Il n'ira (sans doute) jamais travailler à Monte-Carlo comme il l'imaginait tout jeune, mais n'en retire aucune amertume. "J'étais alors au Vert d'eau à Angers et monsieur Farina, qui dirigeait la salle, est parti à l'Hôtel de Paris. Cela m'a fait rêver et je me suis toujours dit qu'un jour, je ferais comme lui", se souvient François Pipala.
Point de Monte-Carlo, et pas davantage de fourneaux pour celui qui, enfant, se voyait bien devenir cuisinier. Lorsque sa mère a frappé à la porte de Robert Gillet, qui dirigeait le restaurant d'Angers, tous les postes en cuisine étaient pris. Il a donc proposé quelques mois en salle à l'apprenti de 13 ans. Mais, à Pâques de l'année suivante, il a déconseillé à sa mère de lui faire quitter la salle où il lui prédisait un bel avenir. "Avec maman, nous nous sommes regardés et j'ai dit : 'Pourquoi pas ?' Si un professionnel disait cela, j'avais toutes les raisons de le croire."
Rencontre décisive avec Paul Bocuse
C'est ainsi que se dessine une carrière qui se poursuit en Angleterre dans la famille Roux au Waterside Inn, puis en Suisse où Jean-Luc Pouteau, émérite sommelier devenu un ami, lui demande d'assurer l'intérim d'un sommelier. En Suisse, il exerce en parfaite complicité avec Philippe Bezou, le chef 'chasseur d'étoile' tant au Rive gauche qu'au Gentilhomme, où il passe plusieurs années avant de mettre le cap sur Monte-Carlo où se précise l'ouverture de l'Hôtel Métropole dont il doit être partie prenante. Mais Roger Jaloux, le chef exécutif de Paul Bocuse, le convie à Collonges-au-Mont-d'Or, où il déjeune en sa compagnie et celle de Christian Bouvarel et de Jean Fleury. C'est ce dernier qui, un peu plus tard, lui propose de devenir premier maître d'hôtel et directeur de la restauration de la prestigieuse maison triplement étoilée.
"Je n'ai donc jamais été à Monaco, constate François Pipala. Mais quand une telle porte s'ouvre, on n'a pas le droit de la laisser se refermer. Je ne devais pas être serveur mais cuisinier et ma vie a basculée ce jour d'automne 1985"
Le printemps venu, le voilà donc qui prend sa fonction, "pour quatre ou cinq ans avant de mettre le cap sur le Sud", se promet-il. Un quart de siècle plus tard, il est toujours au Restaurant Paul Bocuse, sans l'ombre d'un regret. "C'est une évidence de le dire, mais c'est un lieu particulier. Ici, on sent l'empreinte et la personnalité de Paul Bocuse. Cet esprit propre à la maison où règne une atmosphère unique et où il se passe quelque chose. Le fait que Raymonde et Paul Bocuse aient su faire passer cet esprit de famille en saluant tous leurs clients. Ensuite ? C'est presque simple pour nous avec un personnel qui est là depuis de très longues années et avance dans le même sens."
Ceci expliquant cela, celui qui a décroché le titre de Meilleur ouvrier de France voici presque vingt ans dirige avec maestria cette maison emblématique que Périco Légasse, journaliste à Marianne, a joliment qualifiée de "conservatoire des saveurs françaises". Un lieu où brillent trois étoiles au guide Michelin depuis 1965 : un record du monde en la matière.
Publié par Jean-François MESPLÈDE