La fulgurante évolution de la société aurait pu raisonnablement conduire à une disparition rapide des travers dénoncés dès le début du XXe siècle par les humoristes et auteurs dramatiques, dont Courteline fut l'incontesté chef de file. Eh bien pas du tout ! Notre très chère administration, pour laquelle le contribuable travaille plus de la moitié de l'année, n'a perdu aucune de ses bureaucratiques habitudes dont le ridicule, dieu merci, ne tue toujours pas. Mais même s'il n'y a pas mort d'homme, il est quand même inquiétant, dans la deuxième décennie du siècle le plus technologique de l'humanité, de déplorer des résistances au progrès révélatrices d'un immobilisme stérilisant.
Une fois n'est pas coutume, les déboires d'un professionnel ont largement attiré l'attention des médias qui s'en sont donnés à coeur joie. Il est vrai que l'occasion était vraiment trop belle : dans l'un de ces villages d'irréductibles Gaulois niché au fond de la Bretagne profonde, un cafetier inspiré par les moeurs de ses cousins britanniques avait organisé le service dans son établissement à la mode d'un pub au pays de sa Très Gracieuse Majesté. Et comme dans tout pub qui se respecte, le client vient passer commande au comptoir, attend sa consommation avant d'aller s'assoir et de rapporter son verre vide en fin de soirée.
Enfin, vérité d'un côté de la Manche, erreur de l'autre : deux fins limiers du contrôle de l'Urssaf ont repéré le manège de ces clients indélicats qui enfreignaient publiquement les sacro-saintes règles des cotisations sociales, en assurant bénévolement ce qu'un zélé fonctionnaire analyse comme une forme de travail clandestin.
Ne riez pas, l'histoire est authentique, et un 'communiquant' de la Caisse régionale de Sécurité sociale (si, ça existe) a expliqué doctement devant la presse qu'il était intolérable qu'un tavernier fasse travailler ses clients sans verser de cotisations à l'impécunieuse Sécu. Et comme il fallait que force reste à la loi (malgré un classement sans suite de l'affaire par un parquet avisé), les redoutables agents de l'Urssaf poursuivent le brave cafetier devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale et entendent bien lui faire payer un redressement de 9 000 € (vous avez bien lu) pour travail dissimulé.
Ce pourrait être un conte de Noël, si cette histoire ne confinait à un abîme d'absurdité. Pourquoi, dès lors, ne pas réclamer également des cotisations sociales aux cafétérias d'autoroutes, aux fast-foods, aux cantines d'entreprise, voire à tous les hôtels d'une à cinq étoiles qui pratiquent le petit déjeuner ou le déjeuner au buffet, puisque ce sont les clients qui se servent et qui, très souvent, débarrassent ? Mais chut, cela pourrait donner des idées aux ronds de cuir de la Sécu.
Joyeuses fêtes.
Publié par L. H.
jeudi 26 décembre 2013