Alain Ducasse : "Je conçois la cuisine dans sa globalité, pas en termes de plats"

Le chef, triplement étoilé au Plaza Athénée à Paris, au Louis XV à Monaco et au Dorchester à Londres, revient sur son parcours et sur sa vision du métier.

Publié le 01 mars 2017 à 11:22

L'Hôtellerie Restauration : Quand avez-vous su que vous vouliez devenir cuisinier ?

Alain Ducasse : J'avais 12 ans quand j'ai décidé de faire la cuisine. Je vivais dans la ferme de mes parents et avant le goût, ce sont les odeurs des plats de ma grand-mère qui ont déclenché l'envie de devenir cuisinier, sans avoir jamais mis les pieds dans les cuisines d'un restaurant. Je ne savais rien de ce métier. Je suis né dans une ferme dans la Chalosse, dans le sud-ouest du département des Landes. On mangeait les produits de la ferme et on était quasiment autonomes puisque, mis à part le beurre que produisait le voisin, on pouvait vivre en autarcie avec nos légumes, nos volailles, nos cochons, nos lapins…

Ma mère m'a mis dans un routier pour essayer de me dégoûter du métier. Finalement, ça n'a pas marché. Certainement par esprit de contradiction, ce qui m'a assez bien réussi jusqu'à présent. Elle m'a donc envoyé à l'école hôtelière de Bordeaux. Trois mois avant de passer mon BTH, je me suis tiré. Je trouvais que l'on n'apprenait pas assez vite. J'ai protesté, le chef des travaux m'a dit : "Ducasse, tu la ramènes beaucoup, on va te virer." J'ai répondu : "Vous n'allez pas me virer, je me tire." Et je ne suis jamais revenu. Je suis allé chez Michel Guérard comme commis et j'y suis resté deux ans. C'était il y a quarante ans, et c'était le tout début de la nouvelle cuisine. Puis je suis allé chez Lenôtre, Roger Vergé et Alain Chapel.

 

Comment définiriez-vous la griffe Ducasse ? Avec deux restaurants à Paris, au Plaza Athénée et au Meurice, comment faire différent ?

Je ne fais pas la cuisine, je fais des cuisines. Elles sont différentes dans chaque restaurant que j'anime et on raconte une histoire distincte dans chaque lieu que j'investis. On part d'une page blanche et on décide de l'histoire que l'on va raconter. Quand je réfléchis à un lieu, je conçois la cuisine dans sa globalité, pas en termes de plats. La recette, c'est finalement ce qu'il y a de plus facile. Il faut d'abord écrire l'histoire, et la recette en est l'ingrédient. Au Plaza Athénée, il n'était pas question de faire une cuisine proche de celle du Meurice. Nous nous sommes concentrés sur les légumes, les céréales et la pêche durable. Quand on y repense, le menu tout légumes de Monaco date du 25 mai 1987. Si au début on en vendait peu, aujourd'hui il représente 20 % des ventes. Il y a donc longtemps que je m'intéresse aux légumes et aux céréales. Et je ne sais pas ce que je vais faire demain.

Votre grand plat classique favori ?

J'en ai 25 ! Si c'est le plus magnifique des vol-au-vent, j'adore ! Si c'est un filet de boeuf piqué de truffes, un lièvre à la royale, une tourte de gibier… Quand c'est grand, c'est magnifique ! Un plat avec de la sauce, parce que c'est une cuisine qui sied bien à servir du vin.

 

Votre plat best-seller à votre carte dans chacun des trois restaurants ?

Les Gamberoni de San Remo, fine gelée de poisson de roche, caviar au Louis XV ; le Petit pâté chaud de perdreau, foie gras et chou au Meurice ; les Lentilles vertes du Puy et caviar, délicate gelée d'anguille au Plaza Athénée.

 

Votre plat préféré dans chacune des trois cartes ?

J'ai goûté une magnifique Cookpot de millet, champignons sylvestres et chou plume au Louis XV ; la Courge butternut, cèpes et châtaignes, sucs de potiron acidulés au Meurice et, en ce moment, je travaille sur un Bar de l'Atlantique, endive de pleine terre, lait végétal au Plaza Athénée.

 

Votre plus grand souvenir au restaurant ?

En 1976, je suis allé dîner avec deux collègues chez Alain Chapel à Mionnay. Le niveau d'excellence et la justesse de ce que j'ai mangé m'ont tellement interpelé que je me suis dit : "Un jour, je travaillerai ici." C'était une cuisine très contemporaine, ancrée dans son terroir et Alain Chapel avait déjà comme priorité la sélection des produits. À l'époque, ce n'était pas le sujet. C'était la créativité avant tout.

 

Au restaurant, en tant que client, sur quoi se porte votre attention ?

Je veux que l'on s'occupe de moi. C'est d'ailleurs pour cette raison que dans mes restaurants, les clients sont tout de suite accueillis avec quelque chose à manger et à boire.

 

Ce qui vous agace le plus ?

Ceux qui choisissent de mal faire, alors que bien faire, cela fait gagner du temps ! Il faut faire de son mieux dans sa catégorie et savourer le plaisir du travail bien fait. Je ne supporte pas non plus la mauvaise foi.

 

Le secret de la réussite ?

Travailler plus, plus vite et mieux. Ce que l'on peut cumuler avec cette autre maxime : rigueur, discipline et exigence. Et cela s'applique dans tous les métiers.


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Publié par Nadine LEMOINE



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