du 8 avril 2004 |
ACTUALITÉ JURIDIQUE |
Ruinée après avoir acheté un hôtel
En 1992, Françoise Choplin achète un hôtel qui se révélera non conforme aux règles de sécurité et entraînera la fermeture administrative de l'établissement. Ruinée et sans ressources, elle se bat pour voir reconnaître la responsabilité du notaire qui a réalisé la vente.
Eric Azoulay, avocat à Pontoise et Françoise Choplin à la sortie de l'audience. |
Cela
fait 9 ans et plus de 18 plaidoiries que j'attends ce moment. Voir enfin reconnaître la
responsabilité du notaire, et que celle-ci éclate au grand jour", déclare
Françoise Choplin devant la première chambre civile du tribunal de grande instance de
Nantes, qui doit statuer sur son affaire ce mercredi 24 mars.
Tout a commencé en 1992, quand elle décide de changer de carrière professionnelle.
Cela tombe bien, Roger Bodiguel, notaire à Vieillevigne, qui a déjà réalisé la vente
de 2 appartements lui appartenant, lui propose de racheter un petit hôtel dans le centre
de Nantes, l'Armoric Hôtel. Il lui conseillera de racheter les parts sociales de la
société qui exploitait le fonds. Elle suivra son conseil.
Le notaire rédige tous les actes
En juin 1992, Françoise Choplin achetait donc à M. Corgnet l'hôtel composé de 2
bâtiments pour une somme d'environ 1,7 millions de francs et l'intégralité des parts
sociales de l'EURL Armoric Hôtel pour une valeur de 445 000 francs. Le produit de la
vente des 2 appartements (environ 1 million de francs) ne suffisant pas à couvrir le
montant de l'achat, elle fera un prêt bancaire de 700 000 francs. Elle aura aussi recours
à un emprunt de 360 000 francs auprès d'un investisseur privé, Raymond Rolland, pour
financer l'achat des parts sociales. Afin de garantir cet emprunt, un membre de sa famille
ainsi qu'une amie se portent caution à hauteur du montant emprunté. Pour éviter les
mauvaises surprises, il est aussi prévu une clause de garantie de passif à hauteur de
100 000 francs. Et c'est là que tout se complique : c'est le même notaire qui non
seulement représentera les deux parties à la vente, le vendeur et l'acheteur, mais
rédigera aussi tous les actes juridiques de cette vente, à savoir l'acte de vente, de
cession de parts, le contrat de prêt pour les parts sociales, la clause de garantie de
passif ainsi que les actes de cautionnement. Eric Azoulay, avocat de la région parisienne
de Françoise Choplin, insistera lors de sa plaidoirie sur le rôle et la responsabilité
du notaire, qui est le rédacteur des actes mais qui était aussi le conseil de l'ensemble
des parties. "Le rédacteur de l'acte avait une obligation de conseil, bien que
l'on puisse considérer dans cette affaire qu'il a plus conseillé le vendeur que
l'acheteur."
Les mauvaises surprises commencent
Il n'aura pas fallu attendre 3 semaines d'exploitation de l'hôtel pour voir arriver
les premières mauvaises surprises. Françoise Choplin reçoit un appel de sa banque à
propos d'un découvert de 150 000 francs. Il s'avère, en fait, que le précédent
exploitant avait émis des chèques pour payer les fournisseurs de l'EURL Armoric Hôtel.
Mais les chèques émis avant la cession ne seront débités sur le compte de la société
qu'après la reprise par Mme Choplin. Celle-ci se met d'accord avec son banquier pour
couvrir le découvert et fait donc un emprunt de 180 000 francs. Tout en demandant
parallèlement au notaire de faire jouer la garantie de passif qui doit pallier à ce
genre de désagrément. Mais cette clause ne sera jamais mise en action.
Françoise Choplin, totalement investie dans l'exploitation de son établissement qui
démarre sur les chapeaux de roues, laissera son comptable s'en occuper. Elle travaille en
collaboration avec l'office de tourisme de Nantes et les associations sportives de la
ville. Elle propose des tarifs forfaitaires pour les groupes, tout en ayant une clientèle
de passage régulière. Ses actions commerciales lui permettent d'avoir un taux de
remplissage de 75 % à l'année.
