Qu’entend-on par négociation dans l’hôtellerie-restauration ? On est bien d’accord qu’il ne s’agit pas du même degré d’urgence que celui que vous avez pu vivre au sein du RAID ?
Laurent Combalbert : Il peut y avoir aussi des se plaignait d’avoir retrouvé un chewing-gum dans son dessert. Une situation d’urgence où vous n’avez pas trop de temps de réfléchir et où les premières phrases que vous utilisez sont prépondérantes pour la suite. Ou bien lorsque la police débarque à l’improviste pour un contrôle d’hygiène en plein service. Vous devez garder votre sang-froid pour répondre à la demande, tout en minimisant la gêne pour vos clients. Ou encore un collaborateur sous-tension qu’il faut ramener à la raison.
Cette notion de négociation est basée sur la capacité que l’on va avoir à trouver une solution dans une situation de désaccord. Le début d’une négociation, c’est forcément un désaccord. Il faut que deux positions s’expriment, pas forcément opposées mais au moins divergentes. L’art de la négociation, c’est l’art des frottements. C’est l’art de gérer ces frottements et ces désaccords pour éviter les grincements et les difficultés. C’est trouver une solution qui va satisfaire tout le monde dans un désaccord exprimé.
Peut-on donner quelques clés essentielles dans la négociation ? Que faut-il faire ou ne pas faire ?
Je dirais qu’une belle négociation, c’est une négociation préparée. Quand on négocie avec un fournisseur, avec un client, quand on prépare une embauche, on doit préparer sa négociation. C’est-à-dire connaître son enjeu réel : qu’est-ce que je cherche à satisfaire comme besoin dans cette négociation ? Par exemple, pour une embauche, est-ce recruter absolument quelqu’un, quel que soit le salaire qu’il va me demander, parce que je dois absolument l’avoir dans mon équipe ? Ou bien est-ce recruter quelqu’un en limitant ce que je vais lui proposer, parce que si je donne trop à l’un et pas assez à l’autre et que ça se sait, je vais avoir des soucis ?
Deuxièmement, c’est connaître, préparer à l’avance et à froid tous les éléments qui constituent la négociation, pour éviter de se faire piéger dans le rush et le stress.
Troisièmement, une belle négociation, c’est celle dans laquelle on met son ego de côté. On met son ego sur la touche parce que s’il prend la main, et bien, on risque d’avoir des crispations et des tensions qui risquent d’être difficiles à régler.
C’est difficile de mettre son ego de côté ?
C’est difficile parce que l’ego est un facteur de performance. Si vous avez un ego fort, qui cherche à s’affirmer, c’est plutôt intéressant et efficace parce que cela donne l’envie de prendre des initiatives, de défendre ses positions. Mais si l’ego devient trop important, s’il prend la main, il va vous faire perdre votre objectivité. Il va vous faire perdre de vue le but de la négociation. On peut par exemple pinailler pour un détail qui n’a pas de réelle importance dans la négociation. Si mon ego me dit : ‘Pas question que je cède là-dessus’, et bien, je peux perdre de vue mon enjeu, et finir en un désaccord qui ne va pas amener à une solution négociée. Alors que finalement, c’est juste pour quelque chose qui revêt une importance moindre.
Avec son équipe, lorsque l’on est dirigeant d’entreprise, il faut surtout savoir écouter…
L’écoute en négociation, c’est un outil. On peut très bien être un très bon négociateur sans pour autant être naturellement écoutant, mais quand on décide d’avoir une attitude d’écoute de l’autre, on fait du renseignement, on va chercher de l’information. Écouter dans une négociation, c’est pour comprendre, ce n’est pas pour répondre. C’est pour comprendre si j’ai bien vu l’enjeu de la personne en face de moi, si j’ai bien compris les points clés qu’elle va évoquer. C’est ce qui va me permettre d’affiner ma stratégie de négociation et de la dérouler.
On sent bien là toutes l’expérience d’un ancien du RAID qui a dû négocier sur le terrain…
Dans ces négociations, que l’on peut imaginer sous tension forte, on a un enjeu qui est important, c’est la vie de la personne qui est en face de nous, c’est la vie des personnes prises en otage. On s’aperçoit que ce sont souvent des éléments de bon sens qui font la différence, qui vont nous permettre d’amener l’autre à la raison et comprendre quelle est sa motivation réelle.
On évoque le verbal, mais il y a aussi une dimension non-verbale. Le langage du corps est-il important dans une négociation et pourquoi ?
Quand on arrive à voir l’autre, on arrive à percevoir un certain nombre de choses. D’abord son état émotionnel. On a des fuites émotionnelles qui s’activent au niveau de notre visage quand on vit une émotion particulière. On peut donc valider le fait que l’on a bien compris l’émotion de la personne en face de nous. On peut par exemple être empathique, en lui faisant comprendre que l’on a bien vu qu’elle était en colère. Un client qui est en colère, si c’est une vraie colère, si c’est légitime pour lui, on doit l’accepter. Ce n’est pas forcément légitime pour nous, mais s’il exprime sa colère parce qu’il est frustré de quelque chose, parce qu’il n’a pas été servi dans les temps, parce qu’il attend depuis vingt minutes qu’on lui trouve une table, évidemment, on doit verbaliser sa colère. Pour arriver à percevoir cette émotion, le non verbal est très important. Le langage non-verbal permet aussi de voir les incongruences. Quelqu’un qui dit qu’il est en colère mais qui n’en a pas de manifestation émotionnelle sur son visage, c’est une fausse colère. Comme dans le cas du client du restaurant des frères Pourcel que l’on a évoqué, qui veut faire une blague et qui fait semblant d’être en colère. C’est une tentative de manipulation et c’est comme ça que l’on détecte les menteurs.
