Laurent Petit : Il y a une bonne vingtaine d'années, j'ai vu un ami faire son coming out et la libération que cela représentait pour lui. Aussi, quand j'ai fait ce que j'appelle ma crise de la cinquantaine, où j'ai décidé de m'affranchir de barrières et de croyances dans mon métier de cuisinier, je l'ai baptisé mon cooking out. J'ai fait un bilan : tout allait très bien, trop bien peut-être. En parallèle, des amis proches me disaient qu'ils ne comprenaient pas qu'il y ait une telle différence entre le Laurent du restaurant, caché dans ses cuisines et celui qu'ils connaissaient. J'étais dans le questionnement sur le sens de mes actions, de ma cuisine… Aussi en résonnance avec la société de surconsommation et ses travers.
C'est un client qui m'a dit « bravo pour votre simplexité ». Pour moi, ce mix de simplicité et de complexité renvoie à la cuisine. En amont, dans la réflexion de la recette, nous sommes dans la complexité qui va donner un ressenti en bouche. Tandis que dans l'assiette, cela paraît simple. Mes recettes sont lisibles, les produits sont reconnus et je n'oublie jamais la « praticabilité » de la dégustation. Cela doit être simple.
En 2016, une nouvelle cuisine. En 2017 une nouvelle salle. Comment se sont traduits vos choix ?
D'abord par la transparence avec une cuisine ouverte de tous les côtés. On voit les cuisiniers travailler de l'extérieur dès l'arrivée et depuis la salle. Dans sa conception, la fluidité a été l'une des priorités. Nous avons gagné en rapidité, en qualité de travail et 12 m2 de plan de travail en plus, c'est considérable. Le passage à la cuisine ouverte s'est réalisé naturellement.
Pour la salle, nous avons conçu un écrin en bois local que nous avons brûlé nous-mêmes. Cela donne une atmosphère plus simple, sans décorum. Nous avons aussi beaucoup travaillé le phonique afin de préserver une quiétude essentielle au repas. La lumière a aussi demandé une attention toute particulière. Je voulais qu'elle soit centrée sur l'assiette, sur le propos culinaire. Ces deux facteurs confondus donnent un véritable confort intellectuel. Il permet au client de se concentrer sur son ressenti et sur les saveurs. On s'aperçoit que les clients pensent que c'est meilleur. Avec le recul, quand tu as mis ces choix en application, tu ne peux pas faire machine arrière.
Que représente la cuisine pour vous ?
Un champ d'action incommensurable et sans fin. C'est mon expression libre et cela me passionne toujours autant. On n'a jamais fini d'apprendre. Par exemple, j'avais un jardin d'aromates de 500 m2. Je viens d'acquérir un jardin attenant de 1000 m2 en permaculture. Je n'y connais rien et on va tout découvrir. Pomme de terre, ail, rhubarbe, poireau… des fondamentaux pour l'instant qui vont nous permettre d'avoir un côté éducatif et de vivre ce jardin. Avec les équipes, on va y aller tous les matins. Je suis persuadé qu'il y aura le Clos des Sens avant et le Clos des Sens après le jardin.
La création est un processus qui s'opère dans la souffrance ? Dans la spontanéité ?
Mon ADN, c'est fainéant dans une dynamique perpétuelle. Le jour comme la nuit, je note des idées. Elle peut me sembler géniale et ne jamais rien donner, tandis qu'une autre fonctionne dans l'instant. Ce n'est jamais dans la souffrance. Je vis la liberté de la création.
Votre plat best-seller ?
Thé et crémeux d'écrevisse en deux services.
Le plat de votre carte que vous préférez ?
La tarte au chou et fera fumée sauce aux oeufs d'automne.
Quel repas récent vous a époustouflé ?
Chez Alexandre Gauthier à La Grenouillère à Montreuil-sur-Mer. J'ai vu un créateur de dingue. Par exemple, sa tombée d'épinard qui n'est qu'un élément d'un plat est tellement sublime qu'elle mérite d'être un plat en elle-même. C'est tellement intelligent d'interpréter un légume différemment.
Un rêve à réaliser ?
La 3e étoile Michelin. Cela m'apporterait la légitimité du métier de cuisinier, d'auteur culinaire.
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En librairie : Best Of Laurent Petit
Au travers de véritables cours en pas à pas, découvrez 10 recettes du chef Laurent Petit, sa cuisine lacustre et végétale qui rend hommage au territoire qui l'entoure. Ecrevisses du lac d'Annecy, brochet barbecue, suc de fenouil, meringue évanescente… Photographe : Matthieu Cellard.
Aux Editions Alain Ducasse. Prix : 14 euros
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Outre Le Clos des Sens, Relais & Châteaux (11 chambres 5 étoiles) et un restaurant 2 étoiles Michelin, Martine et Laurent Petit ont deux autres restaurants à Annecy : le ContreSens ouvert en 2005, tout juste devenu la Brasserie Brunet (changement de concept), 7/7, 90 places, 45 euros de ticket moyen ; le Café Brunet, ouvert en 2008, 5/7, 90 places, 42 euros de ticket moyen. Les collaborateurs qui gèrent ces établissements sont associés à hauteur de 30%. « Nous sommes la caution bancaire et culinaire », dit Laurent Petit concentré sur le restaurant gastronomique Le Clos des Sens.
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Publié par Nadine LEMOINE