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du 16 novembre 2006
SALONS

LE MESSAGE DE CARLO PETRINI, PRÉSIDENT SLOW FOOD INTERNATIONAL

CUISINIERS, CUISINIÈRES : SORTEZ DE VOTRE RESTAURANT

Dans le cadre du forum Terra Madre, qui s'est déroulé à Turin en Italie en synergie avec le Salone del Gusto, du 26 au 30 octobre dernier, 1 000 chefs venus de 150 pays ont été invités à participer à l'Atelier Gastronomie. Carlo Petrini est venu leur présenter le réseau mondial Terra Madre basé sur des échanges permanents entre les cuisiniers et les paysans, réseau qui permettra à chacun de prendre la liberté de produire et de cuisiner des produits respectueux de la nature et… de notre santé.
Bernadette Gutel


Dans le cadre des forums Terra Madre 2006, Slow Food a invité 1 000 cuisiniers et cuisinières de 150 pays à partager leurs expériences d'éducateurs et de gardiens des traditions.

Dans les années 1980, Henri Gault et Christian Millau ont incité les chefs français à sortir de la cuisine pour rencontrer leurs clients en salle. En 2006, Carlo Petrini, président Slow Food International, leur demande d'aller à la rencontre de leurs producteurs. "Cuisiniers, cuisinières, a-t-il demandé aux 1 000 cuisiniers réunis à Terra Madre, le moment est venu de sortir de votre restaurant. Libérez-vous de la cage dorée de votre établissement dans laquelle on vous incite à rester. Sortez de votre restaurant pour faire connaissance avec les paysans, éleveurs, vignerons, artisans qui travaillent à proximité de votre établissement, dialoguez avec eux, découvrez leur façon de travailler, cuisinez leurs produits, et surtout, partagez votre expérience avec vos clients et avec tous les autres consommateurs." Carlo Petrini veut faire prendre conscience aux cuisiniers qu'en découvrant et en valorisant ainsi les produits de la terre, ils font de leur cuisine un acte culturel, un acte holistique* car ils garantissent le plaisir, interviennent dans la maîtrise de la santé, de l'éducation du consommateur, de l'économie, du maintien de l'emploi et du respect de l'environnement… "On commence à se dire, poursuit-il, que l'âme des enfants est assiégée, qu'ils sont éduqués dans une optique de consommateurs, et non pas dans celle de vivre en harmonie avec la création. Et les personnes âgées, dans les maisons de retraite, comment mangent-elles ? Elles ne produisent plus, elles ne sont plus nécessaires. Doivent-elles terminer leur vie sans transmettre leur savoir ? Et les malades ? Ils mangent mal. Ont-ils commis un péché ? Pourtant, une bonne cuisine à l'hôpital est un véritable acte thérapeutique. Il faut donc que le monde de la cuisine réfléchisse à la dimension culturelle qu'il veut donner à ses actes et à la direction qu'il veut prendre."

Le réseau Terra Madre, un réseau international
"En fait, poursuit Carlo Petrini, il faut s'ouvrir pour un enrichissement mutuel et entrer en relation avec les autres afin de mettre l'accent sur la centralité de la nourriture, car la centralité de la nourriture, c'est la centralité de la politique culturelle de la planète. On cherche notre nourriture toute notre vie dès notre création dans le ventre de notre mère, et quand on mourra, on redeviendra nourriture. Les chefs étoilés ou non, les cuisiniers des villages, les producteurs… doivent devenir les interprètes de ce changement." En publiant une encyclopédie qui présente 1 600 communautés alimentaires réparties dans le monde entier, et en la distribuant gratuitement à tous les participants aux forums Terra Madre, l'association Slow Food a posé la première pierre d'un réseau international - le Réseau Terra Madre - qui reliera les agriculteurs, vignerons, artisans, scientifiques et cuisiniers du monde entier. La France est représentée dans cet ouvrage. Y figurent, par exemple, les producteurs de porc basque, de boeuf béarnais, de Rosée des Pyrénées, de Pie noire bretonne, de Maine Anjou, d'algues de Bretagne, de piment d'Espelette, d'ail Rose de Lautrec, de Jurançon, de Banon… Cette encyclopédie présente chaque communauté et ce qu'elle produit. Elle donne le nom de son responsable et son adresse e-mail. "Ce réseau, commente Carlo Petrini, n'a pas besoin d'être structuré, il s'agrandira tout seul par les échanges qui y seront produits, par les savoirs que chacun pourra acquérir." Il permettra aux membres du réseau de s'entraider pour conquérir, si besoin est, la liberté de produire et de consommer… en respectant la nature. zzz12 zzz22v zzz52

* Holistique : terme qui s'applique à une approche globale d'un système, d'un acte. Ce mot vient du grec holos qui signifie entier.

Le 11 novembre
C'est la journée Slow Food
Pour renforcer ce réseau en créant une caisse de résonance, Carlo Petrini a demandé également à tous les chefs présents d'inviter chaque année, le 11 novembre, 5 journalistes à déguster un repas 'Slow Food' pour leur présenter l'association et le Réseau Terra Madre. Si les 1 000 chefs présents ce jour-là ont suivi cette proposition, 5 000 personnes pourront diffuser les idées de Slow Food, basées sur la défense de la biodiversité, le respect des hommes et de leur environnement.

POUR DÉCOUVRIR 1 600 PRODUITS TRADITIONNELS
L'encyclopédie Terra Madre 1 600 Food Communities


Slow Food entend bien créer un réseau d'entraide internationale pour les communautés de paysans et d'artisans grâce à la première encyclopédie Terra Madre.

Cette encyclopédie réalisée par Slow Food a été publiée pour la première fois à l'occasion de Terra Madre 2006. Elle présente 1 600 produits traditionnels et les communautés qui les produisent. Vous pouvez vous procurer cet ouvrage publié en anglais ou en espagnol en envoyant un mail à : ordini@slowfood.it précisant les coordonnées de votre carte de crédit, votre adresse et numéro de téléphone. L'ouvrage vous sera envoyé par courrier express.
Le prix est de 21,50 euros, frais de port non compris (10 euros environ, car il est très lourd).
Vous pourrez également acheter ce livre à partir du site : www.slowfood.com

 

Atelier Gastronomie Terra Madre du 29 octobre 2005 (2)
Cuisiniers et cuisinières dans les systèmes alimentaires : éducateurs, promoteurs et gardiens

Au cours de cet atelier, une douzaine de cuisiniers et de cuisinières originaires de France, des États-Unis, d'Irlande, de Biélorussie, du Congo, du Bénin, d'Italie, de Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni…, tous adhérents Slow Food, sont venus présenter leur expérience d'éducateur du grand public, de promoteurs d'une nourriture saine et de gardiens des traditions. Cet atelier a été ouvert par Alain Ducasse (3) qui a mis l'accent sur l'importance de l'éducation du goût, de la mémoire collective, du partage de la nourriture…

Faire toucher la terre, goûter des produits qui ont une âme


Parmi les 1 000 chefs invités à la conférence Gastronomie Terra Madre, ces 7 restaurateurs Cuisineries Gourmandes, vêtus de leur tenue de cuisinier et de leur grande toque, n'ont pas manqué d'attirer l'attention d'une multitude de photographes. Ils vont tous parler de ces journées avec leurs clients et la presse régionale. D'avant en arrière, P. Titeux, R. Touchet, C. Izard, G. Ryngel, S. Cramar,
C. Pelletier et J.-P. Saysset.

Elana Raider, chef américain qui travaille en bio et pour la bio depuis 30 ans, a dirigé une école de cuisine pendant 6 ans, au sein de laquelle il a créé des clubs agricoles. "J'ai créé ces clubs, explique-t-il, pour faire comprendre à mes élèves d'où ils venaient. Je les emmenais ainsi visiter des fermes, planter des oignons et goûter des produits qui venaient d'être récoltés, des produits qui ont une âme. Grâce à ces expériences, beaucoup se sont éclairés et sont devenus des drogués des bons produits. L'un d'eux a eu l'idée de créer un jardin potager dans le cadre de l'université. Le succès a été tel que les légumes produits ont pu être vendus à la cafétéria. Une autre a fait un apprentissage dans une ferme, et dans le cadre de l'université d'écologie de Santa Cruz, travaille pour changer la culture des cuisiniers et le goût des habitants de la région… Beaucoup d'Américains ne peuvent pas se rapprocher de la nature, mais on peut au moins éduquer dans ce sens les futurs cuisiniers."

Nora Pouillon a été la première à avoir ouvert, voici 27 ans, un restaurant bio à Washington "parce que la qualité de notre vie dépend de la qualité de ce que l'on mange". "Pour mes clients, j'organise des visites dans les champs afin qu'ils touchent la terre, qu'ils comprennent bien l'importance de la retrouver. J'ai également créé voici 10 ans le premier marché paysan. Aujourd'hui, il y en a 7 à Washington."

