après une année 2003 de transition, l'heure est maintenant venue de développer des synergies avec Le Relais Bernard Loiseau à Saulieu. Autrement dit, adopter un véritable esprit de groupe. Il y a encore beaucoup de gens qui déjeunent où dînent chez nous sans même savoir que nos établissements ont été fondés par Bernard Loiseau. Autant le leur dire pour qu'ils puissent découvrir les autres maisons de l'entreprise. Pour faire passer le message, nous allons mettre 2 plats traditionnels de M. Loiseau à la carte dans chacune de nos unités parisiennes."

PATRICK BERTRON, chef des cuisines
"Au début, j'ai eu des semaines extrêmement pénibles. J'éprouvais un véritable manque. J'avais l'impression qu'il allait débarquer en cuisine à tout moment. Par ailleurs, pas mal de gars ont quitté l'entreprise après la disparition de M. Loiseau. Hormis un apprenti, je suis depuis le 15 décembre dernier le seul cuisinier à avoir travaillé à ses côtés. De quoi se poser des questions, qui plus est quand les candidats ne répondent pas à vos annonces. A l'été, on m'a toutefois donné les moyens de mieux m'affirmer. J'avais de fait décidé de continuer, mais à la condition de ne pas faire une cuisine de musée. J'ai donc renouvelé sensiblement la carte, créant entre 15 à 20 nouveaux plats. Je garde les grands principes de M. Loiseau, notamment au niveau des saveurs, mais j'innove aussi. Sans trahir. Ce qui signifie que je cuisine toujours des produits du terroir français. Cependant, je cherche à faire évoluer la manière de travailler ces produits. Je considère que l'on doit offrir au client une jolie présentation, des goûts et un cheminement dans son assiette. En 2003, j'ai ainsi planché sur les entrées et les poissons en inscrivant à la carte du saint-pierre, par exemple, accompagné d'asperges sautées à cru ou bien encore du lieu jaune avec des cèpes... Cette année, je m'attaque aux viandes. Et je suis confiant dans ma démarche. D'une part parce que les clients se disent satisfaits de ma cuisine ; d'autre part, le guide Michelin semble toujours apprécier notre maison. Ajoutons à cela que nous suscitons à nouveau l'intérêt de nombreux jeunes qui souhaitent venir travailler chez nous."

HUBERT COUILLOUD, directeur de la restauration
"Je dois bien l'avouer aujourd'hui : je me suis dit durant une demi-journée que l'on allait fermer. A quoi bon... Mais ce qui a été déterminant, c'est que Dominique Loiseau accepte de relever le défi que lui lançait le destin en déclarant : "On continue." A ce moment-là, il n'y avait plus aucune hésitation à avoir. Nous devions poursuivre l'œuvre de Bernard. Lui qui nous a tant fait rêver et toujours dit que jamais rien n'est insurmontable.
Nous devions continuer pour lui, mais aussi pour tous ces clients qui se sont montrés d'une extraordinaire gentillesse. Certains pleurant parfois dans la salle de restaurant tant ils étaient émus par la disparition du chef. Un an après, la cicatrice est encore ouverte. Il n'en demeure pas moins vrai que nous sommes toujours là ! C'est déjà fabuleux en soi. Et ce qui ne gâche rien à l'affaire, c'est aussi d'avoir conservé la 3e étoile. Etoile que nous avons obtenue non grâce à l'affect, mais tout simplement en perpétuant la philosophie de Bernard. A savoir, aller de l'avant en proposant une prestation haut de gamme de qualité et vraie à la fois."

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