Nous devrions tous nous réjouir. Mais stupéfaction !
L'épidémie mystérieuse qui décime les projets de lois sur la restauration, après avoir laminé la loi sur le fait maison, frappe une nouvelle fois !
Le projet de statut d'artisan cuisinier qui s'embourbe déjà dans ses paradoxes
Tous les hommes et les femmes de métiers s'accordent à considérer que ce statut devrait être réservé à tous ceux qui partagent les mêmes valeurs de transparence de l'information sur l'origine des produits bruts utilisés, qui maîtrisent les méthodes de transformation artisanale en cuisine et qui transmettent leur savoir faire.
Mais ce serait trop simple. Il s'agirait maintenant de ne limiter qu'aux petits établissements de moins de 10 salariés l'accessibilité au statut d'artisan cuisinier !?
Cette discrimination est absurde.
Pourquoi m'interdit-on d'accéder à ce statut si mon restaurant respecte scrupuleusement tous les critères mais emploie plus de 10 salariés ? On peut faire un travail d'artisan de qualité avec 50 salariés et a contrario industrialiser son activité avec seulement deux salariés !
Cette disposition repose sur un arbitraire qui est un véritable contre sens.
Jugez-en. Prenons l'hypothèse où la qualité et la reconnaissance de mon travail m'ont permis, au fil des années, de développer mon établissement en portant les valeurs et en partageant les pratiques définies pour qualifier l'artisan cuisinier. C'est le cas d'un grand nombre de Restaurants de Qualité. Et bien, même si je respecte parfaitement tous les critères, dès lors que je fais travailler plus de 11 salariés, le législateur, loin des réalités du terrain, a décidé de m'interdire l'accès au statut d'artisan-cuisinier !!! Vivons heureux, restons petits. Evitons de nous développer et surtout n'embauchons pas !
Le fait maison, une bonne idée morte née
Ainsi en est-il de même de la loi sur le Fait Maison, partie d'une idée que nous avons largement portée et soutenue dès la création du Collège Culinaire de France en 2011. In fine, le constat est malheureusement sans appel : de compromis en exceptions et en surcharges administratives, la loi votée et son décret d'application ont provoqué un rejet quasi unanime des gens de métier qu'elle était censée mettre en valeur.
Devant cette levée de boucliers, quelques mois après sa promulgation elle est déjà en rafistolage, pour essayer de la rendre plus digeste, sans manifestement trop y croire…
Pourquoi le législateur n'écoute-t-il pas les hommes et femmes de métiers et refuse-t-il de bénéficier de leurs expériences et de leur quotidien sur le terrain afin de promouvoir une bonne idée plutôt que de l'étouffer dans des règlementations inapplicables ?
De l'art de complexifier les idées simples
Pourquoi le législateur s'embourbe –t-il avec une obstination consommée dans la production de textes législatifs abscons ?
Tout se passe à chaque fois, comme si, une bonne idée était irrémédiablement transformée en un projet de loi aussi incompréhensible qu'inapplicable et en définitive contre-productif dans sa mise en oeuvre.
Pourquoi lorsque les pouvoirs publics semblent avoir enfin compris l'importance de certains sujets et de la nécessité de les impulser, constate-t-on que le législateur s'ingénie à promouvoir une loi et des amendements qui autodétruisent les projets dès leur naissance ?
Alors que dans le même temps, nous devons nous féliciter de la prise de conscience des pouvoirs publics, après de trop longues années de silence, de l'importance de notre gastronomie pour le rayonnement et l'attractivité de la France à l'international. L'opération Good France lancée le 19 mars sur les 5 continents, avec l'appui déterminé du Ministre des Affaires Etrangères Monsieur Laurent Fabius, a largement dépassé les objectifs initiaux en faisant participer le même jour dans 160 pays 1500 restaurants à l'élaboration d'un repas à la française. Nous avons mesuré à cette occasion la réalité de l'influence de la gastronomie française dans le monde.
De grâce, cher législateur, soutenez les énergies positives, laissez aux « artisans cuisiniers » la possibilité de grandir, de se développer, d'embaucher et de transmettre leurs valeurs et leurs pratiques au plus grand nombre. Merci de ne pas pénaliser tous ceux qui s'emploient à pérenniser l'héritage et l'avenir du patrimoine culinaire de la France.
Alain Ducasse et Joël Robuchon
Co-présidents du Collège Culinaire de France
vendredi 24 avril 2015