Réussite : Pierre Jancou, l'électron libre

Paris Venu à Paris pour devenir acteur, la cuisine l'a rattrapé. Le chef a ouvert son premier établissement à 21 ans. Depuis, il a enchaîné les créations de tables où il met à l'honneur "le produit sans compromis".

Publié le 13 avril 2016 à 11:36

Barbu, les bras tatoués, les cheveux ramassés en chignon, Pierre Jancou boit un café dans le restaurant parisien Heimat, où il est mandaté depuis janvier 2015 pour donner un style, un ton et du goût à une cuisine inspirée par l'Italie. D'ailleurs, dans les coulisses, entre le piano et les frigos, on ne parle que la langue de Dante. "La cuisine, ce n'est pas venu tout de suite, confie-t-il. Quand j'ai quitté Zurich pour Paris, à l'âge de 18 ans, c'était pour devenir acteur. Mais pour gagner ma vie, j'ai multiplié les petits jobs : j'ai travaillé dans une pizzeria, pris des boulots de serveur dans des brasseries, des restaurants, pour finir barman aux Bains Douches." À ce parcours s'ajoute une initiation familiale à la gastronomie. "Mon père, un passionné de cuisine, avait un restaurant à Zurich. Il a forgé mon goût en me faisant découvrir les tables d'Alain Chapel, Michel Guérard, Roger Vergé…"

Sa première expérience avec la restauration remonte au début des années 1990. Avec "les moyens du bord", il ouvre La Bocca, rue Montmartre (IIe). Stars, VIP et noctambules en font leur repère et le lieu ne désemplit pas. Mais, au bout de huit ans, Pierre Jancou veut prendre du recul. Il quitte Paris pour Modène, en Italie, où il intègre une école de cuisine. Pour apprendre les bases, les recettes et découvrir les produits. Car ils sont au coeur de sa conception de la bistronomie : une approche de la cuisine à la fois brute, simple, calquée sur le marché et les saisons.

 

Défenseur des vins nature

En 2001, il est encore en Italie lorsqu'il apprend, dans une petite annonce, qu'une cave à vins à vendre, rue des Quatre Vents, à Paris (VIe). "Je connaissais l'endroit. J'ai appelé et, dans la foulée, j'ai quitté Modène pour Paris. C'est comme ça que j'ai repris La Crémerie", se souvient-il. Dans cette petite boutique, il va installer quelques tables pour faire découvrir quelques trésors d'Italie - dont un parmesan de sept ans d'âge-, ainsi que des vins nature, dont il va devenir le défenseur. Au bout de cinq ans, il veut bouger, "pour plus grand". Car s'il a le goût des bonnes choses, il a aussi celui du risque. Dès qu'une affaire marche, il aspire à en créer une nouvelle. Une dynamique rythmée par sa vie privée, qu'il ne délaisse pas au profit des fourneaux : ses deux filles et sa maison dans la Drôme, c'est sacré.

 

"J'aime dénicher des endroits cachés"

En 2007, il quitte La Crémerie et le VIe arrondissement pour s'aventurer dans le Xe, "pas encore à la mode", où il a repéré une ancienne imprimerie. "J'aime dénicher des endroits cachés", explique le cuisinier. C'est donc dans le passage des Panoramas qu'il va créer le restaurant Racines. "Personne ne croyait qu'une affaire pourrait marcher dans un tel lieu." Pourtant, le succès est au rendez-vous, "du jour au lendemain". Sa recette ? Un mix entre authenticité, qualité, proximité, sincérité. "Je privilégie le produit sans compromis et les vins très nature, tout ce qui permet de raconter une histoire derrière chaque plat, derrière chaque verre", explique-t-il. Mais, au bout de deux ans et demi, les contraintes familiales le rattrapent. Il vend Racines et part s'installer un temps à la campagne.

 

"J'ai créé Vivant avec 50 000 € en poche"

Il revient à Paris au début des années 2010. "Avec 50 000 € en poche", il ouvre le restaurant Vivant dans une oisellerie de la rue des Petites Écuries (Xe). Vivant, un nom à l'image de sa cuisine, ses plats et lui. Car sa 'bougeotte' est aussi une façon de se remettre en cause : "même si on apprend avec l'âge, je doute tout le temps". Vivant se duplique en Vivant Cave, puis, une fois de plus, Pierre Jancou revend tout en 2014.

Depuis, il a endossé la panoplie de gérant du restaurant Heimat, au pied de la maison où Molière est mort, à deux pas du Palais Royal. "On est venu me chercher. Je suis associé et donc patron sans la contrainte du RSI !" Quant à être devenu l'une des égéries des Galeries LaFayette depuis cette rentrée, Pierre Jancou avoue : "c'est bizarre et ça me rappelle mon arrivée à Paris, où j'ai été mannequin aussi."

"Je suis un électron libre, conclut-il. Mon moteur n'est pas l'argent, mais la création, l'envie d'être libre. Mon combat, c'est la cuisine. Actuellement, je m'intéresse de près au pain et, pour moi, le discours du sans gluten est une farce : il y a le bon et le mauvais gluten… Quant à ma porte, elle est toujours ouverte aux jeunes qui ont un projet. Car il reste des affaires à chiner dans Paris, dans des quartiers en devenir, où on peut tenter quelque chose : j'ai acheté Vivant comme ça."


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Publié par Anne EVEILLARD



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