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![]() du 9 février 2006 |
L'ÉVÉNEMENT |
POUR JEAN-CLAUDE BOUCHARD, AVOCAT-FISCALISTE, L'AVENIR PASSE PAR LA "COMPÉTENCE PARTAGÉE"
LE PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ PERMET D'APPLIQUER LE TAUX RÉDUIT DE TVA EN RESTAURATION
En matière de fixation des taux de TVA pour les prestations de services qui ne circulent pas, et qui, par conséquent, n'entraînent pas de perturbations au niveau du marché européen, il est parfaitement possible à chaque État membre de fixer le taux de TVA qui s'applique aux prestations locales. Jean-Claude Bouchard, avocat-fiscaliste, présente le principe de subsidiarité qui permet de départager ce qui revient aux États membres et à la Communauté européenne quand il s'agit d'un domaine de compétences partagées.
Propos recueillis par Pascale Carbillet
![]() Jean-Claude Bouchard, avocat-fiscaliste : "La TVA n'est pas la compétence de l'Europe." |
La
subsidiarité, c'est un principe qui existait de façon mineure et qui
est devenu un principe constitutionnel du droit européen. Le traité de
Maastricht, entré en vigueur en 1993, a inscrit dans les textes communautaires
le principe de subsidiarité. À l'article 3B2 3e alinéa,
il est prévu que "dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence
exclusive, la Communauté n'intervient, conformément au principe de subsidiarité,
que dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas
être réalisés de manière suffisante par les États membres,
et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée,
être mieux réalisés au niveau communautaire". Ce principe de
subsidiarité signifie que dans les domaines qui ne relèvent pas de sa
compétence exclusive, l'Europe n'intervient que si les objectifs de l'action
envisagée ne peuvent être atteints de manière suffisante par les
États membres, mais peuvent être mieux réalisés au niveau
européen.
En conséquence, lorsqu'il s'agit du domaine
exclusif de la Communauté européenne, le principe de subsidiarité
ne s'applique pas. De même, quand il s'agit du domaine exclusif des États
membres, le principe de subsidiarité ne s'applique pas.
En revanche, lorsqu'on va se trouver
dans un domaine où les compétences sont partagées - c'est-à-dire
que les compétences appartiennent à la fois aux instances communautaires
et aux États membres -, le principe de subsidiarité va trouver à
s'appliquer. Il sera le fil conducteur qui permettra de départager ce qui revient
à l'un et ce qui revient à l'autre.
Mais ce principe ne commande que s'il
y a un problème au niveau de la base, c'est-à-dire des États
membres, et qu'il peut être mieux traité au niveau communautaire : il
sera donc appelé à ce niveau.
En résumé, il faut donc d'abord
qu'il y ait compétence partagée puis qu'il y ait problème au niveau
de la base qui puisse être mieux traité au niveau communautaire.
Principe de subsidiarité
et TVA
Il y a en matière fiscale
une autre disposition : l'article 99 du traité qui nous dit qu'en matière
fiscale "le conseil statue en unanimité sur proposition de la Commission,
arrête les dispositions touchant à l'harmonisation des législations
relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, dans la mesure où cette harmonisation
est nécessaire pour assurer l'établissement et le fonctionnement du marché
intérieur".
Autrement dit, il ne faut pas
harmoniser pour le plaisir d'harmoniser, mais pour assurer le bon fonctionnement
de ce marché intérieur.
Donc la question à laquelle
il faut répondre est : la subsidiarité est-elle de la compétence
des États membres ou de la Communauté ?
La TVA est, en principe, de la compétence de l'Europe. Eh non ! Répond
Jean-Claude Bouchard.
Il ne faut harmoniser que dans la mesure
où il y a nécessité d'harmoniser. On se pose maintenant la question
de savoir à qui appartient la capacité de fixer les taux de TVA.
La directive de 1992 présuppose que la
capacité de fixer le taux appartient aux instances communautaires. Alors là,
je dis que c'est partiellement faux.
