Collonges-au-Mont-d'Or, 9 heures. Paul Bocuse est là, dans le fauteuil de sa salle à manger, dos tourné à la fenêtre. Les murs de la pièce sont tapissés de photos, les étagères chargées de bibelots, statues, livres. Souvenirs de toute une vie à travers la famille et les copains.Il est là, l'air songeur. Avec lui, au jour le jour, quelques fidèles qui lui rendent visite. Échangent, papotent, se taisent, profitent du moment. De temps en temps, pause forcée. Les yeux de Monsieur Paul se ferment. Comme s'il partait dans une grande rêverie, remuait ses souvenirs. Comment ne pas imaginer un retour en arrière d'une trentaine d'années ?
À cette époque, Albert Romain avait lancé son Salon des métiers de bouche à Lyon et cherchait une idée pour le redynamiser. Un concours peut-être ? À qui d'autre qu'à 'l'Empereur des gueules' pouvait-il s'adresser ? Ce qui fut donc fait…
Et les souvenirs affluent : la rencontre avec le sculpteur César, proche de Roger Vergé, son fidèle ami de Mougins, chargé de créer le trophée. Le choix de proposer les mêmes ingrédients à tous les concurrents qui devront les préparer à la mode de leur pays. La sélection de Jacky Fréon pour représenter la France et qui, quelques semaines plus tard, ouvrira le palmarès.
Cuisiner peut devenir spectacle
Monsieur Paul se remémore ces joutes, devant le public, dans une ambiance rappelant celle d'un stade de football. Il jubile, savoure. Après avoir fait sortir les chefs de leur cuisine, il démontre que l'art de cuisiner peut devenir spectacle. Il pense aussi à Léa Linster, victorieuse en 1989 et seule femme à ce jour à l'avoir emporté. Puis à Michel Roth, couronné en 1991, seul lauréat à avoir remporté le Bocuse d'or, le titre de meilleur ouvrier de France et le prix Taittinger*, les deux autres concours culinaires emblématiques.
Même si, parfois, quelques douleurs viennent troubler sa quiétude, Paul Bocuse est heureux. Il pense à ces trois étoiles Michelin qui brillent depuis 1965, un authentique record de longévité qui restera inégalé. À ce titre de meilleur ouvrier de France remporté en 1961 et qu'il considère comme sa plus belle distinction. À ses glorieux aînés, Eugénie Brazier et Fernand Point qui, à Vienne, a inventé les 'relations publiques'. À ses contemporains, Charles Barrier, Alain Chapel, Michel Guérard et Jean Troisgros, entre autres, avec qui il a redoré le blason des cuisiniers longtemps confinés dans les sous-sols comme l'était son père, Georges, et qu'il a contribué à mettre en pleine lumière. Il sourit et jubile à l'idée que le cru 2017 du Bocuse d'or va faire s'enflammer les tribunes d'Eurexpo.
* Vainqueur en 2001 puis MOF six ans plus tard, François Adamski figure comme Michel Roth au palmarès des deux concours. Tout comme Fabrice Desvignes, Bocuse d'or en 2007 et MOF en 2015. Régis Marcon, Bocuse d'or 1995, a remporté le prix Taittinger en 1989.