du 15 avril 2004 |
LA PAGE DU CHEF |
Produits ethniques, casher et halal
Une interview d'Antoine Bonnel, créateur du Salon des Terroirs du Monde.
Antoine Bonnel - Fondateur du Salon des Terroirs du Monde : "75% des Français ont consommé au moins une fois un plat cuisiné ethnique en 2003." |
L'Hôtellerie : Depuis
2000, l'année où vous avez créé la 1re édition du Salon des Terroirs du Monde, quels
changements avez-vous notés d'une façon générale sur le marché des cuisines ethniques
appelé 'world food' ?
Antoine Bonnel : Le marché de la world food est
arrivé à une certaine maturité. Il connaît une croissance de 10 % par an, et 75 %
des Français ont consommé au moins une fois un plat cuisiné ethnique en 2003. Et l'on
peut dire que le tex-mex ne fera plus partie des cuisines dites ethniques ou exotiques et
sera intégré sous peu. Cependant, ce marché s'ouvre sur de nouveaux horizons. On peut
noter la performance importante de la cuisine indienne en France, qui va, dans les
prochaines années, constituer une tendance de développement majeur pour ce marché. On a
vu également l'arrivée assez importante de la cuisine japonaise, contrairement aux
études marketing qui affirmaient, il y a 3 ans, que les Français ne mangeraient jamais
de poisson cru. La réalité a montré que les consommateurs sont devenus ouverts à toute
découverte gustative pourvu qu'elle corresponde à une recherche cohérente de leur part.
L'Hôtellerie : Les
produits casher et halal semblent se développer...
Antoine Bonnel : C'est vrai. L'autre grand
changement est la prise de conscience en termes d'alimentation des communautés juive et
musulmane, qui constituent la mosaïque des cultures en Europe : la communauté juive a
construit, avec les produits casher, une filière qui a su garantir la traçabilité des
produits tout en respectant le cahier des charges prescrit par le cashroute. En France,
les ventes de produits casher ont augmenté de 30 % en 2003. Tout comme aux Etats-Unis. Et
en dehors de la communauté juive, de plus en plus de consommateurs végétariens ou
végétaliens, d'allergiques au lactose ou bien de personnes soucieuses de traçabilité
se tournent vers les produits casher. Aux Etats-Unis, on compte 11 millions de
consommateurs de produits casher. Le label 'casher' est devenu là-bas un véritable label
de qualité. D'ailleurs, toutes les grandes marques de l'industrie agroalimentaire
présentes sur le marché américain sont casher (Master Food, Heinz...). En ce qui
concerne les produits halal, nous n'en sommes qu'au début. Il est vrai que la filière
halal n'a pas encore atteint ses objectifs en termes de certification, contrôle et
traçabilité des produits. Cependant, ce marché connaît une progression de 15 % par an,
et 10 % de la consommation bovine, ovine et avicole en France est halal. Les consommateurs
de la communauté musulmane sont de mieux en mieux informés sur les produits qu'ils
consomment. Ils commencent à découvrir que jusqu'alors, en dehors de la viande, les
produits qu'ils achètent tels que biscuits, chocolats, confiseries, yaourts...
contiennent bien souvent des ingrédients à base de porc (gélatine...). Ils sont donc en
attente de produits halal.
Très tendance, la cuisine au wok. |
L'Hôtellerie : Et les
changements en restauration ?
