Quelles sont les réponses d'Alain Juppé aux grandes problématiques de l'hôtellerie et de la restauration ?

Publié le 15 novembre 2016 à 11:05
Comme vous le savez, la profession s'élève contre les dérives de l'économie dite collaborative. Est-ce normal, qu'à activité similaire, les règles varient ? Les avancées qui ont eu lieu ne sont pas suffisantes. Quelles mesures allez-vous mettre en place pour que les hôteliers, comme les restaurateurs, puissent travailler à « armes égales » ?
Alain Juppé : De profonds bouleversements exposent aujourd'hui les hôteliers et restaurateurs davantage que par le passé : plate formes comme AirBnB, sites de réservation en ligne, possibilités offertes aux consommateurs de donner leur avis en ligne, etc.
Autant il serait illusoire de vouloir entraver ce mouvement, autant il est indispensable de prévenir les abus et les débordements de ces nouvelles formes d'activité.
La liberté ne s'entend pas sans loyauté. Il est nécessaire que la concurrence se fasse dans des termes loyaux sur un même marché : c'est à l'État de définir ce nouveau cadre concurrentiel équitable et d'alléger les contraintes qui pèsent sur les formes traditionnelles d'activité.
Il est aussi essentiel de faire respecter les lois et les règlements dans leur lettre et leur esprit : l'économie grise doit être combattue avec détermination, en dotant l'État de tous les moyens de contrôles et de sanctions, lorsque des particuliers tirent des revenus qui sont imposables.
Il est enfin urgent que certains acteurs cessent d'échapper à l'impôt : la convergence de la fiscalité, notamment au niveau de l'Union européenne, est une priorité, et il faut renforcer la coopération internationale pour lutter contre les schémas les plus agressifs d'optimisation fiscale.
L'État doit donc s'engager pour protéger les formes traditionnelles d'hôtellerie et de restauration, qui sont essentielles à l'offre touristique en France et à notre attractivité.

Le tourisme est reconnu depuis peu comme un secteur économique à part entière. Quelle place, quel 'ministère' doit-on lui accorder selon vous et pourquoi ?
Le tourisme est un pilier de notre économie avec 1,2 million d'emplois, 7,4 % de notre PIB et 85 millions de visiteurs internationaux. En 2020, ils pourraient être 100 millions. C'est considérable, et c'est une source de richesse pour tous nos territoires. Pourtant, alors que les États-Unis et la Chine ont lancé un vaste plan en faveur du tourisme, nous aurions tort de nous reposer sur nos lauriers. En dehors même des difficultés très sérieuses que rencontre le secteur, notamment à Paris et à Nice en raison des tragiques événements récents le secteur du tourisme a besoin d'être soutenu car la France est soumise à une concurrence rude et a perdu depuis un an une partie de sa clientèle internationale. La question du tourisme doit donc être portée plus haut dans le débat public.
Il faut veiller à préserver et valoriser nos atouts, tout en rénovant nos capacités d'accueil.
Je souhaite d'abord réunir les conditions pour que les revenus générés par chaque touriste augmentent. Nous faisons moins bien que les Américains et les Espagnols, qui accueillent pourtant moins de touristes !
Ensuite, il faut attirer les touristes dans nos territoires. En parvenant à drainer un flux croissant de touristes vers nos régions, nous offrons à nos villages et aux territoires ruraux une source d'activités nouvelles et donc des revenus et des emplois.
Enfin, cette industrie touristique qui fonde aussi son dynamisme sur nos productions viticoles et sur notre gastronomie, sans doute l'une des plus diverses et vivantes au monde, n'est pas seulement créatrice d'activité et d'emplois. Elle est par nature une industrie qui ne peut pas être délocalisée, et constitue à ce titre un segment de notre économie qui doit être fortement encouragé. Le secteur de l'hôtellerie et de la restauration est un acteur majeur du tourisme.