À l'époque, on s'acheminait vers le
régime définitif de TVA dans la conception qui prévalait depuis 40
ans. Selon cette conception, la TVA, qui devait être acquittée, était
celle du pays dans lequel les entrepreneurs sont établis. Autrement dit, un
entrepreneur situé à Bordeaux, vendant des produits en France et dans
tous les États membres de la Communauté, aurait acquitté la TVA
au taux applicable en France. La même règle devait être appliquée
pour les services. C'est ce que nous appelons 'le lieu unique de taxation'. C'était
la vision que la Communauté avait fait inscrire dans la directive, et c'est
ce régime définitif qui devait entrer en vigueur le 1er janvier
1997. Pour ma part, j'avais écrit à l'époque que c'était irréaliste,
infaisable, et que ce n'était pas le système définitif qu'il fallait
mettre en place. Ce n'est pas le lieu unique de taxation qu'il faut retenir, mais
le lieu unique de déclaration.
C'est le pays dans lequel la consommation
a lieu qui doit bénéficier de cette recette. Un produit part de Bordeaux
et va en Angleterre. C'est la TVA anglaise qui va s'appliquer sur le produit. Dans
le cas d'un service de cordonnier pour lequel vous avez le consommateur et le prestataire
qui sont tous les deux sur place, en quoi la fixation du taux au niveau local pour
ce type de service est-elle perturbatrice du bon fonctionnement du marché commun
? Il n'y a aucune perturbation. Même si le taux de TVA applicable dans les
restaurants en Finlande est de 30 % et uniquement de 5,5 % en France, ce n'est pas
ça qui va entraîner des détournements de trafic. Les Finlandais
ne vont pas venir manger en France en raison d'un taux de TVA plus faible que dans
leur pays.
En conséquence, en 1992, quand
on a conçu le régime définitif de TVA, on est allé trop loin.
On a englobé dans le régime définitif
des prestations de services qui devaient rester des prestations locales. Prestations
locales, dont le taux de TVA doit être fixé par le pays dans lequel elles
sont réalisées et consommées.
Autrement dit, par le principe de subsidiarité,
on démontre que c'est une compétence partagée. Que cette compétence
de fixation des taux pour les prestations qui ne circulent pas appartient à
l'État membre dans lequel il est situé. Et qu'harmoniser n'a pas de
sens dans la mesure où il n'y a pas de nécessité.
L'unanimité est un faux
débat
En conclusion, la France
aujourd'hui n'a pas besoin de l'unanimité pour appliquer le taux de TVA aux
prestations locales. L'unanimité est un faux débat. La directive a outrepassé
le droit et les pouvoirs qu'elle détient du droit communautaire, donc elle
est illégale. À partir de ce moment-là, deux solutions : la France
passe outre et se passe de l'unanimité, mais osera-t-elle le faire ? Après
l'échec du référendum sur la Constitution, un tel coup de force serait
mal perçu et ternirait encore l'image de l'Europe. On ne saurait conseiller
une telle démarche. Ou bien la France dit au Conseil, nous nous sommes trompés
en 1992, lorsque nous avons inclus les prestations de services à forte intensité
de main-d'oeuvre de consommation locale dans le périmètre de compétence
du droit communautaire, et demande au Conseil de les sortir de son périmètre
de compétence. Soit le Conseil européen acquiesce, et là il n'y
a plus de problème, soit le Conseil refuse. La France peut de sa propre initiative
saisir la cour de justice des Communautés européennes pour faire prévaloir
le respect de la règle de droit. Et là, la France mènerait une
action positive.
Ce qu'il faut savoir également,
c'est que la Commission des Communautés européennes est tout à
fait d'accord avec cette analyse. Elle est prête à rendre cette liberté
aux États membres, mais est-ce qu'ils la veulent ? Y a-t-il un seul État
membre de la Communauté qui veuille cette liberté ?
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On a fini par convaincre la Commission
qui, en 2003, a déposé toute une série de textes pour prôner
le lieu unique de déclaration en matière de taxation de la TVA. Elle a
donc considérablement évolué pour donner toute flexibilité au
système. L'obstacle, ce n'est pas la Commission des Communautés européennes,
ce sont les États membres qui refusent pour des raisons de politique locale.
On est bien loin d'un esprit communautaire. Il faut donc aujourd'hui abandonner
le détail et revenir à l'essentiel. C'est-à-dire fixer les règles
du régime définitif de TVA que l'on veut. Avec le lieu unique de déclaration,
nous n'aurons plus de problème de fixation des taux TVA.
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L'Hôtellerie Restauration n° 2963 Hebdo 9 février 2006 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE