du 24 novembre 2005 |
CAMPUS |
EDMOND NEIRINCK, VICE-PRÉSIDENT DE L'ACADÉMIE NATIONALE DE CUISINE FACE À LA RÉFORME DU CAP
"AVANT D'ÊTRE CRÉATIF, IL FAUT MAÎTRISER LES FONDAMENTAUX"
Toulouse (31) Selon Edmond Neirinck, vice président de l'Académie nationale de cuisine*, "pour le CAP, il faut centrer la formation sur les domaines pratiques, ceux avec lesquels ils pourront redémarrer, ceux qui leur donneront le plaisir de la réussite, après tant d'années de galère".
Propos recueillis par Bernadette Gutel
"Enseigner les techniques culinaires complexes formatrices permet de protéger notre savoir-faire envié." |
Pendant
quelques années, j'ai participé aux travaux de la 17e CPC (N.D.L.R :
Commission professionnelle consultative) en tant qu'expert. À l'époque, j'étais
professeur de cuisine, responsable de la formation des professeurs. Le grand débat
qu'engendre aujourd'hui la mise en oeuvre du nouveau référentiel CAP cuisine m'encourage
à porter ma contribution à la discussion.
Avant de passer au thème principal, que doit être
une formation de CAP cuisine, je ferai deux observations. D'abord, s'il s'avère exact que
des groupes de travail se sont réunis sans que l'ensemble des représentants statutaires
soit convoqué. Nous sommes en présence d'une faute condamnable. Par ailleurs,
annoncer que des techniques peuvent être enseignées, mais ne feront pas l'objet d'une
évaluation à l'examen, c'est de la duplicité. Une compétence non évaluée ne sera pas
enseignée.
Le coeur du débat pourrait être initié par la déclaration d'un membre de la CPC :
"L'objectif de l'Éducation nationale est de délivrer aux élèves des diplômes
reprenant les compétences nécessaires pour trouver un emploi." Quelle belle
étude de texte l'on pourrait conduire ! Il n'est pas question de formation des futurs
professionnels, mais de délivrance d'un diplôme et d'embauche. Bien sûr qu'il faut que
le titulaire puisse être intégré dans l'entreprise et être opérationnel très
rapidement. Je crois que tout le monde est d'accord sur cet objectif. Cependant, la
formation initiale d'un jeune doit dépasser cet objectif immédiat et donner à celui-ci
un solide viatique.
La première étape, avant de définir le référentiel d'un diplôme, est de le situer
dans la hiérarchie des formations. Cette pyramide comprend 5 niveaux, à la base nous
avons le niveau V, le CAP, puis s'empilent successivement le bac pro, le BTS, et les
diplômes universitaires couvrant le sommet. Une base technique commune est nécessaire,
puis les diplômes se différencient par leurs exigences en termes de culture générale,
de gestion, de communication, de management
Ne nous trompons pas de niveau
d'exigences.
Protégeons
notre savoir-faire envié
Quel est le niveau des élèves ou
apprentis entrant en formation CAP ? Faible, souvent très faible. Ils sont pour la
plupart en situation d'échec scolaire. Alors il faut centrer la formation sur les
domaines pratiques, ceux avec lesquels ils pourront redémarrer, leur donner le plaisir de
la réussite, après tant d'années de galère. Je sais de quoi je parle. À partir de la
réussite technique, ils reprennent confiance. La recette 'bien sortie', une belle
maîtrise gestuelle acquise leur donne espoir et une nouvelle chance. Progressivement
aussi, des habitudes de réflexion, de raisonnement s'installent. Ils commencent à
comprendre et à vivre la cuisine. Ainsi naissent les vocations, les réussites. Attendons
un peu pour la communication, les commentaires, la gestion
Cela viendra.
Prenons l'exemple d'une technique complexe mise à
l'index : la clarification de la marmite. Cela ne se fait plus, on n'a plus le temps, ça
coûte trop cher, les clients n'en veulent plus
Je connais la litanie.
Mais observons ce jeune réalisant cette clarification. Il faut d'abord bien choisir et
doser les composants de la clarification, les tailler correctement pour qu'ils optimisent
leurs caractères. Puis suivre la lente montée en température, avec une surveillance
minutieuse jusqu'à l'ébullition, et là, stop : formation d'une cheminée et mijotage
lent pour l'équilibre savorique. Enfin, un peu de mignonnette ; un peu d'aromates dans
l'étamine et l'on peut passer délicatement le consommé ou la gelée. Levant alors
délicatement le tissu, apparaît un sublime nectar doré, parfumé et équilibré. C'est
bien l'apprenti, grâce à sa réflexion, à la maîtrise de tous les points critiques,
qui obtient ce résultat. N'est-ce pas cela de la formation ? L'objectif technique permet
d'en développer d'autres plus personnels.
Recentrons
la formation sur le métier de production
Bien sûr, il faut alléger, retirer
des techniques qui n'ont pas cette dimension culturelle. Le découpage en crapaudine ?
Pourquoi pas ! Avant d'être artiste, d'être créatif, il faut maîtriser les
fondamentaux. C'est pour cela qu'au CAP doivent être maintenues les techniques complexes
formatrices. On protège ainsi notre savoir-faire envié, on transmet les bases. Ces
apprentissages techniques constituent également le substrat pour la formation de la
personnalité. En situation professionnelle, le jeune cuisinier s'adaptera aux exigences
économiques de l'entreprise.
Des propositions sont émises pour la création
d'autres CAP : cuisine classique, cuisine collective
(ce dernier a déjà existé,
mais est mort faute de 'combattants'). Le choix d'une terminologie plus précise
apporterait certainement une réflexion plus structurée. Au lieu de parler de 'cuisine',
appellation très imprécise, trop large, pourquoi ne pas revenir à l'initiale
spécification de CAP cuisinier, celui qui fait la cuisine ! On recentre ainsi le métier
sur la production, sur l'homme de métier. Il est vrai qu'un membre des CPC a déclaré
qu'il ne fallait plus installer l'amour du métier. Nous y reviendrons. Sous des
prétextes de rentabilité, la tendance est de déplacer la production de la cuisine vers
l'industrie agroalimentaire. Inutile d'énumérer ici l'argumentaire performant
développé dans ce domaine. Plus de difficultés d'approvisionnements de produits frais,
de stockage, de préparations préliminaires
Reste la sécurité alimentaire à bien
maîtriser. Le respect des fiches des Guides des bonnes pratiques d'hygiène,
l'application des procédures, et le tour est joué. La cuisine formatée, la CAO (Cuisine
assistée par ordinateur) des cuisiniers tristes, sans autonomie, et voilà la cuisine
triste, loin de notre convivialité. Ah ! J'oubliais, il y a la créativité grâce à
l'assemblage
de produits issus de l'IAA. Bien sûr, il faut actualiser la production
culinaire, intégrer les nouvelles technologies, répondre aux attentes des clients, ce
qu'énonçait déjà Auguste Escoffier en 1902 ! Mais conservons un contenu technique
suffisant pour la sauvegarde de notre patrimoine, pour la motivation des jeunes et leur
développement. Confions à leurs chefs les responsabilités de gestion, de communication,
d'animation, qu'ils imiteront progressivement puis dépasseront. zzz68v
e-mail : ancmidpyr@aol.com
* Actuellement à la retraite, Edmond Neirinck a été chef de travaux au LH de Toulouse jusqu'en 1998.
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L'Hôtellerie Restauration n° 2952 Hebdo 24 novembre 2005 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE