du 31 mars 2005 |
PLEINS FEUX |
Quotidiennement sur le pont, mais toujours disponible, telle est la règle de vie du président du directoire de Lenôtre. Intuitif, doué d'un sacré sens du marketing et d'un solide appétit, Patrick Scicard est l'homme d'un grand dessein pour le roi du petit-four.
CLAIRE COSSON
Patrick Scicard
Un infatigable battant
Aucun doute
possible. Rencontrer Patrick Scicard est un piège. Surtout pour une femme. Pas seulement
à cause de son sourire enveloppant, de sa poignée de main chaleureuse et de son extrême
(qui plus est sincère) gentillesse. Mais tout simplement parce qu'au bout de 10 minutes
de conversation, cet homme-là ne peut s'empêcher de vous demander : "Au fait,
vous êtes chocolat ou pâte de fruits ?"
Et une fois donnée votre langue au (de) chat, c'est
couru d'avance. Un bouquet de vos friandises préférées débarque sous vos yeux.
Évidemment, vous craquez ! Une, deux, trois
, la boîte tout entière y passe
vitesse grand V. D'autant plus vite que Patrick n'hésite pas à vous accompagner dans
cette découverte sucrée. Et quand je dis accompagner
"Eh bien oui, quoi !
Je suis gourmand. J'aime les bonnes choses", avoue sans détour l'intéressé,
croquant un petit macaron à pleines dents. Un trait de caractère qui, en l'occurrence,
ne peut aucunement se définir comme un vilain défaut. Au contraire. On pourrait plutôt
ici parler d'une véritable qualité.
Après tout, Patrick Scicard dirige la célèbre maison Lenôtre, le roi du petit-four. Et
aussi le premier traiteur de France, auquel cocktails, soirées mondaines et autres
événements sportifs mondiaux n'échappent quasiment pas. La preuve : le chiffre
d'affaires de la compagnie (filiale de Accor) a encore progressé de 14 % en 2004
atteignant les 91,64 ME.
Alors, que Patrick ait envie de tout 'dévorer' sur son passage, c'est plutôt bon signe.
"C'est une force de la nature ! Il a un appétit d'ogre. Mais il est chanceux car
jamais il ne prend un gramme", confie avec humour son épouse, Lina. Tout comme
son souci du bon goût et son respect du travail bien fait.
La bûche de Noël de Johnny et Sylvie
Des valeurs que ce père de 3
enfants, bien bâti comme on dit (1,90 m), a acquises dès sa plus tendre enfance. Ses
parents, artisans-pâtissiers dans les Yvelines, lui ont en effet appris tout petit à
mettre la main à la 'bonne pâte'. "Monsieur Scicard, vous ne lui racontez pas la
messe. Il sait de quoi il parle et connaît les secrets de nos métiers",
souligne Philippe Jouannes, directeur régional Lenôtre Côte d'Azur. Et son boss
d'ajouter modestement : "J'avalais 3 croissants, suivis de 3 éclairs sans aucun
état d'âme étant gosse. J'adorais ça. En outre, je participais assez souvent à la
confection de ces gâteaux. Manger ce que l'on fabrique, il n'y a rien de mieux."
Et puis, il lui fallait bien quelques calories à ce gamin-là qui, sitôt descendu de son
berceau, débordait déjà d'énergie. Adolescent, son père lui donnait ainsi assez
fréquemment l'occasion de se dérouiller les jambes en l'envoyant livrer certains de ses
clients, dont des stars du show-business et de grands p.-d.g. "J'ai apporté
moi-même la bûche de Noël à Johnny et Sylvie, le soir du 24 décembre 1964",
raconte Patrick en souriant. À pied ou à vélo, qu'il vente ou qu'il neige, ces fameuses
courses, jamais ce garçon ne les aurait cédées à quelqu'un d'autre. "Rencontrer
ces gens me faisait rêver", confesse-t-il.
Un rêve aujourd'hui devenu réalité puisque la
marque Lenôtre compte parmi ses 'fans' des personnalités de la jet-set, du monde
politique ou bien encore du sport de haut niveau.
"Avec Lenôtre, son côté
grand enfant est incontestablement comblé. Tout comme l'idée qui l'habite, à savoir :
tout est possible", indique l'un de ses proches.
