L’Hôtellerie Restauration : Après deux ans de travaux, vous ouvrez Hémicycle. Quel est l’esprit du lieu ?
Stéphane Manigold : J’ai acheté l’établissement en novembre 2021, puis on s’est lancés dans de gros travaux pour tout refaire. C’est l’architecte Michel Amar qui s’en est occupé. On a rendu l’établissement lumineux en ouvrant les espaces. Les fauteuils sont signés Knoll et les tables en marbre, de couleurs différentes. Certains luminaires sont signés Lalique. J’ai souhaité une cuisine ouverte sur la rue, ce qui permet de montrer aux parlementaires [l’établissement est situé en face de l’Assemblée nationale, NDLR] que cuisiner, ça demande du personnel. On retrouve en sous-sol le laboratoire de pâtisserie, au rez-de-chaussée la cuisine ouverte et la salle qui abrite 34 couverts. Au-dessus il y a un salon privatif et un comptoir à dessert et enfin, au dernier étage, le 49.3, un bar façon speakeasy. Nous avons souhaité créer une expérience globale, avec plusieurs points de vie.
À quoi faut-il être vigilant quand on rachète un lieu et qu’on veut y faire des travaux ?
Nous vendons des produits bruts que l’on transforme. Cela nécessite une masse salariale importante. Donc côté chiffres, on ne doit pas être sur un point de rupture. Si les amortissements prennent une place prédominante, cela sera au détriment de quelque chose : salaires, qualité… Quand on rachète un lieu, il faut être attentif au loyer, qui représente un coût important, et il faut regarder le contrat énergie. Aujourd’hui, quand on demande un financement, le banquier vérifie systématiquement le contrat énergie, preuve que cela constitue une charge importante.
Quel type de clientèle est attendue chez Hémicycle ?
Depuis l’ouverture de Substance [premier établissement du groupe, NDLR], je ne cesse de répéter qu’il faut déjà s’adresser aux habitants du quartier. On a 36 couverts et dans le XVIe arrondissement [où se situe Substance], il y a 160 000 habitants. Je m’adresse d’abord à eux. Il faut faire venir le voisin. Mon premier client, c’est celui qui vit au-dessus de chez moi. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui me pousse à demander à mes collaborateurs d’être exemplaires dès qu’ils sortent, pour fumer une cigarette ou faire une pause, par exemple. Nous avons aussi cette chance d’avoir des clients qui nous suivent et qui font un parcours dans les différents établissements du groupe. Les équipes ont réussi à fédérer une clientèle.
Quels sont les projets à venir ?
Nous ouvrons une table d’expression pour Tom Meyer [1 étoile Michelin et MOF], intimiste, en face de Liquide et Granite. Sinon, je suis à l’écoute, j’observe, pour mieux anticiper. Il faut toujours être en mouvement, se remettre en cause. En Chine, le taux de chômage explose, ce sont des signaux toxiques. On vit une zone de turbulence : les banques ne prêtent plus, les particuliers ont du mal à emprunter, les taux sont très élevés, nous avons toujours les PGE à rembourser… la turbulence n’est pas terminée. Le Covid a bouleversé les habitudes, les certitudes. Ce qui n’est pas plus mal, cela permet de se réinventer. Je considère que demain sera meilleur.
Quand on réserve chez vous, peu importe l’établissement, il n’y a qu’un service. Pourquoi ?
Si des clients arrivent et qu’il y a une table de disponible avant 21 h 30, on va les installer. Mais on doit progresser sur ce sujet du double service. Est-ce que ça a encore une utilité de fatiguer les équipes ? Prendre un gros rush à 19 h 30 et en reprendre un à 21 h 30, c’est difficile. Pour moi, le double service fait partie de la pénibilité du travail.
Quelles sont les attentes des clients ? Qu’est-ce que la gastronomie parisienne aujourd’hui ?
Lorsqu’ils viennent dans un établissement, les clients ont besoin de voyager, mais pas au pays du faux. Ils cherchent l’authenticité, la transparence. Les produits locaux, le fait maison, avec un service… Les établissements référencés par le guide Michelin gagnent en moyenne 16 % de réservations supplémentaires. Le consommateur n’a pas envie d’aller dans un piège à touristes, il faut protéger la restauration traditionnelle. À Paris, aujourd’hui, on perd des clients parce qu’ils se disent que plutôt que d’aller manger de l’industriel au restaurant, ils vont s’acheter une bonne bouteille de vin et suivre un tuto pour préparer un bon repas chez eux. Il faut défendre l’artisanat, travailler avec des produits locaux, c’est ça la gastronomie !
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Publié par Romy CARRERE