Vous avez dit à l'Umih, en congrès national l'an dernier dans votre ville, Bordeaux, qu'il fallait, dans notre pays, « libérer les énergies qui ne demandent qu'à s'exprimer ». L'Umih a dénombré que des centaines de normes et de règlements s'appliquaient aux entreprises de l'hôtellerie et de la restauration dont 90% emploient moins de 8 salariés. 50 nouvelles réglementations tombent tous les ans, soit environ 150 gestes nouveaux pour l'exploitant chaque année (quelle que soit la couleur politique). Une complexité qui n'est pas faite pour « libérer les énergies ».
Je veux améliorer les relations des administrations avec les entreprises, pour qu'elles soient fondées sur le principe de la confiance et non plus sur la défiance a priori des administrations vis-à-vis des entreprises.
Je veux supprimer les formalités ou les procédures inutiles, cesser d'ajouter la réglementation nationale à la réglementation européenne, mieux étudier l'impact des mesures nouvelles auprès de ceux qui font l'économie au quotidien. Il faut cesser de faire peser chaque jour des contraintes inutiles supplémentaires sur nos entreprises !
L'administration doit développer une culture du conseil et en finir avec la suspicion. Je veux développer le rescrit fiscal qui oblige l'administration à prendre position a priori, à la demande du contribuable et non a posteriori lors d'un contrôle : faute de réponse dans un certain délai, cette réponse sera réputée positive. De même j'autoriserai les entreprises à recourir à des organismes privés certifiés pour conduire des audits en matière de santé et de sécurité au travail qui seront opposables à l'inspection du travail. Les URSSAF devront distinguer ce qui relève de la fraude de ce qui relève de l'erreur.
Je souhaite en outre lancer un plan d'urgence pour protéger les indépendants des dérives de la gestion du RSI notamment en modernisant son fonctionnement et son système d'information. Pour ceux qui le souhaitent et qui y ont intérêt je veux permettre la liberté d'affiliation à un autre régime. En outre les cotisations sociales au RSI seront allégées de 2 Md€ et les indépendants bénéficieront, comme les autres entreprises d'une réduction d'un tiers de leurs cotisations famille (10 Md€).
Enfin, je suis favorable à l'abrogation du compte pénibilité qui a imposé aux entreprises une surcharge administrative considérable. Il faudra conserver les points acquis puis aboutir à une reforme efficace, mettant l'accent sur la prévention des risques et la santé au travail et prenant en compte l'usure professionnelle dans le risque invalidité.

Quels sont les leviers essentiels à mettre en oeuvre, pour les TPE et les PME vecteurs d'emplois, non délocalisables ?
Le réseau des TPE et PME non seulement crée richesse, emploi et croissance, mais contribue au maillage territorial de notre économie, dans nos quartiers et en zone rurale. J'y suis très attaché.
Ma priorité c'est le plein emploi. Il faut pour cela redynamiser les secteurs créateurs d'emplois : 60 000 offres dans l'hôtellerie et la restauration ne sont pas pourvues. La première condition pour y parvenir, c'est d'en finir avec les 35 heures dans l'ensemble des activités où c'est utile. J'ai donc proposé que la durée du travail soit dorénavant fixée par accord dans l'entreprise en fonction de ses besoins propres. Je modifierai la loi pour ouvrir un délai de négociation de deux ans pour mettre en place ces accords. À défaut d'accords la loi permettra au chef d'entreprise de porter la durée hebdomadaire ou de rester au statu quo s'il le souhaite.
La deuxième condition à remplir, c'est que le marché du travail retrouve sa vocation première : créer de l'emploi. Je veux que le CDI redevienne la forme d'embauche de droit commun. Cela implique de sécuriser le salarié et l'employeur quant aux conditions de l'embauche et du licenciement. J'ai notamment proposé d'inscrire les motifs réels et sérieux de licenciement dans la loi afin qu'ils puissent être repris directement dans le contrat de travail et adaptés à la situation particulière de l'entreprise.
Je souhaite permettre aux personnes les moins qualifiées de revenir vers l'emploi, ce que le niveau des charges qui pèsent encore sur le SMIC ne permet pas. J'ai donc proposé de renforcer les allègements sur les bas salaires, en supprimant toute charge patronale au niveau du SMIC, avec un allègement dégressif  jusqu'à 1,8 SMIC. Ces allègements simples et lisibles remplaceront le CICE qui est une véritable usine à gaz.
Je souhaite aussi orienter notre fiscalité pour qu'elle soutienne l'investissement, indispensable pour nous moderniser, monter en gamme, viser l'excellence, nous adapter à la concurrence et innover. Cela suppose d'abord d'alléger la fiscalité qui pèse sur l'investissement : je supprimerai l'ISF et je ramènerai l'imposition des plus-values à 23% « tout compris » pour ceux qui s'engagent à long terme auprès des entreprises (après 6 ans de détention). Enfin, le taux de l'impôt sur les sociétés, aujourd'hui parmi les plus élevés d'Europe, sera ramené à 24% pour les TPE, sur l'ensemble de leurs bénéfices, et non comme aujourd'hui sur une fraction négligeable de ceux-ci (38000 euros) et nous amorcerons une convergence du taux des autres entreprises vers la moyenne européenne (qui est de 24%), en commençant par baisser le taux normal à 28% et en supprimant les cotisations additionnelles.
Enfin, une question essentielle pour moi et que je porterai avec conviction dans mon projet présidentiel : la formation professionnelle et l'apprentissage. Votre métier exige la maîtrise de nombreux savoir-faire qui justifient une formation exigeante et d'excellence. Il est nécessaire de valoriser et de rendre plus attractifs l'apprentissage et la formation à vos métiers.