Puis, en 1994, elle souhaite faire des travaux d'embellissement dans son hôtel, et
à cet effet demande une subvention au conseil régional. Là, c'est la première douche
froide : non seulement elle n'obtiendra pas les subventions mais, surtout, on lui retire
sa première étoile en raison de la non-conformité de l'hôtel aux normes de classement,
alors que l'établissement avait bien été vendu comme hôtel 1 étoile. Peu de temps
après, en 1995, c'est au tour de la commission de sécurité de venir dans son
établissement. "A cette occasion, j'avais demandé aux deux propriétaires de
venir assister à cette visite, mais ils m'ont répondu qu'ils n'étaient pas concernés,
et je me retrouve seule", précise-t-elle. "J'ai commencé à prendre
conscience des problèmes quand les agents des services de sécurité m'ont dit qu'ils
venaient vérifier si les travaux demandés à mon prédécesseur 4 ans auparavant avaient
été effectués." La commission de sécurité laissera malgré tout un délai
supplémentaire d'un an à Mme Choplin pour réaliser ces travaux énormes dont le coût
est évalué à l'époque à plus de 600 000 francs. Mais cette dernière n'avait plus les
ressources financières pour effectuer un nouvel emprunt.
Elle s'adresse à ces deux propriétaires des murs pour leur demander de mettre
l'hôtel en conformité et, par conséquent, d'effectuer les travaux. "Quand les
propriétaires m'ont répondu : 'On ne fera pas plus les travaux pour vous que pour votre
prédécesseur', là, j'ai vraiment compris que je m'étais fait avoir et que le vendeur
s'était débarrassé de son hôtel avant d'avoir tous les problèmes."
La justice lui donne gain de cause
trop tard
Françoise Choplin va faire une action en justice pour demander que les
propriétaires prennent en charge ces travaux imposés par l'autorité administrative. Et
là, contre toute attente, le tribunal statuera que ces travaux sont à sa charge.
La mairie prononcera la fermeture administrative de l'établissement le 5 mars 1996.
Ce qui entraînera la liquidation judicaire de l'hôtel en octobre de la même année.
Heureusement pour elle, elle demandera la résiliation judiciaire du bail en décembre. En
effet, au début de l'année 1997, Nantes connaîtra d'importantes chutes de neiges qui,
lors de la fonte, entraîneront beaucoup de dégâts et un dégât des eaux. Les
propriétaires des murs iront même jusqu'à réclamer la remise en état des murs.
C'est seulement le 4 février 1998 que la cour d'appel de Rennes reconnaîtra que ces
travaux incombaient au propriétaire des murs. La cour jugera que le refus par les
propriétaires d'effectuer ces travaux avait entraîné la fermeture administrative de
l'hôtel. En conséquence, elle condamna solidairement les deux propriétaires des murs en
leur imputant la totalité du passif de la liquidation judiciaire de l'établissement, et
exigea d'eux le remboursement à Mme Choplin de la valeur du montant des parts sociales de
l'hôtel, soit une somme de 445 000 francs.
Elle ne touchera jamais son argent
Françoise Choplin avait perdu la valeur de son hôtel, alors elle aurait au moins
dû percevoir la valeur des parts sociales. Or, non seulement elle ne touchera jamais
cette somme, mais en plus, elle doit aujourd'hui encore 150 000 francs. En effet, le
notaire subrogé dans les droits de M. Rolland, qui avait prêté l'argent des parts
sociales, fait bloquer cette somme d'argent et, en plus, demande des intérêts de retards
de 150 000 francs à compter du moment où l'hôtelière n'a plus remboursé son
créancier. Heureusement pour l'amie et le membre de sa famille qui s'étaient portés
caution, l'acte de caution effectué par le notaire sera annulé pour vice de forme.
Considérant que le notaire a failli dans son obligation de conseil et qu'il l'a
trompée, Françoise Choplin l'assigne aujourd'hui en réparation de son préjudice et lui
demande à ce titre des dommages et intérêts d'un montant de 4 millions de francs. Ce
qui représente la valeur d'achat de l'hôtel pour 1,7 million, un manque à gagner de ce
fait de 1,5 million et 750 000 francs au titre du préjudice moral.Le jugement, qui a
été mis en délibéré, sera rendu le 12 mai prochain.
P. C. zzz22v
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L'Hôtellerie Restauration n° 2867 Hebdo 8 avril 2004 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE