Longtemps perçu comme une voie de garage, aujourd’hui érigé en voie d’excellence, l’apprentissage séduit de plus en plus de jeunes (voir encadré). Mais qu’en est-il sur le terrain ? L’alternance est-elle un réel tremplin vers l’emploi ? Marie-Do Aeschlimann, sénatrice des Hauts-de-Seine, en est convaincue. De son côté, Muriel Pénicaud, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités de 2017 à 2020, pointe quelques défaillances. Elles étaient toutes les deux présentes aux Assises de l’apprentissage, le 16 mai dernier à Bobigny (Seine-Saint-Denis), le temps d’une matinée de débats organisée par la Chambre de métiers et de l’artisanat (CMA) d’Île-de-France. Une région qui compte, à elle seule, 200 000 apprentis et investit 50 M€ chaque année en faveur de l’apprentissage.
“Un contrat de travail avant tout”
“Nous venons de dépasser le million de contrats d’apprentissage en cours”, se félicite Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Entreprises, du Tourisme et de la Consommation. “C’est bien pour deux raisons : l’apprentissage est un levier efficace vers le plein emploi. Car un contrat d’apprentissage est avant tout un contrat de travail qui lie l’étudiant à une entreprise.” Seconde raison : “Lorsqu’il s’agit de transmettre des gestes et faire connaître des savoir-faire exceptionnels ou séculaires, rien ne vaut l’apprentissage par le travail, par le partage et par l’exemple.” Avis partagé par Francis Bussière, président de la CMA francilienne. À ses yeux, “l’apprentissage permet la liberté par l’autonomie financière, l’égalité - avec un métier on est l’égal des plus grands - et la fraternité par la transmission du geste”.
Tous les postes ne sont pas adaptés
Enseignante au lycée Albert de Mun, à Paris (VIIe), Muriel Babin qualifie l’apprentissage d’“expérience professionnelle (…) si le poste attribué à l’étudiant est bien choisi”. Selon elle, tous les postes ne sont pas adaptés à une alternance. “Si un jeune est en salle, dans un restaurant gastronomique, il ne va pas toujours beaucoup apprendre”, explique la coordinatrice de la licence professionnelle Encadrement et exploitation en hôtellerie et restauration de luxe (EEHRL) à Albert de Mun. En revanche, poursuit-elle, “l’apprentissage est un vrai plus pour le projet professionnel d’un jeune, car il va avoir une meilleure vision de la conception de celui-ci”. Autres avantages de l’apprentissage, selon l’enseignante : “Le fait d’être rémunéré peut faciliter une poursuite d’études. L’alternance correspond aussi à ceux qui ne sont pas très scolaires, grâce à un bon compromis entre cours et entreprise.”
Même si le lycée Albert de Mun enregistre de plus en plus de demandes de formations en apprentissage, Muriel Babin reste objective. “L’alternance va correspondre à un étudiant qui a des capacités de travail individuel, car, durant un apprentissage, il faut avoir de la rigueur et un sens de l’organisation. Mais si on choisit d’être apprenti parce que l’on est en échec scolaire, la réussite n’est pas garantie”, dit-elle. Autre point faible de l’alternance : “Les apprentis subissent aussi le manque de personnel dans un établissement.” Cela peut amener l’entreprise à leur confier des tâches imprévues ou, au contraire, les cantonner à certains travaux et les empêcher de découvrir tout ce qu’ils auraient aimé voir.
Quid du financement des CFA ?
Autre sonnette d’alarme : celle tirée par Muriel Pénicaud, qui avait porté la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. “Un point de cette réforme n’est pas encore abouti, a-t-elle souligné lors des Assises de l’apprentissage. À savoir la question de l’orientation et l’idée d’organiser, chaque année, des découvertes de métiers pendant 15 jours pour tous les jeunes de la 5e à la 1ère - soit 5 millions d’élèves -, en plus du stage de 3e.” Enfin, l’ancienne ministre a attiré l’attention sur l’importance de suivre l’évolution des métiers et d’accompagner leurs changements. “Or, on est en train d’abimer le financement des CFA en termes de R&D : qualité, innovation, transformation vont forcément trinquer”, a-t-elle regretté. Chiffres à l’appui : “À titre d’exemple, le coût contrat que l’on donne aux CFA pour former un cuisinier est passé de 8 564 € en 2022 à 6 548 € en 2024.”
Publié par Anne EVEILLARD
mercredi 22 mai 2024