Syrie, Tchétchénie, Afghanistan, Sri Lanka, Éthiopie, Inde, Iran… Louis Jacquot et Sébastien Prunier sont deux jeunes entrepreneurs (tous deux ont 29 ans) ouverts sur le monde. Ils ont vécu à l'étranger et ont beaucoup voyagé, curieux des différentes cultures et sensibles aux drames qui se sont abattus sur des familles contraintes à quitter leur pays en guerre. Ces deux diplômés de l'école de commerce de Rouen ont concocté leur projet en trois mois, et après avoir multiplié les rencontres. L'objectif des Cuistots migrateurs : créer une entreprise pérenne dans le domaine de la restauration qui aide à la réinsertion professionnelle des réfugiés et qui permette de faire découvrir des cuisines du monde. "C'est une entreprise sociale, mais nous ne sommes pas subventionnés. La rentabilité du projet a toujours été une évidence pour nous, comme son impact positif. C'est une entreprise qui a du sens. C'est très important pour nous", assure Sébastien Prunier. Dans un premier temps, le périmètre de l'activité se limite au traiteur en direction des entreprises et des particuliers, sous la forme de buffets et cocktails, à partir de 30 personnes.
Tester les connaissances et les motivations
Soutenus par Le Comptoir à Montreuil, accélérateur de start-ups du grand Paris et par la plateforme dédiée à l'innovation alimentaire Smart Food Paris, incubateur lancé par la mairie, les Cuistots migrateurs ont commencé à recruter par l'intermédiaire de l'association France terre d'asile, qui vient en aide aux réfugiés. Les candidats, qui ont tous obtenu le droit d'asile et un permis de séjour de dix ans les autorisant à travailler, remplissent un questionnaire en ligne puis sont convoqués pour un entretien au cours duquel ils feront goûter leurs spécialités. Louis Jacquot, également détenteur d'un CAP cuisine passé au lycée Belliard à Paris, se trouve alors face à des profils très variés : "Certains étaient chefs, travaillaient dans des restaurants, tandis que d'autres ont des expériences moins professionnelles, mais connaissent parfaitement les plats identitaires de leur pays d'origine, les plats familiaux. Il faut ensuite déterminer leur niveau, tester leurs connaissances, leurs motivations. Mais il ne faut jamais perdre de vue qu'ils ont tout perdu, souvent en très peu de temps. Il faut faire preuve de patience et de respect."
Puis les Cuistots migrateurs ont trouvé une cuisine au Petit Bain, restaurant et salle de concert solidaire, située sur une péniche amarrée au port de la gare, en bord de Seine. Cette fois, c'est un rendez-vous avec le public, du mardi au samedi soir, grâce à un stand en triporteur sur le quai qui permet à l'entreprise de prendre une nouvelle direction. Ce triporteur va circuler sur divers événements, du Fooding à l'Unesco, en vente directe. Un brunch le week-end fera aussi bientôt son apparition. "Aujourd'hui, nous sommes à la recherche d'un local, de 50 à 100 m², à Paris ou dans la Petite Couronne, pour y installer notre laboratoire. Nous voulons développer notre activité traiteur car nous avons une offre originale qui plaît beaucoup. Les clients sont surpris et ravis", poursuit Sébastien Prunier.
Élaborer les cartes avec un chef français
Le duo d'entrepreneurs est également en quête d'un chef cuisinier français, expérimenté (au moins dix ans de métier), intéressé par le côté social de l'entreprise et par les cuisines du monde. Avec chaque cuisinier étranger, il est nécessaire de travailler les recettes, de les concevoir en petites portions, d'améliorer l'esthétique parfois, de réduire les épices si besoin… C'est un échange qui doit s'instaurer entre le cuisinier syrien ou tchéchène et le chef français afin de développer les cartes. La collégialité et l'entraide font partie des valeurs à partager au même titre que les savoirs.
"Nous voulons continuer à maintenir un lien direct avec le public que ce soit par le biais de corners ou de restaurants éphémères. Le contact entre le public et nos chefs réfugiés est primordial, car il joue un rôle crucial dans le changement du regard porté aux migrants", estime Louis Jacquot. À terme, l'ouverture d'un restaurant est une possibilité. Et pour continuer dans cette voie, les investisseurs sont les bienvenus.
Publié par Nadine LEMOINE
jeudi 27 octobre 2016