du 15 juin 2006 |
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Entretien croisé entre André Daguin et le célèbre commissaire Broussard
Sur la drogue, les machines à sous, le président de l'Umih, André Daguin, et celui qui a été l'un des plus célèbres policiers de France, Robert Broussard, partagent le même avis. Entre autres.
Propos recueillis par Sylvie Soubes
Cet entretien s'est déroulé Chez Benoit, le tout récent bistrot parisien d'Alain Ducasse. Haute gourmandise, convivialité et sérieux étaient au rendez-vous. |
André
Daguin : Lors de notre congrès
national de Biarritz, en 1993, vous aviez accepté de participer à un
débat sur la drogue. Nous avions et nous avons toujours une position très
ferme sur ce sujet.
Robert Broussard
: Il y avait une tentation
à une certaine époque, lorsqu'on parlait de dépénaliser la
drogue, de faire une différence entre drogues dites douces et drogues dures.
Pour moi, ça n'existe pas. Le corps médical lui-même ne fait pas
de distinction. Certes, il y en a qui sont sans doute plus dangereuses, plus nocives
que d'autres, mais ça reste de la drogue.
A. D. :
On sait aujourd'hui que les traces que laisse le cannabis à long terme sont
beaucoup plus graves que ce que l'on pensait. Ça détruit en partie le
centre de la volonté.
R. B. :
Sa dépénalisation revient malheureusement toujours dans les discussions.
Vous allez voir que pour les prochaines élections, le sujet va encore être
abordé. Il y aura bien quelqu'un qui va poser la question : Êtes-vous
pour la dépénalisation ? C'est récurrent comme histoire. Là,
il faut tenir la barre. Ce qui fait peut-être prendre davantage conscience,
à l'heure actuelle, du danger représenté, c'est la politique de
sécurité routière. Quand on répète que des accidents sont
dus à l'alcool et à la consommation de cannabis, les choses bougent.
Ça commence à évoluer dans l'esprit des gens.
A. D. :
Le danger, dans nos établissements, c'est quand le patron ne s'aperçoit
pas qu'un trafic s'installe. Après, il est coincé. C'est comme les machines
à sous. Je sais qu'on parle de machines douces, pour désamorcer le problème
des machines illicites. Je ne suis pas sûr que ce soit la solution.
R. B. :
Lorsque j'ai été nommé préfet en Corse, une des premières
décisions que j'ai prise a été de contrôler les cafés.
Il y en avait quelques-uns qui n'avaient pas les licences appropriées. Mais
ce n'était pas le fond du problème. Il y avait en attente à la
préfecture un nombre incalculable de lettres de femmes qui se plaignaient de
voir leur mari dépenser tout l'argent du ménage dans les machines à
sous. Non seulement il y avait l'aspect social et humain, mais derrière, c'était
gangrené par le milieu. Il fallait les placer, ces machines. Et si ça
ne marchait pas suffisamment, les patrons de café étaient confrontés
à une forme de racket… Vous savez, je me demande si ce n'est pas un
mauvais calcul de vouloir des machines à sous dans un bar. Vous récupérez
peut-être une certaine clientèle, mais il y en a peut-être une
autre que vous allez perdre.
A. D. :
Au-delà de ça, le gars, quand il s'est mis dedans, il est foutu. Il
n'est plus maître de la situation. Ce n'est plus lui qui est aux commandes.
Et ça, on ne peut pas le tolérer. Nous, notre principe général,
c'est qu'un chef d'entreprise doit être libre de prendre ses décisions...
Dans notre métier, on colle à la réalité ! J'étais bien
copain avec le préfet assassiné, Érignac, j'aimais bien cet homme.
Il avait été préfet du Gers. C'était un grand commis de l'État.
R. B. :
J'avais beaucoup d'estime pour lui, sa famille, que je connais bien. Je l'avais
rencontré lorsqu'il était préfet de la Moselle. Ensuite, il a été
nommé à Versailles, et quand il a été nommé en Corse,
j'ai été l'un des premiers qu'il a appelé. Nous avons déjeuné
ensemble quelques jours avant qu'il ne parte. Il voulait savoir comment ça
se présentait. Ensuite, j'ai eu l'occasion de le revoir à 3 ou 4 reprises
en Corse. C'était quelqu'un de remarquable. On dit toujours ça des gens
qui disparaissent, mais là, c'était vraiment le cas : quelqu'un de très
urbain, de très professionnel, sachant ce qu'il voulait et toujours sur un
ton très convivial.
