"Lifestyle". Ce terme anglo-saxon est entré dans le langage courant. Dans le secteur de l’hospitalité, il qualifie un type d’établissements, plutôt haut de gamme et ciblé sur "l’art de vivre". Apparu notamment avec l’émergence des boutiques-hôtels, "Le lifestyle a eu sa pertinence au départ, en apportant un vent de fraîcheur dans l’hôtellerie. Mais, depuis, les grands groupes et les marques l’ont codifié et il a perdu cette sincérité du début", observe Emmanuelle Mordacq, à la tête de l’agence NeoPlaces consulting. Un constat qu’elle a partagé lors d’une journée de débats sur le contract, organisée par L’Ameublement Français en décembre 2023 à Paris. "En effet, au départ, le lifestyle a permis de s’ouvrir à des créateurs différents et il a apporté une mixité des usages", a également reconnu l’architecte d’intérieur Arnaud Berthereau. Quant à Isabelle Maffre, experte en design hôtelier et directrice du studio Air & D, elle a ajouté : "Le lifestyle a amené la restauration au cœur de l’hôtel, mais aujourd’hui c’est un langage mal utilisé". Le « lifestyle » serait donc devenu un terme galvaudé, fourre-tout. Au lieu de qualifier un hôtel, il en rendrait plutôt illisible le positionnement. "En architecture d’intérieur, le lifestyle ne veut plus dire grand-chose", commentent en « off » plusieurs spécialistes de l’agencement dans le secteur de l’hôtellerie.
Un design dit « relaxant » et « intuitif »
Crise sanitaire, inflation, télétravail… la donne a changé. Le voyageur aussi. Au-delà de l'étiquette « lifestyle » d'un hôtel, il veut comprendre à quoi correspond ce qu’il paye. Il a besoin d’être rassuré sur ce qu'il mange, sur ce qu'il boit. Il a aussi envie d’être cocooné, chouchouté et compris lorsqu'il a besoin de se connecter, recharger une batterie, se détendre... Hôteliers et hôtellerie doivent donc s’adapter. Ce que font, d’emblée, les jeunes enseignes. À l’instar de FirstName - nouvelle marque du groupe Alboran -, dont le premier établissement à Bordeaux (Gironde) mise sur le "feel good", explique Eric Omgba, associé et co-fondateur du groupe Alboran. Ce qui se traduit par de la musique, du bien-être, un design dit "relaxant" et "intuitif", "des expériences créatives"… L’atmosphère devient une clé d’entrée et de fidélisation de la clientèle, comme des salariés d’ailleurs. Les deux profils de population forment une même communauté. Avis partagé du côté du nouveau groupe Sangha - ce qui signifie justement « communauté » en sanskrit -, fondé par Muriel Roquejeoffre. Ce concept hôtelier, avec un premier établissement en septembre 2024 dans l’écoquartier La Cartoucherie à Toulouse (Haute-Garonne), se veut ouvert sur les autres, le mieux être et la sérénité. Séjourner dans un hôtel Sangha, "c’est découvrir et partager une philosophie de vie". Mais, pour Muriel Roquejeoffre, c’est aussi "devenir l’éco-citoyen d’un quartier et d’une ville". Le voyage prend du sens.
Pas d’hôtellerie sans dimension humaine
Le « lifestyle » ne suffit donc plus pour positionner un hôtel, aujourd’hui lieu de plusieurs vies et de multiples envies. Comme chez French Theory, à Paris (Ve), où l’on vient pour dormir, se restaurer, lire, rencontrer des artistes, écouter de la musique, en jouer, enregistrer un disque… "En 2024, on veut voyager utile", martèlent la vingtaine d’étudiants en création industrielle de l’ENSCI-Les Ateliers, qui ont imaginé 20 projets liés à l’hospitalité, à découvrir sur le salon EquipHotel Paris 2024. Enfin, pas d’hôtellerie sans dimension humaine. Les fondateurs des Hôteliers Impertinents, Michel Delloye et Jacques-Olivier Larant, insistent sur ce point. Ils parlent d’équipes, composées d’hommes et de femmes qu’ils appellent "des hôtes". Quant à leurs 5 adresses - 4 à Paris et une toute nouvelle sur l’Ile d’Yeu (Vendée) - ils les qualifient "à forte personnalité". Autrement dit : architecture, concept, décoration, positionnement… tout découle d’une idée de départ, d’un parti pris fort, d’une envie de surprendre le voyageur, l’inciter à venir "vivre sa vie". L’hôtel devient prolongement de chez soi, du bureau, de la salle de sport, du café des amis… Ce que l’on a également compris chez Accor, où, certes, les marques « lifestyle » (SO, Delano, Mondrian, 25Hours…) ont encore le vent en poupe. Toutefois, la jeune Handwritten Collection, développée par le groupe hôtelier de Sébastien Bazin depuis 2023, rassemble des hôtels 4 étoiles dits "à la personnalité propre", au "design intimiste" et "reflétant tout le caractère et la chaleur de l’accueil des hôteliers qui les font vivre au quotidien". Une ligne directrice singulière, incarnée, aux antipodes d’une hospitalité codifiée.
Publié par Anne EVEILLARD