du 29 décembre 2005 |
RESTAURATION |
"ALLIER INGRÉDIENTS INDONÉSIENS ET EUROPÉENS AUX TECHNIQUES FRANÇAISES DE CUISSON ET DE PRÉSENTATION"
CHRIS SALANS ET SON MOZAIC À BALI
Chris Salans est le chef incontesté du restaurant le plus en vue de Bali. Honoré du label 'Traditions et Qualité', le Mozaic figure comme la 1re table d'Indonésie, une nomination légitime pour cet établissement qui propose chaque soir une carte inventive digne des plus grands. Son jeune patron, chef franco-américain d'origine solognote, revendique ses origines, et entend les faire connaître par le biais de la cuisine. Son principe : proposer 6 soirs de la semaine un menu différent à 35 $, contribuant ainsi à démocratiser la gastronomie.
Propos recueillis par Gaëlle Girard
Le chef et patron du restaurant le Mozaic dans le jardin de son établissement. |
L'Hôtellerie Restauration :
Quel est votre projet culinaire et sur quelle démarche se fonde-t-il ?
Chris Salans : Mon projet repose sur l'élaboration quotidienne
d'une nouvelle carte, en fonction des ingrédients disponibles. Chaque soir le menu est
différent, aucun plat n'y demeure plus d'une semaine, même s'il est très populaire. Une
façon de rendre ma cuisine plus inventive, et de renouveler le plaisir que je prends à
la préparer tout en assurant son succès auprès de ma clientèle, en majorité
constituée d'habitués. Je la qualifie de 'cuisine du marché moderne' qui incorpore
ingrédients et saveurs locales : ce n'est ni de la gastronomie balinaise ni de la
'fusion'. Je cherche juste à allier ingrédients indonésiens et européens aux
techniques françaises de cuisson et de présentation. Constamment en quête de saveurs
nouvelles, je tends à 'personnaliser' ma cuisine.
Où
trouvez-vous l'inspiration nécessaire à un renouvellement quotidien du menu ?
Contrairement à certains qui construisent une recette à partir de l'idée qu'ils se font
d'un plat, mon point de départ, c'est l'ingrédient. J'en cherche sans cesse de nouveaux
pour créer des recettes. Je fais donc appel à mes fournisseurs, qui me livrent de
nouvelles listes chaque semaine, et je collabore avec 3 fermes bio qui produisent de très
bons produits de saison. J'ai aussi un employé qui arpente l'île pour me dégoter de
petites merveilles locales. Par exemple, le 'cassis de Bali' : cette baie unique qu'on ne trouve que dans la montagne balinaise entre
dans la composition de plusieurs recettes, dont la sauce accompagnant un foie gras
mi-cuit. Il a fallu maints essais infructueux pour savoir l'utiliser : le 'tasting' et
l'erreur participent au processus de découverte. Je bouquine beaucoup aussi, dans
l'histoire, avec Apicius, ou dans les traditions gastronomiques d'autres pays. La cuisine
moderne m'inspire également, notamment celle de Marc Veyrat et de Michel Bras.
|
D'où vous
est venu ce goût pour la cuisine personnalisée et sa réalisation 'à la minute' ?
De toutes mes expériences professionnelles, celle qui m'a conduit à suivre cette voie
fut assurément ma collaboration avec David Bouley. Dans son établissement, alors que les
premiers clients arrivaient, nous n'avions ni les menus ni les recettes : jamais la carte
n'était imprimée avant 19 heures ! On travaillait comme des fous, et on s'amusait
énormément. Quant à la passion de cuisiner, elle vient de mon enfance : mes parents
fréquentaient les grandes tables européennes, j'y ai développé ce goût pour la
gastronomie. Plus tard, j'ai d'abord pensé devenir critique, puis j'ai compris que le
plus simple était de devenir chef moi-même.
Racontez-nous
votre parcours.
À 22 ans, après 4 ans de prémédecine aux États-Unis, je me suis inscrit à l'école
Cordon Bleu à Paris : une 'année sabbatique' obtenue de haute lutte auprès de mon père
! Je ne regrette pas mes années à la fac : le fait de connaître la physique m'aide à
analyser un ingrédient et comprendre comment l'utiliser. J'ai pu vite progresser grâce
à cette démarche intellectuelle acquise à l'université. Ensuite, stage à L'Oustau de
Baumanière, puis emploi au Lucas Carton sous la férule d'Alain Senderens, où j'ai vécu
la tyrannie des 'french chefs'. Boulot difficile, à dormir 5 heures la nuit, avec la peur
de perdre son poste, les pressions psychologiques et la compétition ambiante. Mais passer
par ce bizutage permet de gagner le respect de ses pairs. Aux États-Unis, on ne rabaisse
pas, mais on travaille bien plus. Ma 1re expérience balinaise fut courte : je
suis parti au terme de mon contrat pour New York où David Bouley avait besoin d'un chef
dans son nouvel établissement. Puis Thomas Keller m'a contacté pour rejoindre son
'French Laundry' à Napa Valley en Californie : je voulais voir du nouveau, j'ai
travaillé pour lui pendant 1 an. En 2000, j'ai décidé de revenir à Bali, autant pour
fonder une famille (ma femme est indonésienne) que pour me lancer dans le projet Mozaic.