REPÈRES
Naissance le 22 septembre 1955 à Montfort-Lamaury dans les Yvelines (78) |
Repéré
par René Traversac
Reste que pour parvenir à la place qu'il occupe
actuellement, le grand Patrick a fait preuve "d'une capacité de travail
hallucinante". Gérard Pélisson décrit d'ailleurs ce patron charismatique comme
"un travailleur infatigable. Toujours sur le pont". Tout ceci n'est
guère surprenant en soi. Sachant au fond que ce 'leader né' ne se contente jamais de
rien. Le perfectionnisme le poussant comme le plus puissant des turbos. Question parcours
professionnel, on peut noter au passage que notre protagoniste a battu des records de
précocité. À peine ses stages de l'école de la rue Médéric terminés (Hotel Meurice,
auberge L'Aubergade à Jouars-Pontchartrain, 78, Potel & Chabot, Cap Cod aux
États-Unis
) son BTH, puis BTS décroché, notre fils de pâtissier est ainsi
propulsé responsable des banquets et réceptions du Pavillon Royal à Paris. Puis René
Traversac le remarque. Il a alors 24 ans. "D'emblée, mon père a repéré son
dynamisme et sa grande efficacité", affirme Pierre Traversac, actuel p.-d.g. des
Grandes Étapes Françaises. Résultat : après avoir été associé aux négociations du
rachat du Château d'Esclimont, le jeune homme se voit confier les clefs de ladite demeure
qui devient un superbe hôtel 4 étoiles.
Il n'a pas 30 ans quand il rejoint le groupe Concorde au poste de directeur général du
Lutetia. "Au début, je l'ai embauché comme numéro 2. Devant le travail qu'il a
accompli, je l'ai promu très vite directeur général ", se souvient Patrice de
Margerie, président de la Société du Louvre. Et de préciser : "J'ai mis ma
crédibilité en jeu à l'époque. Comme il ne cessait de me le dire, Patrick n'avait
alors que 28 ans. Je n'ai jamais eu à regretter ma décision. Bien au contraire."
Mieux vaut avoir un bon jeu de jambes
Et pour cause ! Patrick Scicard a
tendance à considérer qu'il n'a pas de droits, mais uniquement des devoirs : ceux de
s'occuper dignement des responsabilités qui lui ont été allouées. En d'autres termes,
notre homme s'impose un rythme d'enfer. "Je suis toujours le premier levé et le
dernier couché", plaisante-t-il. N'empêche, le Lutetia devient rapidement le
lieu de rencontre du Tout-Paris. Mieux encore : peu de temps après avoir ouvert le
restaurant Paris, le guide Michelin lui décerne une première étoile. Devant un
tel succès, l'état-major du groupe Concorde ne résiste pas longtemps.
En 1989, Patrick prend les commandes de l'un de ses
plus beaux établissements, le Martinez à Cannes. Là-bas, il ne s'agit pas non plus de
se dorer la pilule au soleil et encore moins sous la Salamandre. Cela tombe bien parce que
ce n'est pas le genre de Scicard. "Mieux vaut avoir un bon jeu de jambes pour
travailler avec Patrick", témoigne Olivier Turlan, aujourd'hui directeur
général adjoint de Lenôtre, mais officiant autrefois à ses côtés au Martinez. "C'est
un homme qui va vite et qui ne comprend pas que les autres n'aillent pas à la même
vitesse que lui", souligne avec humour Jean-Paul Lespinasse, président du
conseil de surveillance de Lenôtre.
Traduisez : avec lui ça déménage. Durant 6 ans d'ailleurs, Patrick Scicard va mettre
les bouchées doubles pour développer l'animation des salons de l'établissement cannois
notamment, qui accueilleront entre autres les réceptions des chefs d'État lors du Sommet européen de juin 1995. Sans oublier
l'organisation des manifestations liées au Festival international du film. "C'était
une époque formidable ! À la fois grisante et stressante parce que l'on montait des
choses totalement inimaginables avec les équipes de télévision (Canal + en particulier)
et mes collaborateurs ", décrit Patrick, l'oeil pétillant.
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Toujours
voir le bout du tunnel
En dépit d'une nature anxieuse,
Monsieur Scicard déteste à l'évidence la routine. "Ce qui lui permet de
toujours aller de l'avant", commente sa femme. Et Laurent Le Fur, directeur
général de Lenôtre, de surenchérir : "L'existant, ça ne lui suffit pas.
Définitivement optimiste, il voit toujours le bout du tunnel." Un bout du tunnel
qui semblait néanmoins pratiquement inaccessible lorsque la presse annonce sa nomination
à la direction de Lenôtre, en décembre 1995. À l'époque, la filiale du groupe Accor
(le géant de l'hôtellerie rentre dans le capital de la société Lenôtre à hauteur de
20 % en 1985 et en devient l'actionnaire principal fin 1994) traverse une période noire.
Malgré une valse de directeurs généraux impressionnante, les comptes plongent dans le
rouge : près de 30 MF de perte fin 1995. Du jamais vu dans la belle histoire du
pâtissier de Pont-Audemer (27) 'monté' à Paris en 1957, puis devenu traiteur avec son
laboratoire de production de 1 000 m2 à Plaisir (78). La situation est si
préoccupante que la firme doit tailler dans ses effectifs. Un véritable crève-coeur
pour Gaston, qui est lui aussi mis, en parlant vulgairement, 'au placard'. En clair,
Lenôtre devenait un pâtissier 'chocolat'. Et pourtant, les chiffres sont là
aujourd'hui. Patrick Scicard a bel et bien redressé, illico presto, l'entreprise. 2004
est ainsi le huitième exercice bénéficiaire (2,112 ME). À ces finances flatteuses,
Lenôtre a ajouté le titre de 'champion du monde' des événements de qualité à grande
échelle (Coupe du Monde de Football en 1998, Jeux olympiques de Sydney,
d'Athènes
).
Aux dires de nombreux professionnels, Patrick Scicard a un sixième sens en terme de recrutement. En l'occurrence, on peut dire qu'il a eu du nez en appelant à ses côtés Olivier Turlan (à gauche) et Laurent Le Fur (à droite). |
Humilité
et main à la pâte
Un bilan qui a de quoi faire pâlir
d'envie la concurrence. Elle-même éprouvant de sérieuses difficultés. La performance
est d'ailleurs jugée si remarquable que Jean-Marc Espalioux, président du directoire de
Accor, déclare souvent : "Le groupe et Lenôtre, c'est une grande histoire
d'amour." Ou plus récemment encore : "Patrick, vous êtes le
stradivarius de Accor." Une reconnaissance qui s'avère pour le président du
directoire de Lenôtre plus nécessaire qu'il ne veut l'avouer. Les lauriers, s'ils
tombent, ne l'empêchent pas cependant de douter ni de vouloir faire encore mieux. Cet
homme se caractérise en effet par une grande modestie. Au point qu'il déclare sans cesse
: "Je suis riche des rencontres que j'ai fait tout au long de ma carrière. J'ai
eu une chance incroyable de croiser autant de gens brillants qui ont bien voulu me tendre
la main."
Des mains qu'il a toutefois parfaitement su saisir.
Ne demeurant jamais les deux pieds dans le même sabot. Et faisant toujours preuve
d'initiative et d'audace. Concrètement, c'est à sa demande effectivement que Gaston
Lenôtre a réintégré 'sa' maison et en est redevenu l'ambassadeur. "Nous sommes
l'une des rares marques de luxe à avoir encore notre fondateur. Cela aurait été dommage
de se priver d'un tel atout. D'autant que Gaston est un véritable monstre sacré, un
génie créatif et un palais hors norme", s'enflamme Patrick. C'est à ce grand
bonhomme aussi, qui se conçoit volontiers comme un "simple maillon de la chaîne",
que l'on doit la remotivation des équipes du porte-drapeau de la gastronomie française.