A. D. :
Je ne comprends pas qu'il y ait en Corse cette espèce de communion du silence.
R. B. :
Oui et non. En Corse, on dit toujours l'omerta. Mais ils ont une technique qu'il
faut connaître. J'ai eu du
mal
à m'y faire au début, mais j'ai fini par comprendre. Là-bas,
quand on veut faire des confidences, on ne le dit pas directement, on le fait savoir.
On passe par quelqu'un d'autre. On fait passer par la bande. Ce qui est vrai, c'est
qu'au niveau des procédures judiciaires, au niveau des tribunaux, les gens
ont tendance à être sourds, aveugles et muets. Ils n'ont jamais rien
vu, rien entendu.
A. D. :
Il faut votre formation pour arriver à négocier.
R. B. :
Je me souviens d'un match retour de la Coupe de France à Ajaccio. C'était
de la folie. Jean-Luc Lagardère, qui était président du Racing, était
dans les tribunes avec son épouse. Elle était terrorisée par
les jets de pétard. Ça pleuvait de partout. Les marrons de terre, ça
pète comme des grenades offensives. Le match s'est néanmoins déroulé
tant bien que mal avec un arbitre qui avait été super adroit. Sauf qu'après,
les joueurs du Racing refusaient de sortir des vestiaires. Ils avaient peur, car
ils devaient repasser par le stade pour rejoindre le bus. Lagardère y va, tente
de les raisonner, sans résultat. Il vient me voir et me demande de faire quelque
chose. J'y vais et je leur dis : vous allez avancer en colonne en regardant droit
devant vous, vous ne répondez pas aux provocations et moi, je passe devant.
On est sorti comme ça, me frayant un passage dans cette foule vociférante
et excitée. Un leader FLNC s'est approché et je lui ai lancé : qu'est-ce
que c'est que cette mascarade, vous n'êtes pas digne d'être Corse !
A. D. :
Ces situations extrêmes ne sont pas faciles à gérer. Ce n'est
pas simple de mettre les gens d'accord.
R. B. :
Où j'habite, il manque un tronçon d'autoroute. Ça dure depuis
des années. Il y a 5 ou 6 projets. Toutes les communes sont formelles, il faut
terminer cette portion, à condition que ça se passe chez le voisin…
Il y a les défenseurs de ceci et de cela. Chacun est persuadé d'avoir
raison, d'avoir les bons arguments. Mais on ne peut rien faire.
A. D. :
Même au plan syndical, c'est comme ça. Une décision est prise
par le conseil d'administration national, en présence de tous les présidents
départementaux. Et de temps en temps, il y en a un qui dit, 'ah, je vais réunir
mon conseil d'administration dans mon département pour discuter de la décision
qui a été prise'. Il est de bonne volonté, il veut travailler. Mais
ça ne fait rien avancer du tout. Ça fait l'inverse.
R. B. :
Dès
l'instant qu'on prend une décision, il faut s'y tenir.
A. D. :
Certains disent que la démocratie participative peut amortir ce genre de chose.
R. B. :
C'est vrai qu'il faut au maximum essayer de discuter, mais il y a un moment où
il faut décider. Il ne faut pas aller trop vite, mais une fois que c'est mûr,
c'est mûr. Le problème, c'est que lorsque c'est mûr, parfois -
pour ne pas dire souvent -, on n'applique pas la décision.
Repères Né en 1936 en Charente-Maritime, Robert Broussard a été l'un des plus célèbres flics de France. Chef de la brigade antigang dans les années 1970 et 1980, il a été préfet délégué pour la police en Corse de 1983 à 1985. Il est aussi à l'origine de la création du Raid. En 1997, il a publié ses mémoires en deux tomes. La réédition, en un seul volume, de cet ouvrage intitulé Commissaire Broussard, mémoires est disponible chez Stock. |
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