Antoine Bonnel : Ce qui a changé en 3 ans, c'est
le fantastique bond des restaurants thématiques : aujourd'hui, 1 restaurant sur 2 s'ouvre
sur un concept de cuisine ethnique, voire de fusion food ou de world food. On a vu des
initiatives nouvelles sur le créneau du Maghreb (La Maison de Charly ou Chez Bebert,
porte Maillot à Paris, le restaurant Rouge Tendance à Lyon, qui, dans son espace Café
berbère, propose des tajines qui font d'ailleurs bon ménage avec le wok). D'autres
initiatives sont apparues sur le créneau de la restauration africaine (l'Impala Lounge du
groupe Bertrand, le Bodegon Colonial du groupe Restsoleil Tempobac). Dans le secteur
indien, on sort de la communauté et on va vers des concepts plus modernes, plus en
adéquation avec les tendances de restauration créées par des groupes pas forcément
originaires du pays (le Nirvana Lounge à Paris, la Porte des Indes à Londres, mais dont
un projet à Paris est à l'étude...). Quant à la cuisine asiatique, elle est de plus en
plus tendance et ce dans le monde entier, notamment avec la cuisson au wok : Tiger Wok à
Strasbourg et à Lille, Mendo à Lyon (pâtes asiatiques parfumées aux épices et
mélangées avec viandes, poissons, volailles), Rouge Tendance à Lyon qui propose une
cuisine indonésienne en plus de cuisines mauresque et indienne, mais aussi Mister Vuong
en Allemagne (vietnamienne) ou Mister Woxys, restaurant des Center Parcs en Hollande et en
Belgique, qui proposent désormais une cuisine asiatique (chinoise, indonésienne,
thaïe...). Enfin, nous devons tenir compte des communautés internationales qui
s'installent et se regroupent en Europe sur les segments casher et halal. A Paris, il y a
200 restaurants casher (plus qu'en Israël, où seulement 20 % de la population mangent
casher), 84 traiteurs et 21 restaurants communautaires. En RHD, le marché halal commence
à démarrer notamment sur l'ensemble du marché de la restauration collective, le marché
des pizzas à emporter et livrées à domicile. Par ailleurs, une vingtaine de fast-foods
qui affichent 100 % viande de poulet halal, Tasty Fried Chicken, Paris Fried Chicken ou
Chicken Spot, qui souhaitent concurrencer Quick, McDo ou KFC. Les établissements KFC,
cependant, proposent également une viande halal, mais ils ne l'affichent pas en France
alors qu'ils le font sur certains de leurs restaurants aux USA. Ils montrent cependant
volontiers leur attestation halal à qui la demande.
L'Hôtellerie :
Comment évolue la demande de produits ethniques en restauration ?
Antoine Bonnel : La demande de produits ethniques ne
provient plus seulement des restaurants positionnés sur le créneau world food, elle tend
à se généraliser dans tous les types de restaurants. Cela veut dire qu'aujourd'hui, un
restaurant comme Hippopotamus dont le concept est basé sur la viande propose des plats
indiens, chinois... Cette chaîne fait d'ailleurs un score important sur les entrées
chinoises. La restauration dite traditionnelle s'est de plus en plus diversifiée, d'une
part à cause de problèmes alimentaires comme celui de la vache folle, et d'autre part en
raison du besoin d'évasion et de voyage des consommateurs. Aujourd'hui, les grands chefs
utilisent de plus en plus d'ingrédients nouveaux et on parle de plus en plus de fusion
food. Mais le phénomène le plus curieux de ces tendances est peut-être de constater que
cette thématisation des cuisines a produit un effet d'entraînement. On constate qu'elle
a donné une impulsion aux terroirs français. On voit l'ouverture de restaurants
indépendants provençaux ou du Sud-Ouest très conceptuels, conçus avec le même type
d'ingrédients que ce qui a fait le succès de la restauration world food : un décor
spécifique, une culture, des plats personnalisés... Nous sommes d'ailleurs en discussion
avec les régions françaises comme l'Auvergne, la Provence-Alpes-Côte d'Azur, le Centre
et l'Aquitaine, qui ont compris l'opportunité de se positionner sur ce créneau en France
ou à l'étranger aussi bien en GMS qu'en RHD. Ces régions seront d'ailleurs présentes
au 4e Salon des Terroirs du Monde. Elles ont compris sous quelle forme elles pouvaient
tirer parti de cet engouement pour les produits du monde en se positionnant dans ce
concept terroirs du monde.
Propos recueillis par B. Gutel zzz22v zzz44h
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L'Hôtellerie Restauration n° 2868 Hebdo 15 avril 2004 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE