L'Hôtellerie Restauration : Quand avez-vous su que vous vouliez devenir
cuisinier ?
Alain
Ducasse : J'avais 12 ans quand j'ai décidé de
faire la cuisine. Je vivais dans la ferme de mes parents et avant le goût, ce
sont les odeurs des plats de ma grand-mère qui ont déclenché l'envie de devenir
cuisinier, sans avoir jamais mis les pieds dans les cuisines d'un restaurant.
Je ne savais rien de ce métier. Je suis né dans une ferme dans la Chalosse,
dans le sud-ouest du département des Landes. On mangeait les produits de la
ferme et on était quasiment autonomes puisque, mis à part le beurre que
produisait le voisin, on pouvait vivre en autarcie avec nos légumes, nos
volailles, nos cochons, nos lapins…
Ma mère m'a mis dans un routier
pour essayer de me dégoûter du métier. Finalement, ça n'a pas marché.
Certainement par esprit de contradiction, ce qui m'a assez bien réussi jusqu'à
présent. Elle m'a donc envoyé à l'école
hôtelière de Bordeaux. Trois mois avant de passer mon BTH, je me suis tiré. Je
trouvais que l'on n'apprenait pas assez vite. J'ai protesté, le chef des
travaux m'a dit : "Ducasse, tu la ramènes beaucoup, on va te virer."
J'ai répondu : "Vous n'allez pas me virer, je me tire." Et je ne
suis jamais revenu. Je suis allé chez Michel Guérard comme commis et j'y suis
resté deux ans. C'était il y a quarante ans, et c'était le tout début de la
nouvelle cuisine. Puis je suis allé chez Lenôtre, Roger Vergé et Alain Chapel.
Comment
définiriez-vous la griffe Ducasse ? Avec deux restaurants à Paris, au Plaza
Athénée et au Meurice, comment faire différent ?
Je ne fais pas la cuisine, je
fais des cuisines. Elles sont différentes dans chaque restaurant que j'anime et
on raconte une histoire distincte dans chaque lieu que j'investis. On part d'une
page blanche et on décide de l'histoire que l'on va raconter. Quand je
réfléchis à un lieu, je conçois la cuisine dans sa globalité, pas en termes de
plats. La recette, c'est finalement ce qu'il y a de plus facile. Il faut d'abord
écrire l'histoire, et la recette en est l'ingrédient. Au Plaza Athénée, il n'était
pas question de faire une cuisine proche de celle du Meurice. Nous nous sommes
concentrés sur les légumes, les céréales et la pêche durable. Quand on y
repense, le menu tout légumes de Monaco date du 25 mai 1987. Si au début on en
vendait peu, aujourd'hui il représente 20 % des ventes. Il y a donc
longtemps que je m'intéresse aux légumes et aux céréales. Et je ne sais pas ce
que je vais faire demain.
Votre
grand plat classique favori ?
J'en ai 25 ! Si c'est le
plus magnifique des vol-au-vent, j'adore ! Si c'est un filet de boeuf piqué
de truffes, un lièvre à la royale, une tourte de gibier… Quand c'est grand, c'est
magnifique ! Un plat avec de la sauce, parce que c'est une cuisine qui
sied bien à servir du vin.
Votre
plat best-seller à votre carte dans chacun des trois restaurants ?
Les Gamberoni de San Remo, fine
gelée de poisson de roche, caviar au Louis XV ; le Petit pâté chaud de
perdreau, foie gras et chou au Meurice ; les Lentilles vertes du Puy et
caviar, délicate gelée d'anguille au Plaza Athénée.
Votre plat préféré dans chacune
des trois cartes ?
J'ai goûté une magnifique Cookpot
de millet, champignons sylvestres et chou plume au Louis XV ; la Courge
butternut, cèpes et châtaignes, sucs de potiron acidulés au Meurice et, en ce
moment, je travaille sur un Bar de l'Atlantique, endive de pleine terre, lait
végétal au Plaza Athénée.
Votre plus grand souvenir au
restaurant ?
En 1976, je suis allé dîner avec
deux collègues chez Alain Chapel à Mionnay. Le niveau d'excellence et la
justesse de ce que j'ai mangé m'ont tellement interpelé que je me suis
dit : "Un jour, je travaillerai ici." C'était une cuisine très
contemporaine, ancrée dans son terroir et Alain Chapel avait déjà comme priorité la sélection des produits. À l'époque,
ce n'était pas le sujet. C'était la créativité avant tout.
Au
restaurant, en tant que client, sur quoi se porte votre attention ?
Je veux que l'on s'occupe de moi.
C'est d'ailleurs pour cette raison que dans mes restaurants, les clients sont
tout de suite accueillis avec quelque chose à manger et à boire.
Ce
qui vous agace le plus ?
Ceux qui choisissent de mal
faire, alors que bien faire, cela fait gagner du temps ! Il faut faire de
son mieux dans sa catégorie et savourer le plaisir du travail bien fait. Je ne
supporte pas non plus la mauvaise foi.
Le
secret de la réussite ?
Travailler plus, plus vite et
mieux. Ce que l'on peut cumuler avec cette autre maxime : rigueur,
discipline et exigence. Et cela s'applique dans tous les métiers.
Publié par Nadine LEMOINE