du 25 janvier 2007 |
L'ÉVÉNEMENT |
INTERVIEW EXCLUSIVE DE JACQUES BOREL
"UNE BAISSE DE 10 % DES IMPÔTS FAIT CHUTER L'ÉCONOMIE SOUTERRAINE DE 30 %"
Partant du constat que la plus grande opposition à faire bénéficier les restaurateurs du taux réduit de TVA venait de l'Allemagne, Jacques Borel travaille avec des universités allemandes afin de réaliser des études qui démontrent le bien-fondé de la demande française.
Propos recueillis par Pascale Carbillet
La baisse de la TVA permettrait à terme à l'hôtellerie et à la restauration d'être le premier employeur de France avec 1 500 000 salariés. |
L'Hôtellerie
Restauration : Pouvez-vous nous
rappeler les derniers aboutissements du dossier TVA ?
Jacques Borel
: Le samedi 17 décembre lors du congrès des chefs d'État européens
à Bruxelles, la proposition britannique d'élargir l'annexe K à
la restauration et d'en prolonger les effets pour 10 ans était morte. Cette
directive prise en 1999 à titre expérimental et temporaire prévoyait
la possibilité pour les États membres de faire bénéficier
du taux de TVA réduit, pour certains services à forte densité de
main-d'oeuvre. 5 secteurs seront retenus : petits services de réparation, vêtement
de linge et de maison, rénovation et réparation de logements privés,
lavages des vitres, soins à domicile et coiffure. L'expérience devait
s'arrêter le 31 décembre 2006. Les ministres de Finances européens
réunis en Ecofin prendront le 14 février 2006 une directive qui prolonge
cette annexe K pour 4 ans, soit jusqu'au 31 décembre 2010, qui prévoit
également "qu'au plus tard, le 30 juin 2007, et sur la base d'une étude
menée par un groupe de réflexion économique indépendant, la
commission soumet au Parlement européen et au conseil un rapport d'évaluation
générale sur l'impact des taux réduits appliqués à des
services fournis localement, y compris les services de restauration, notamment en
termes de création d'emplois, de croissance économique et de bon fonctionnement
du marché intérieur". Ce rapport permettrait de montrer l'impact et
le bénéfice retiré en matière de création d'emplois si
la restauration bénéficiait du taux réduit de TVA.
Quelle est la collaboration de Club TVA Jacques
Borel avec la commission de Bruxelles ?
Nous avons proposé de mettre à la
disposition de la commission et du groupe de réflexion économique indépendant
toutes les études existantes et à venir, notamment en Allemagne, en
Belgique, en France, en Pologne et au Royaume-Uni. Par échanges de lettre du
27 février et 7 mars 2006, la commission et Club TVA se mettaient d'accord
sur leur collaboration.
Comment se situe le marché allemand de l'hôtellerie-restauration
?
D'après l'étude (Volume I) commandée
par Club TVA JB à IFO, l'institut de l'université de Munich, le marché
2003 était de 52,2 milliards d'euros (étude du 25 novembre 2005), soit
sensiblement le même que le marché français qui était, lui,
à 51,8 milliards d'euros (étude effectuée par Gira Sic Conseil,
du 13 novembre 2006 à la demande de Club TVA JB). Alors que dans le même
temps, la population allemande est de 82 millions d'habitants contre 60 millions
en France.
Dans cette étude réalisée
par IFO Munich, on constate également des phénomènes identiques en
matière de disparition d'établissements. Le nombre de Weinstube (café
où il est vendu de la bière et du vin) a baissé de 89 400 à
56 200 entre 1994 et 2003. Dans le même temps, on constatait en France que
le nombre de débits de boissons, bistrots, cafés passaient de 47 000 en
1994 à 37 702 en 2005. Ce qui représente la fermeture de 3 cafés
par jour calendaire.
La disparition de ce type d'établissement
provient des mêmes raisons : modification de la demande, baisse de la consommation
d'alcool, prix trop élevés, surtout après le passage de l'euro.
Cette étude d'IFO Munich montre
aussi que la restauration et l'hôtellerie allemandes souffrent, car en euro
constant, le chiffre d'affaires a baissé de 8 % entre 2000 et 2003.
Le nombre d'employés en Allemagne
est plus important vu la prolifération des minijobs. En effet, un emploi payé
moins de 400 E par mois ne supporte ni charges sociales ni impôt sur le revenu.
Conclusion : 1 011 000 personnes (dont
200 000 en minijobs) travaillent dans le secteur de l'hôtellerie-restauration
allemande contre 864 000 en France, pour un chiffre d'affaires identique. Par contre,
les travailleurs indépendants
sont moins nombreux en Allemagne : 153 000 contre 220 000 en France.
Si l'Allemagne baissait la TVA pour l'hôtellerie-restauration
de 19 à 7 %, quelles seraient les conséquences fiscales ?
Tout d'abord, la hausse de la TVA au 1er
janvier 2007, de 16 à 19 %, va être coûteuse pour le gouvernement
allemand en raison de la baisse du chiffre d'affaires des entreprises que l'on estime
entre 500 millions d'euros et 2 milliards d'euros, soit une baisse de 1 à
4 %.
En termes d'emplois, le secteur de
l'hôtellerie-restauration allemand va perdre en 2007 entre 10 000 et 40 000
emplois selon les hypothèses.