"Il est du sérail, ce qui facilite les choses. Mais surtout, Monsieur Scicard ne
répugne jamais à mettre la main à la pâte et s'intéresse à notre travail. Une telle
humilité force le respect", explique un responsable du laboratoire de Plaisir. Enfin,
c'est encore à lui que revient la sélection de Lenôtre comme traiteur exclusif de la
Coupe du Monde de Football en 1998. Une opération osée qui au-delà des 800 000 couverts
servis à travers 10 stades différents, va se transformer en un véritable projet
d'entreprise et changer définitivement l'esprit des collaborateurs. "Le pari de
la Coupe du Monde de Foot semblait difficile à relever dans les faits. On a su malgré
tout s'organiser et prendre les risques nécessaires pour parvenir à nos fins",
rapporte Olivier Turlan, alors en charge de la manifestation. "Patrick Scicard,
c'est une locomotive ! Quand il se lance dans un projet, vous ne pouvez pas ne pas le
suivre", précise Philippe Jouannes. Incroyable, mais vrai ! On finirait presque
par croire que les 1 000 salariés de Lenôtre (dont 9 MOF et 1 champion du monde de
sommellerie) sont tous fin prêts à se lever pour leur patron. Y compris le fondateur,
qui affiche haut et fort la couleur : "Patrick, c'est le fils que j'espérais. Il
m'aide à vieillir heureux ! La manière dont il gère l'entreprise, c'est que du bonheur."
De là à dire que tous les matins sont roses (bonbon, bien sûr), il n'y a qu'un pas que
ses proches franchissent doucettement. "Il a les qualités de ses défauts à
savoir : il est furieusement impatient", constatent certains. Il n'en demeure pas
moins vrai que chacun est prêt à tout donner pour ce big boss. D'autant plus qu'une fois
sa confiance gagnée, Patrick pratique volontiers l'art de la délégation, reniant les
rites de la soumission. "Il vous laisse toute autonomie dans vos responsabilités.
En outre, il accepte d'être challengé car il n'est pas un homme de décision
unilatérale", assure Laurent Le Fur.
La
Chine en ligne de mire
Et Marie-Laure Urbancic, son
assistante, de compléter : "Malgré ses multiples expériences, Monsieur Scicard
ne pense pas détenir la vérité. Il écoute ce que vous lui dites. Et sait remercier.
Résultat : vous grandissez avec lui. " Tout comme il a fait grandir
l'entreprise.
"Depuis son arrivée, il est clair que
Lenôtre a pris une nouvelle dimension", observe Gérard Pélisson. Outre choisir
de bons managers, être à l'écoute des équipes, capitaliser sur le fondateur, miser sur la créativité, couper les
branches malades, Patrick Scicard a de fait réussi à rajeunir la marque tout en
dynamisant son image. En gestionnaire avisé, il a également mis l'accent sur le
développement d'activités complémentaires qui nécessitent des investissements
modérés : la franchise de boutiques Lenôtre et des contrats de licence conclus avec des
partenaires de qualité dans le secteur de la grande distribution et de la restauration
hors foyer (3 licences avant sa nomination contre une dizaine à ce jour). Ajoutons à
cela la première école française gastronomique de formation et de perfectionnement qui
reçoit 3 000 stagiaires par an dont 40 % d'étrangers.
"Il a une vision du marché et un sens
incontestable de l'anticipation", reconnaît Stéphane Jitiaux, directeur
général des opérations de chez Ladurée. Autrement dit, Patrick Scicard risque encore
de nous sortir quelques nouveaux 'lapins' (pas en chocolat...) de son chapeau dans les
années à venir. "La maison Lenôtre est une entreprise qui ne demande qu'à
croître", lance l'intéressé. Une chose est d'ores et déjà acquise : à la
tête pour l'heure d'une quarantaine de boutiques dans 10 pays, l'entreprise va mettre
l'accent sur son internationalisation dans l'avenir et essaimer à Marbella (Espagne), à
Dubaï, au Maroc
Les ambitions ne sont bien entendu pas planétaires. "Il
existe en fait de nombreuses opportunités au Moyen-Orient (culturellement tourné
vers le sucré) et en Asie (folle de marques de luxe)", explique Patrick
Scicard. Et la Chine figure évidemment dans la ligne de mire de Lenôtre. "Une
boutique à Shanghai et Pékin, c'est tout à fait envisageable", promet le
président du directoire. Avec 1,39 milliard de bouches à nourrir, l'empire du Milieu
s'annonce comme un défi gigantesque. Mais tout est possible avec Patrick Scicard ! < zzz18p
LES ACTIVITÉS DE LENÔTRE Traiteur
et organisateur de réceptions |
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L'Hôtellerie Restauration n° 2918 Magazine 31 mars 2005 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE