L’Hôtellerie Restauration : En pleine crise sanitaire, quel sens les chefs peuvent-ils donner à l’étoile qui leur a été décernée cette année ? Et quel a été leur retour ?
Gwendal Poullennec : L’étoile Michelin est un connecteur, un générateur de proximité, qui relie au quotidien les amoureux de bonnes tables aux meilleurs restaurateurs. Cette année, au-delà d’indiquer les adresses qui offrent bien plus qu’un bon repas, nos étoiles nous ont également permis de saluer les efforts déployés par les chefs qui n’ont eu de cesse de nous impressionner. En effet, alors que toute la profession est plongée dans la pénombre, l’étoile souhaite démontrer que le cœur de la gastronomie, grâce à l’engagement, la pugnacité et la créativité de professionnels investis, continue de battre fort.
Je garde en mémoire les touchants échanges que j’ai pu avoir avec plusieurs chefs des restaurants nouvellement étoilés. Toutes et tous ont insisté sur ce que représentait cette première étoile en de pareilles circonstances et combien elle leur importait. En plus de l’accomplissement personnel qu’elle représentait, ils m’ont unanimement dit à quel point elle était bienvenue pour motiver leurs équipes, entretenir le lien avec leurs clients et leurs producteurs et envisager la reprise sous de meilleurs auspices.
Il y a eu des critiques sur la sortie d’un guide cette année, que ce soit pour les nouvelles étoiles comme pour celles supprimées. Avec le recul, est-ce que vous comprenez ces critiques ?
Réaliser nos quelques 27 sélections en 2020 n’a pas été une mince affaire. Il a fallu un investissement incroyable de la part de nos équipes et une forte solidarité entre nos inspecteurs internationaux pour être présents sur le terrain à chaque fois que les restaurants étaient ouverts. Mais comme les restaurateurs, nos équipes se sont adaptées pour mener à bien leur mission et boucler les éditions 2020-2021. Sans jamais compromettre ni notre méthodologie ni nos critères de sélection, elles sont parvenues à finaliser des sélections aussi fiables, crédibles et pertinentes que les années précédentes. Il aurait été injuste de ne pas récompenser en 2021 les chefs et leurs équipes qui se sont donnés tant de mal pour proposer à leurs clients des expériences gastronomiques de haut niveau et développer de nouveaux projets entrepreneuriaux. Notre premier devoir est envers les gourmets et les clients qui nous font confiance et nous nous devions de leur indiquer les tables qui se sont particulièrement distinguées cette année. Nous leur devions également une transparence absolue à l’égard de celles qui, malgré plusieurs passages de nos équipes tout au long de l’année, ont démontré un niveau gastronomique moins élevé. Il ne s’agit en réalité que de 21 adresses sur plus de 630 établissements étoilés. Continuer à les recommander sans mettre à jour notre appréciation annuelle aurait entaché le lien de confiance qui nous unit à nos lecteurs.
Entre la sélection gastronomie durable et l’étoile décernée à un restaurant 100 % vegan - ONA -, on note une tendance forte en faveur de l’environnement. L’engagement écologique des chefs est-il en train de devenir un véritable critère de sélection pour le guide Michelin ?
Il s’agit en réalité de deux choses bien différentes. En effet, le guide Michelin ne formule aucune recommandation culinaire sur la base de quota à respecter ou de types de cuisine à encourager. Nos équipes ne sont motivées que par la recherche des meilleures expériences culinaires au sein d’une scène gastronomique vivante. Seule la qualité de l’assiette proposée par un restaurant préside à l’attribution de nos distinctions. C’est pour cela que le restaurant ONA de Claire Vallée a décroché sa première étoile. Je pense que cette étoile dit aussi beaucoup des mouvements de fond qui traversent la gastronomie aujourd’hui. Une gastronomie portée par un nombre croissant de professionnels engagés dans une approche plus durable de leur métier et que nous avons à cœur de mettre en avant avec nos étoiles vertes. Attribuées pour la deuxième fois en France cette année, et après un déploiement dans pas moins de 17 sélections internationales en à peine un an, les étoiles vertes dessinent un réseau de restaurants et de chefs dont les actions particulièrement ambitieuses en matière de gastronomie durable sont susceptibles de sensibiliser et d’inspirer le grand public et toute la profession. Nous notons un véritable engouement autour de cette nouvelle distinction tant du côté de nos lecteurs que de celui des chefs.