Si bien que le fisc allemand, qui espère
récupérer 1,1 milliard d'euros supplémentaires de TVA, ne devrait
gagner que 700 millions d'euros nets pour la version optimiste, voire perdre 200
millions d'euros pour la version pessimiste en raison de la baisse des cotisations
sociales, des augmentations des allocations chômage et de la diminution de
l'impôt sur les sociétés.
La baisse de TVA de 19 % à 7
% (hors alcool) devrait entraîner une perte de revenus nets pour l'État
de 1,9 à 3 milliards d'euros suivant les hypothèses, sans compter les
effets sur la baisse de l'économie souterraine. Tous ces chiffres sont extraits
du Volume II réalisé entre décembre 2005 et novembre 2006 par IFM
(Institut für Mitellstandforschung-entreprises moyennes) de l'université
de Mannhein.
Quels seraient les bénéficies en termes
d'augmentation des ventes et de création d'emplois ?
Le chiffre d'affaires de la profession augmenterait
de 2,9 à 5,7 milliards d'euros, soit de 5,5 à 11,1 % suivant les hypothèses.
La création d'emplois à temps plein serait de 57 000 à 110 000,
et ceci sans compter la baisse de l'économie souterraine.
Sur quelle base vous êtes-vous appuyé
pour parvenir à de tels résultats ?
Sur un sondage réalisé par Dehoga (Deutscher
Hotel und Gastätten Verband), qui regroupe tous les syndicats d'hôtels
et de restaurants allemands, avec lequel Club TVA collabore régulièrement
depuis mars 2003. Dehoga a fait un sondage auprès
de 5 000 établissements sur 245 000 afin de savoir comment serait utilisée
la baisse de la TVA par les professionnels.
Cette baisse serait de 4,0 milliards d'euros (chiffre
d'affaires fait avec les entreprises non compris, soit 34,3 % pour les hôtels
et 10 % pour les restaurants dont la TVA est récupérable, et par conséquent,
neutre pour ces entreprises) et serait utilisée comme suit : 48,8 % seraient
affectés à la diminution des prix (soit 1,941 milliard d'euros), puis
20,1 % seraient consacrés à l'investissement (soit 0,806 milliard d'euros).
Ensuite, 13,3 % seraient utilisés pour augmenter les salaires (soit 0,533 milliard
d'euros), suivis de l'augmentation de la formation avec 11,1 % (soit 0,445 milliard
d'euros) pour finir par une hausse des marges de 7,1 % (soit 0,285 milliard d'euros).
Quelle est la part de l'économie souterraine
en Europe ?
Le professeur Friedrich Schneider, vice-recteur
de l'université Johannes Kepler à Linz en Autriche, s'est spécialisé
depuis 10 ans environ sur le problème de l'économie souterraine dans les
30 pays de l'Organisation de coopération et de développement
économiques
(OCDE).
Le professeur Schneider définit
l'économie souterraine comme l'activité qui échappe aux règles
gouvernementales, à la fiscalité et aux statistiques. Sont exclues de
cette analyse les activités illégales telles que la vente de drogues et
la prostitution. L'analyse montre que l'économie souterraine a été
en très forte augmentation entre 1990 et 1998 où elle est passée
de 12,7 à 16,8 % du PIB des 30 pays de l'OCDE, soit une augmentation de un
tiers.
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Pourquoi cette hausse ? Parce que la
pression fiscale s'est sensiblement accrue dans les pays de l'OCDE entre 1990 et
1998. Puis elle a ensuite baissé pour atteindre 15,6 % du PIB, soit une baisse
de 1/12e. La cause de cette diminution est due à l'assouplissement
de la pression fiscale, et notamment à la baisse de la TVA pour les activités
à large intensité de main-d'oeuvre (directive européenne de 1999),
la baisse de l'impôt sur le revenu en France engagée par Jacques Chirac,
la baisse de l'impôt sur les sociétés en Irlande, en République
tchèque et en France, ainsi que l'amnistie fiscale en Italie.
Les records de l'économie souterraine
sont en Grèce avec un taux de 27,6 % suivi par l'Italie avec 24,4 %. La moyenne
est en Allemagne avec 15,6 % et en France avec 13,8 %. Les pays les plus vertueux
sont les États-Unis avec 8,2 %, la Suisse avec 9 %, l'Autriche avec 10,3
% et le Royaume-Uni avec 12,2 %.
Quant aux Scandinaves, dont les prélèvements
obligatoires avoisinent 48 à 50 %, ils sont dans la partie haute du spectre
avec un taux de 16 à 17 %.
L'université de Linz montre également
qu'une baisse significative des impôts, 10 % par exemple, entraîne une
baisse de l'économie souterraine d'un quart à un tiers.
Le cas de l'Italie est particulièrement
probant avec la baisse de la TVA de 20 à 10 % pour la modernisation des logements
qui a entraîné la création de 200 000 emplois, dont 150 000 étaient
auparavant au noir.
Quelles sont les prochaines étapes de vos travaux
?
J'ai déjà transmis au gouvernement
français, en novembre 2006, le Volume I relatif à l'évaluation
du marché de l'hôtellerie et de la restauration réalisé en
collaboration avec le cabinet Gira Sic Conseil. Je dois remettre à la fin
du mois de janvier de cette année le Volume II 'Conséquences fiscales
économiques emploi' au gouvernement français, et plus précisément,
au ministre des Finances et des PME. Ce volume, qui traite des pertes des revenus
fiscaux et des gains d'activité, d'emploi, d'investissement, est en cours de
rédaction en utilisant une méthodologie identique à l'Allemagne.
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L'Hôtellerie Restauration n° 3013 Hebdo 25 janvier 2007 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE