Keith McNally a failli faire carrière dans le cinéma. Heureusement pour New York, il a échoué. "J'ai dirigé et écrit deux longs métrages. Mais je ne les ai jamais regardés une fois finis." Le Britannique discret - il ne donne des interviews que rarement -, à l'humour grinçant, est l'un des grands barons de la restauration new-yorkaise. En trente ans, il a ouvert onze établissements. Tous (ou presque) sont devenus des incontournables : le bistrot Balthazar, la brasserie Schiller's ou le regretté Pastis.
En janvier 2004, le New York Times l'a surnommé 'le restaurateur qui a inventé Downtown' (le sud de Manhattan, où ses restaurants sont concentrés). Un sobriquet qu'il a encore du mal à assumer, lui qui admet, avec l'autodérision qui le caractérise, avoir été un piètre serveur dans les années qui ont suivi son arrivée à New York en 1975. "Je suis déjà gêné d'être appelé un restaurateur, alors qu'on dise de moi que j'ai inventé Downtown, c'est n'importe quoi !"
Keith McNally, 63 ans, doit sa réussite en grande partie à ses (nombreux) restaurants français - six établissements sur les onze ouverts. En 1980, il lance avec son frère et son épouse de l'époque, Lynn, son premier bistrot tricolore, The Odeon, hommage au quartier de Paris et aux fameux cinémas de Londres, où il a grandi. Conquis par les plats et l'atmosphère des bistrots parisiens, le couple avait décidé d'exporter le concept à New York, dans le quartier de TriBeCa, où l'offre de restaurants était modeste. "À l'époque, se souvient Keith McNally, ma connaissance de la cuisine française était comme mon niveau de français : je faisais semblant d'en savoir plus que ce que je savais vraiment." Odeon est un succès.
McNally ouvre deux autres établissements dans la foulée : un restaurant au menu franco-américain Lucky Strike et Café Luxembourg, près de Central Park, où artistes et autres créatifs se rassemblent dans un décor de café parisien. "J'ai toujours construit des endroits où je voudrais aller en tant que client. Et j'aime les restaurants et les cafés français. Ou du moins l'idée que je m'en fais."
Un chiffre d'affaires de 100 millions de dollars
Au début des années 1990, il connaît son plus grand revers. Il divorce et, "fauché", il vend à son ex-femme trois restaurants sur les quatre qu'il possède. Mais il se remet à en ouvrir. "C'était la seule manière que je connaissais pour faire de l'argent." En 1997, il lance Balthazar, un restaurant huppé de 220 places dans le quartier branché de SoHo et dont les pâtisseries sont vendues aujourd'hui dans plusieurs restaurants et hôtels de la ville. Deux ans plus tard, il accouche d'un autre succès : Pastis (220 places aussi), dans le quartier des boîtes de nuit du Meatpacking District. Le restaurant a été fermé en raison de travaux sur le bâtiment qui l'abrite.
Aujourd'hui, l'empire McNally compte six noms à Manhattan. Son petit dernier, le français Cherche-Midi, a ouvert ses portes fin 2014 dans le quartier du Lower East Side. Ses restaurants 'non-français' font aussi parler d'eux : outre la brasserie Schiller's (95 places), Keith McNally possède un restaurant italien et un steak house. Au total, ils génèrent un chiffre d'affaires de 100 millions de dollars (environ 88 M€), selon le quotidien new-yorkais The New York Post.
Débordé "90 % du temps"
Keith McNally est réputé pour son sens quasi-obsessionnel du détail. "C'est ma manière de gérer quand je suis débordé, ce qui m'arrive 90 % du temps. En revanche, j'ai un sens aigu de ce qui marche dans les restaurants et de ce qui ne marche pas, même si je n'ai aucune idée d'où vient ce sens". Bien qu'il "préfère cent fois la scène culinaire new-yorkaise" aux autres villes, il a ouvert en 2013 un Balthazar à Londres. "J'ai dit que je vieillissais de cinq ans à chaque ouverture de restaurant. C'est une exagération. Mais construire un restaurant n'est pas facile, de la signature du bail aux critiques. Mais c'est le cas dans d'autres business aussi", explique le propriétaire.
La relève arrive. Sa fille, Sophie, est manager dans ses restaurants - "Elle n'écoute jamais ce que je lui dis, pourquoi ne devrais-je pas travailler avec elle ?" Une autre de ses filles, Isabelle, est actrice et son fils Harry travaille dans la mode. Comme toujours, Keith McNally s'abrite derrière l'humour pour éviter de parler de ses futurs projets. On parle d'un restaurant dans le majestueux Beekman Hotel (238 chambres) qui doit voir le jour à l'été 2015 à Brooklyn. "Je n'arrive même pas à savoir quelles chaussettes je vais mettre demain, alors vous parler de mes projets à venir…"
Publié par Alexis Buisson, correspondant à New York