Année après année, on constate que les restaurants deviennent parties prenantes des territoires dans lesquels ils se situent. Cette tendance s’est-elle renforcée avec la crise sanitaire ?
Tout à fait et il a été impressionnant de constater depuis plus d’un an à quel point les chefs ont rivalisé d’ingéniosité et de créativité pour maintenir et entretenir le lien qui les unissait à leurs producteurs et leurs clients de proximité. Les restaurateurs ont toujours été, que ce soit par les produits, les recettes, les gestes techniques qu’ils reproduisent et transmettent, des passeurs de terroirs et de cultures. Aujourd’hui, sous l’influence de consœurs et confrères particulièrement engagés, sous l’effet vraisemblable de la crise sanitaire, mais aussi sous la pression de consommateurs toujours plus exigeants en matière d’authenticité et de transparence, de plus en plus de chefs font la démonstration de leur implication à l’échelle locale. Les entreprises peuvent jouer un formidable rôle d’animation économique et sociale au sein des territoires dans lesquelles elles évoluent, et je me réjouis de voir chaque jour de nouveaux acteurs s’impliquer encore un peu plus pour leur développement durable.
Des restaurateurs ont cherché à conserver le contact avec leurs clients en se lançant dans la vente à emporter et la livraison, d’autres ne l’ont pas souhaité car ils veulent préserver l’expérience offerte en venant chez eux. Qu’en pensez-vous ?
Ils ont également imaginé des cours de cuisine en ligne, développé des marchés de producteurs pour soutenir leurs fournisseurs, restauré ou accueilli le personnel soignant, déployé différents projets solidaires, repensé leur concept, mené différents travaux, ou alors éteint leurs fourneaux dans l’espoir de les rallumer à l’occasion de jours meilleurs. La crise que nous traversons a eu un impact considérable sur l’activité de la restauration et chacun a fait face à la hauteur de ses moyens et de ses possibilités. Une réalité néanmoins demeure : les restaurateurs n’ont eu de cesse de s’adapter, de faire des choix, d’innover souvent, de s’impliquer toujours pour la survie de leurs maisons. Je souhaite redire à quel point ils nous ont tous, collectivement ou individuellement, impressionnés. À chaque fois que nous le pouvions, nous avons mis en lumière sur nos interfaces numériques et sur nos réseaux sociaux, les innovations et les offres alternatives imaginées par les chefs.
Les inspecteurs n’ont pas pu exercer leur métier depuis plusieurs mois. Quel impact cela aura-t-il sur le guide 2022 ? Est-ce que l’offre de vente à emporter sera-t-elle prise en compte dans les guides à venir ? Comment le guide Michelin va-t-il s’adapter ?
Évidemment, nul n’est capable de prédire l’avenir et la crise sanitaire que nous traversons depuis plus d’un an nous a démontré à quel point tout schéma de moyen et de long terme s’avérait plus qu’incertain. Aujourd’hui, il est encore trop tôt pour se pencher sur l’édition 2022 puisque la question essentielle reste de savoir quand et surtout comment se passera la reprise du secteur. Une chose est sûre : le guide Michelin se tiendra pleinement aux côtés des restaurateurs pour continuer à les mettre en valeur, redire combien le talent des chefs et des équipes est resté intact et faire vivre, enfin, les étoiles 2021 que nous n’avons pu dignement célébrer. Nous aurons tous envie de bonnes tables et de moments de convivialité et de gourmandise : le guide sera là pour entretenir cette flamme et accompagner la reprise.
Michelin Michelin Gwendal Poullennec
Publié par Romy CARRERE