Prenons quelques exemples concrets de la vie quotidienne dans les métiers de l’hôtellerie et de la restauration, où la négociation s’impose. Par exemple, j’ai besoin d’un prêt bancaire pour développer mon activité, mais mon banquier, disons, est frileux… Comment faire pour le convaincre ?
Quand on entre dans une négociation, on a parfois tendance à vouloir exprimer notre position, c’est-à-dire exprimer ce que l’on demande, sans forcément prendre en compte l’intérêt de l’autre et ce que l’on appelle l’objectif commun partagé. Je pense que, face à un banquier frileux dans la discussion sur un prêt pour développer l’activité, il faut valoriser l’objectif commun partagé : l’intérêt que le banquier a à s’associer avec vous dans ce projet. Parce que si c’est votre banquier, il a tout intérêt à ce que votre activité se développe et qu’elle fonctionne. Il faut donc verbaliser l’objectif commun partagé : que va-t-on réussir ensemble, que va-t-on construire ensemble en réussissant cette négociation, et qu’est-ce qui va nous permettre à la fin d’amener un gain aux parties prenantes ? Cela paraît très simple l’objectif commun partagé, cela paraît être une évidence mais c’est la première chose que l’on verbalise pour commencer une négociation. Cela doit être positif, constructif, si possible émotionnel, ça doit aller toucher les tripes de la personne en face de vous et puis, évidemment, ça doit être atteignable. Il faut que la personne en face de vous se dise qu’il est tout à fait possible d’atteindre cet objectif.
Un collaborateur ne se présente pas à son poste. Il a de bonnes excuses. Comment dois-je réagir ? Comment faire pour garder de bonnes relations ?
Laurent Combalbert : S’il a de bonnes excuses, si elles sont acceptables et si évidemment ce n’est pas de son fait, on va bien sûr l’accepter. “Je suis en retard, je suis désolé, il y a eu un accident de métro, je me suis retrouvé coincé pendant une demi-heure dans le tunnel” : on peut comprendre qu’il ne soit pas sorti pour aller courir dans le tunnel et rejoindre son poste. Si cela arrive une fois, ce sont des choses que l’on accepte. On s’est déjà tous retrouvés coincés dans ce genre de situations. Mais si c’est la quatrième fois qu’il annonce la même excuse ou une excuse qui n’est pas crédible, forcément, là, c’est de la mauvaise foi et on rebascule sur ce que l’on a vu précédement. On lui donne une chance de s’en sortir une fois mais, au bout d’un moment, il faut arrêter d’être pris pour des imbéciles. Un collaborateur qui n’est pas à l’heure et qui a une bonne excuse, cela peut arriver. On lui fait comprendre : “ça m’embête, ça a mis le service en retard, ça nous a mis en difficulté dès le début, mais ce n’est pas de votre faute, j’en ai bien conscience. Écoutez, on fera en sorte que ça puisse continuer de manière efficace entre nous.” On garde cette relation, on lui donne aussi ce droit à l’erreur. Il faut toujours être sous le contrôle des émotions. Les émotions sont toujours positives, toujours efficaces. Ce qu’il faut éviter, c’est qu’elles se dégradent : que la colère devienne de l’agressivité, que la peur devienne de l’angoisse, que la joie devienne de l’euphorie. Ces dégradations-là impactent notre efficacité. On contrôle notre stress, nos émotions, on prépare un petit peu, on se montre assertif et souriant, c’est souvent ce qui permet de retourner les pratiques non éthiques comme la mauvaise foi ou le mensonge, et de montrer à tous que la confiance, c’est l’un des éléments de la négociation.
La confiance est nécessaire aussi pour que les négociations soient éthiques et débouchent sur une valeur ajoutée pour les deux parties. Après avoir été négociateur au sein du RAID, vous avez continué dans la négociation, mais dans le privé, pour ensuite créer une agence de formation et de conférences, The Trusted Agency. Quel est son but ?
Nous intervenons dans les domaines de la confiance, du leadership et de la négociation. Nous sommes un réseau d’experts. Des experts qui ont un profil décalé par rapport à nos clients : des anciens du RAID, des pilotes de chasse, des médecins… des profils qui sont habitués à la haute intensité. Ils partagent leur expérience pour faire progresser les participants dont l’environnement est de plus en plus complexe et pour faire progresser l’idée qu’une négociation éthique repose sur la confiance. Une négociation où chacun y trouve son intérêt sans qu’une partie se sente écrasée ou acculée. Bref, une négociation durable pour entretenir des relations durables.
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