• Faire toucher la terre pour faire comprendre d'où vient la nourriture est une expérience que fait également vivre Darina Allen, cuisinière irlandaise lors des stages de cuisine qu'elle organise dans une ferme qui appartient à sa famille. "Toucher la terre est un véritable choc pour mes étudiants, explique-t-elle. Ils commencent par planter des graines de carottes, et sur les 3 mois que dure le stage, ils peuvent suivre le développement de ce légume. Alors, ils apprennent à les cuisiner… sans les faire bouillir. Ils apprennent également à traire les vaches et à faire du fromage. Ils découvrent les porcs avant d'apprendre à faire de la charcuterie, et comment naissent les poussins avant de cuisiner des volailles ou utiliser des oeufs… Après leur stage, tous ces étudiants ont vraiment envie de partager leur expérience."

Retrouver les recettes de familles


Dans le cadre du grand marché artisan organisé à Terra Madre, le Congo est venu faire déguster ses recettes traditionnelles valorisées par le chef Honor Malanda Toudissa.

Honor Malanda Toudissa est le premier cuisinier congolais à faire… de la cuisine congolaise. "Depuis 1960 jusqu'à nos jours, explique-t-il, la cuisine au Congo était totalement influencée par la cuisine française et par la cuisine ouest-africaine. Je trouvais dommage de ne pas exploiter toutes les richesses de la forêt congolaise que les cuisiniers et la population méprisaient, car 'trop sauvages'. Je trouvais également dommage de laisser dans l'oubli tous les savoirs culinaires des grands-mères congolaises. Alors, avec de jeunes chefs, nous avons décidé de retrouver nos racines, et en l'an 2000, nous avons créé l'Association des jeunes chefs congolais. Nous avons fait un film sur la cuisine congolaise, et avons monté un programme de recherche et de développement pour récupérer les recettes traditionnelles auprès des grands-mères et apprendre à les réaliser avec elles. J'ai créé un restaurant culturel qui ne propose que des mets et des boissons d'origine congolaise, et, par période de 18 mois, je forme 2 étudiants. Résultat : aujourd'hui, les ministres congolais commencent à s'intéresser à la gastronomie congolaise et viennent faire leur repas d'affaires ou autres dans mon établissement."

• À Minsk, en Biélorussie, Tatsiana Fadzeeva, qui cuisine depuis 25 ans et qui préside le convivium Slow Food de Minsk, a également eu l'idée de récupérer les recettes traditionnelles de son pays, les veilles recettes de famille. Elle l'a fait avec la collaboration d'une revue féminine. Nous recevons régulièrement de nombreuses recettes qui sont publiées dans la rubrique La recette de ma grand-mère et qui feront d'ici à quelques années l'objet d'un livre.

Pour découvrir l'intégralité de ces témoignages, le site www.slowfood.com est en train de mettre en ligne, et en français, le texte des discours de tous les intervenants aux Ateliers de la Terre organisés à Terra Madre 2006.

Complément d'article 3003p38

TERRA MADRE
TURIN LE 29 OCTOBRE 2006

Je vous remercie très sincèrement de m’avoir invité à présenter cet Atelier de la Terre sur le rôle des cuisiniers et cuisinières dans les systèmes alimentaires. J’en suis fier en tant que citoyen et en tant que cuisinier. Ce sont ces deux regards – professionnel et privé – que je voudrais poser sur le thème du débat de cet après-midi.

Mon point de vue est celui d’un cuisinier exerçant dans l’univers de la haute cuisine. Je m’adresse pour l’essentiel à des clientèles aisées, dans des pays dits développés. Mais, à mon avis, quel que soit le contexte dans lequel le cuisinier travaille – le pays où il se trouve, sa clientèle, les enjeux restent les mêmes.
Chacun sait qu’il n’y a pas de cuisine sans produits. Et qu’il n’y a pas de produits sans producteurs et sans système de distribution. Dans tous les établissements dans lesquels j’ai travaillé, j’ai passé presque autant de temps avec les producteurs, sur le terrain, que dans les cuisines. À Monte-Carlo, New York, Las Vegas, Hong Kong, Tokyo – partout on trouve des paysans, des éleveurs, des pêcheurs passionnés et compétents. Partout on rencontre des producteurs animés de l’amour de leur métier.