Il existe un certain nombre de mesures qui sont utiles au secteur de l'hôtellerie et de la restauration. Citons-en 3 : Réductions Fillon, Crédit d'impôts pour les Maîtres Restaurateur et l'Aide à l'embauche dans les PME. Vont-elles perdurer ?
Mon objectif, c'est de tout faire pour que les entreprises, et notamment celle du secteur de l'hôtellerie-restauration, puissent agir pour l'emploi. Je ne vais évidemment pas dans le même temps supprimer les dispositifs fiscaux spécifiques lorsqu'ils sont utiles : cela ne serait pas cohérent. Je ne ferai donc rien qui puisse contraindre davantage les entreprises ou leur enlever les facilités d'embauche et de création de richesse dont elles disposent aujourd'hui.

Les entreprises françaises, dans leur ensemble, réclament la stabilité fiscale. Que répondez-vous ?
Je crois en l'absolue nécessité d'offrir de la stabilité et de la prévisibilité à nos entreprises, car les investissements se font mieux dans un environnement stable. C'est dans cet esprit que je propose un contrat de stabilité fiscale qui reprendra l'ensemble de mes propositions et prendra la forme  d'une loi de programmation fiscale votée dès 2017 et qui fixera le cap pour la mandature. En conséquence, je m'abstiendrai de lancer toute réforme fiscale qui n'aurait pas été annoncée et qui aurait pour conséquence de bouleverser l'équilibre économique des acteurs concernés.

Y aura-t-il ou non, si vous êtes élu à la Présidence de la République, une hausse de la TVA ?
J'ai annoncé que je souhaitais réduire, pour un peu plus de 10 milliards d'euros, les cotisations patronales finançant la branche familles. Cette mesure profitera à l'ensemble des entreprises, grandes et petites, aux artisans, aux indépendants, aux agriculteurs et concernera l'ensemble des emplois, qualifiés ou peu qualifiés. Elle sera financée pour partie par une hausse d'un point du taux normal de la TVA et diverses économies sur la dépense publique. La hausse ne s'appliquera donc pas sur les taux réduits, notamment sur ceux dont bénéficient les cafés et restaurants.

Le secteur est confronté à de multiples problèmes de trésorerie et de crédit. Le GNI réclame, par exemple, le rallongement des crédits bancaires (7 ans à +).  Jusqu'où un Gouvernement peut-il agir ?

Il faut en finir avec les délais de paiement qui minent la trésorerie de tant de nos PME.
Le problème, c'est que les PME ne sont pas toujours en position d'exiger un paiement dans les temps face aux donneurs d'ordre publics, et encore moins de demander le paiement des intérêts de retard qui leur sont dus.
Pour changer cet état de fait ma proposition consiste donc à confier à un organisme public (BpiFrance ou la Caisse des dépôts) la mission de régler le fournisseur d'un marché public, en cas de retard de paiement de son client public. Les donneurs d'ordre publics seront tenus d'adhérer à ce système et l'organisme payeur sera rémunéré par les intérêts de retard et les pénalités facturés au mauvais payeur. C'est un simple système d'affacturage inversé qui aura un effet très bénéfique sur la trésorerie des TPE et PME.
Quant aux conditions de crédit, elles devraient s'améliorer pour les entreprises, au-delà de la question des taux, par leur meilleure rentabilité qui résultera des mesures fiscales que j'ai annoncées. Cela devrait aussi encourager les banques à accorder des conditions de crédit plus favorables. J'ajoute que l'effet des mesures fiscales que je propose est aussi de rendre plus intéressant le financement par fonds propres, notamment pour les PME. C'est pour cela que j'ai souhaité que la suppression de l'ISF s'accompagne du maintien d'un dispositif fiscal de soutien à l'investissement dans les PME qui prendra la forme d'une réduction d'impôt sur le revenu.

Publié par Sylvie SOUBES



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