Il y a onze ans déjà, le concept Dans le noir ?, lancé pour la première fois à Paris par Edouard de Broglie, faisait la Une de nombreux titres. Le succès est toujours intact. Trois autres restaurants ont ouvert depuis : Londres, St Pétersbourg et Barcelone. Et le concept reste identique : une expérience culinaire d'environ une heure et demie, où l'on mange dans le noir complet, avec du personnel de salle constitué par des non ou malvoyants. A Paris, l'établissement (57 places assises) est ouvert uniquement le soir en semaine, et midi et soir le week-end. Il y a deux voire trois rotations par service, soit 180 couverts réalisés - au meilleur des cas - par jour. Le nombre d'employés est un peu plus large que dans un restaurant 'classique' : 12 non ou malvoyants en salle dirigés par Camille Leveillé, et 5 personnes en cuisine dont la chef Thi Muller.
4 éléments/4 goûts dans l'assiette
Depuis deux mois, Dans le noir ? a fait appel au chef Julien Machet (La Tania*, Courchevel) en qualité de chef-consultant pour élaborer une nouvelle carte avec l'équipe existante. "J'aime les challenges, dit celui qui a notamment participé à TopChef cette année. Le concept de mettre en avant les atouts de personnes handicapées m'a convaincu. Elles sont souvent mises de « côté », ici, elles sont indispensables pour le restaurant et guident pour une fois les voyants". Lui-même a mangé dans le noir. Son premier retour ? "Manger dans le noir apporte véritablement une autre vision de la cuisine. Il n'y a pas la vue pour vous mettre en appétit. Il faut donc faire fonctionner d'autres sens : l'odorat, le toucher, …" Julien Machet a fait une semaine de test à Paris avec l'équipe opérationnelle. Il l'avoue : ça été "une prise de tête" d'élaborer les menus selon un cahier des charges précis : 4 éléments/4 goûts dans l'assiette ; des accords insolites et non divers ingrédients. On retrouve ainsi des accords tels petit pois-framboise, carotte-citron confit, ou encore aubergine-menthe.
Le chef l'a vécu, il faut prendre en compte d'autres paramètres comme la prédécoupe de la viande lors du dressage, car difficile d'avoir recours au couteau dans le noir. La carte change tous les trois mois. "Pour la prochaine, que je dois réaliser d'ici peu, je souhaiterai prendre un produit et le décliner dans l'assiette ; au lieu d'avoir trop d'accords qui peuvent être compliqués et confus pour le client", ajoute t-il. Le partenariat doit durer un an. Peut-être sera t-il reconduit à Paris, et dans les autres établissements Dans le noir ?.
"14 € par personne et par repas sont destinés à la sécurité, à l'entretien du noir et aux charges de personnel"
Le prix des menus ne diffère pas : de 39 à 89 € pour 2 à 5 plats. Chaque menu coûte 4 euros de plus le soir. Une réduction de 5 € est accordée aux étudiants et aux chômeurs. "Les tarifs ne sont pas chers. 14 € par personne et par repas sont destinés à la sécurité, à l'entretien du noir et aux charges de personnel. Au final, on se fait très peu de marge. Dans le noir ? est un restaurant de destination, on s'y prépare à l'avance", poursuit Camille Leveillé. La salle reste un mystère. Il n'y a aucune lumière. Seule info : on mange à des tables d'hôte (6 à 16 personnes). Le personnel communique par talkie-walkie. Ce n'est qu'à la sortie que l'on montre en images les plats dégustés. "Il y a une grosse part de pédagogie, c'est une expérience à part entière. Les gens s'informent sur tout, notamment le handicap", se réjouit-elle. 40 % des clients sont des touristes. D'ailleurs, Dans le noir ? prévoit d'autres implantations : Nairobi, au Kenya (début juillet) et Madrid en 2016.
Publié par Hélène BINET