De cette expérience de cuisinier, je retire un enseignement très simple : le message sur la qualité et sur la diversité des produits est de mieux en mieux entendu. Lorsqu’on regarde le chemin parcouru depuis plus de trente ans, on ne peut qu’être frappé par le changement de mentalité. Quand j’ai débuté, l’intérêt pour le produit commençait juste à naître. Depuis, cet intérêt est devenu largement prioritaire. Ecoutez les interviews des grands chefs dans le monde entier, regardez leur site web, lisez les articles dans la presse : partout, la qualité du produit est mise en avant.
Quand on s’intéresse à la qualité des produits qu’on cuisine, on va immanquablement rechercher aussi de la diversité – c’est une façon de trouver d’autres saveurs, d’autres textures. On ne compte plus les anciens produits ou les anciennes variétés qui sont remis à l’honneur.
L’intérêt pour la qualité et la diversité est général : il touche d’abord les cuisiniers mais il concerne aussi les journalistes qui lui donnent un grand écho. Et il intéresse aussi les clients de nos établissements. Soyons pragmatiques et un peu optimistes : puisque nos clients, les chefs et les journalistes sont des leaders d’opinion, les discours qu’ils tiennent sur l’importance de l’authenticité et de la diversité des produits ont tendance à se diffuser très efficacement !
Sans tomber dans la satisfaction béate, il semble qu’un cercle vertueux est en train de se mettre en place. En effet, ce besoin de diversité crée une offre qui ouvre des débouchés aux agriculteurs qui veulent reprendre certaines productions. En éveillant la curiosité du public, ce besoin crée aussi une demande de produits de qualité. Encore une fois, je ne veux pas faire d’angélisme mais il me semble que, sur la durée, on est en train de s’éloigner de la pensée unique alimentaire. Bien sûr, dans les faits ce changement est encore très embryonnaire. Mais le changement dans les valeurs, lui, est bel et bien là. Les cuisiniers jouent un rôle de catalyseur extrêmement important dans cette évolution.
Voici ce que je peux dire d’un point de vue professionnel.

J’aimerais maintenant vous parler d’un point de vue plus citoyen - moins technique. D’un point de vue éthique, je crois que nous sommes confrontés à deux questions essentielles qui dépassent largement la dimension professionnelle.
Comment peut-on favoriser l’apprentissage du goût ? Manger est une expérience individuelle. L’éducation du goût doit-elle pour autant être laissée au hasard des rencontres et des occasions ? Ce serait à mon sens aussi regrettable que de renoncer à offrir aux gens la moindre éducation artistique. Le goût, comme tous les sens, peut se développer et plus on l’éduque plus on en retire de plaisir.
L’importance de ce thème de l’éducation va bien au-delà d’une espèce d’humanisme de bon aloi. Je suis persuadé que la formation du goût est un des leviers essentiels d’une bonne diététique. On ne peut pas se nourrir correctement si l’on n’apprécie que le goût du gras et du sucre. Au contraire, développer une palette de goûts large et nuancée pousse à diversifier sainement son alimentation.
Le public devrait également être sensibilisé au rapport entre la production et la consommation. Nous ne pourrons pas indéfiniment faire croire aux consommateurs que l’on peut manger des fraises en hiver. Il faut recréer la notion de proximité alimentaire : commençons par manger ce qui est issu de l’agriculture locale, à la saison dans laquelle nous sommes. Cet aspect va bien au-delà de l’éducation du goût. C’est une véritable éducation citoyenne.
Les cuisiniers ont leur part de responsabilité dans le domaine de l’éducation du goût et beaucoup d’initiatives menées dans la restauration collective montrent que leur influence peut être très positive. Comment doivent-ils s’y prendre ? Quel est le rôle de la famille, de l’école, des pairs ? Voilà des sujets dont nous allons parler.
À côté de la question de l’apprentissage du goût, on peut aussi se poser la question de la préservation des racines. Se nourrir n’est pas qu’une expérience individuelle. C’est aussi une expérience collective et, plus précisément, une expérience de mémoire collective.
La cuisine est résolument culturelle, c’est une mémoire à l’œuvre. Je ne peux pas imaginer que l’on fasse de la cuisine sans savoir où sont ses racines. Je crois qu’il y a parmi nous des invités qui ont beaucoup à nous dire sur la relation entre mémoire et cuisine – comment récupérer son histoire culinaire et son histoire tout court.
Là encore, les cuisiniers ont un rôle à jouer mais là aussi ils ne sont pas les seuls. Les chercheurs en sciences sociales, les historiens y contribuent également. Plus largement, je crois que c’est à l’échelle de toute la société – de tout le pays - que doit s’opérer ce travail de mémoire.
Le débat s’annonce particulièrement riche – je ne voudrais pas le faire trop attendre. Carlo Petrini emploie beaucoup l’expression «comunita del cibo» - «communauté de nourriture». Nous tous, réunis dans cette salle, formons une très belle « communauté » - et nous allons partager une excellente «nourriture pour l’esprit».
Bon appétit !

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L'Hôtellerie Restauration n° 3003 Hebdo 16 novembre 2006 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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