Est-ce
difficile d'ouvrir une bonne table à l'étranger ?
Je n'ouvrirai jamais de restaurant en France, j'aurais trop peur ! À Bali, j'ai trouvé
l'idée bien plus envisageable, même si l'île ne manque pas de restaurants
gastronomiques vu que les grands hôtels ont chacun le leur. Il a d'abord fallu développer mon propre style et au
début, j'ai reproduit ce que j'avais appris ailleurs. Une fois mes marques prises, j'ai
innové. On m'avait prédit le pire mais depuis 3 ans, on prouve quotidiennement que le
projet est viable.
En cuisine, les deux chefs du Mozaic décident qu'ils utiliseront la baie jaune en branche. |
Quelle
clientèle fréquente le Mozaic ?
Les Européens sont les plus réceptifs à ma cuisine. Cependant, à l'année, 50 % de ma
clientèle est constituée d'Asiatiques. Le coeur de mon menu varie souvent en fonction
des goûts de ces clients orientaux pour qui la gastronomie, c'est d'abord le foie gras,
le faisan, les truffes et le homard. Au départ, on proposait un bon nombre de plats
plutôt classiques et d'autres un peu trop expérimentaux. Puis on a davantage répondu
aux attentes de la clientèle en multipliant les produits dits de luxe. De même qu'on a
abandonné le menu 'surprise' du chef : trop de clients semblaient réfractaires à
l'idée d'ignorer ce qui leur serait servi au cours du repas.
Votre
nomination au livret 'Traditions et Qualité' a-t-elle changé beaucoup à la gestion du
Mozaic ?
On a racheté du mobilier, du linge, changé la vaisselle, on a pratiquement doublé le
personnel et ajouté davantage de produits hors Asie au menu. À l'ouverture du
restaurant, j'utilisais 70 % d'ingrédients locaux contre 30 % de denrées importées. Il
a fallu inverser ce rapport pour satisfaire au standing du label. Je me suis efforcé de
développer une cuisine plus compliquée, plus artistique. Le restaurant détient
désormais une réputation que je m'efforce de maintenir, une distinction dont je suis
fier et qui me permet d'être connu hors des frontières asiatiques.
Quels sont
vos projets ?
Je ne m'imagine pas reproduire ailleurs le projet Mozaic : dès que je m'absente des
cuisines, les plats n'ont plus le même goût. Me faire remplacer ? La plupart des chefs
étoilés ont des seconds de carrière entièrement dévoués et capables d'assurer à
leur place en cuisine, voire même de créer pour eux. Je n'ai pas encore trouvé
quelqu'un de cette trempe ici. Parfois, j'hésite à prendre un chef de partie venant
d'Europe. Mais je doute que cela fonctionne, en raison des divergences qui pourraient
exister entre un chef occidental et certains employés balinais. Pour ma part, j'habite
Bali depuis 7 ans, je parle la langue, et je suis marié à une Indonésienne, un plus
pour saisir la culture locale. Ouvrir un nouvel établissement me semble encore
impossible. J'ai déjà beaucoup à faire avec le Mozaic où je suis obligé de tout
contrôler. Mais à 34 ans, j'ai encore le temps de changer d'avis !
Profession : chasseur de goûts Au Mozaic de Bali, on ne fait pas les choses à moitié en termes de recherche culinaire. Le chef ayant sans cesse besoin d'ingrédients insolites pour créer de nouvelles recettes, il faut lui fournir régulièrement d'inconnues denrées des îles sortant des sentiers battus. Alors parmi son personnel, Chris Salans compte un chasseur de goûts. En effet, Wayan Widiastawa, en dehors de ses activités de comptable, assure aussi celle de découvreur de nouveautés pour le Mozaic. Un drôle de métier qui l'emmène chaque semaine sur les petites routes des montagnes balinaises à la recherche de l'ingrédient idéal. |
Pour retrouvez la carte de Chris Salans le portrait de Wayan Widiastawa : cliquez ici
Article précédent - Article suivant
Vos questions et vos remarques : Rejoignez le Forum des Blogs des Experts
L'Hôtellerie Restauration n° 2957 Hebdo 29 décembre 2005 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE