du 5 avril 2007 |
PIONNIER |
Dans les années 1960, une véritable révolution a secoué l'univers de l'hôtellerie et de la restauration. Toute une génération d'entrepreneurs - véritables pionniers dans la profession, au parcours souvent aventureux, parfois hors normes - a de fait chamboulé l'histoire des CHR au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Portrait du parcours de l'un d'entre eux.
Michel Kosossey
Une réussite mutuelle
Guy et Jacqueline Lormand, créateurs de la chaîne Roussil'Hôtel
Le premier 'cabanon' ouvert en plein no man's land par M. Lormand père pour les copains chasseurs. | L'Hôtel du Lido, avec sa piscine toute neuve, la première du département en hôtellerie. |
|
Né
à Toulouse Guy Lenormand fait ses études à l'École hôtelière
de Paris dont il sortira en 1961 (promotion Jean-Drouant). Il n'a pas de vocation
particulière pour la profession, son père étant le concessionnaire
Peugeot de Toulouse (un frère aîné continuera cette activité).
Ces 2 années passées rue Médéric
seront décisives dans ses orientations puisque Guy va y trouver un métier,
mais aussi son épouse Jacqueline, originaire des Ardennes. Le couple va devenir
inséparable dès l'école, et leur amour va sceller leur réussite
mutuelle. Jacqueline était prête à laisser tomber ses études
tant elle était peu motivée par les durs métiers de l'hôtellerie-restauration.
Mais leur rencontre va orienter clairement leur choix professionnel.
Guy est bouillant, impatient, d'une
activité débordante ; Jacqueline est pondérée, aborde les choses
avec calme et détermination et voit (et sent) tout ce que Guy n'a pas encore
appréhendé. Les Lormand vont affronter les joies et les peines dans cette
complémentarité exemplaire qui ne se démentira jamais au cours de
leur vie.
Argelès-sur-Mer est le terrain
de chasse du père de Guy. Dans ce quasi-désert, il ouvre une sorte de
guinguette pour ne pas prendre, sur son budget personnel, les dépenses du club
dont il est le président. Le bistrot
sert
aussi aux touristes pendant la saison d'été. Le local est littéralement
sur la plage, et c'est à la fin des années 1950 que les parents de Guy
vont ouvrir un hôtel saisonnier de 30 chambres en plein désert sur une
mer de sable.
Guy et Jacqueline vont prendre leur envol, sur
cette belle côte du Roussillon, à partir de cet établissement
saisonnier, l'Hôtel du Lido, idéal pour les amoureux de grands espaces.
Guy à l'EHP (2e en haut en partant de la gauche). On reconnaît l'ami Guy-Pierre Saradjian, accroupi au 1er rang à droite. |
|
Une piscine au bord de la
mer
Sorti de l'école hôtelière,
Guy fait son service militaire dans la marine, puis après, pendant 2 ans, multiplie
les emplois : 1 mois par-ci en cuisine, un mois
par-là en réception, un autre ailleurs en salle ; Guy fait aussi des
extras comme à L'Aubergade à Pontchartrain avec son copain d'école,
Guy-Pierre Saradjian. C'est la dure école du réel, jugée indispensable
avant d'assumer la reprise du Lido géré par Madame Lormand mère pendant
la courte saison d'été jusqu'en 1965, date à laquelle Guy et Jacqueline
reprennent les rênes.
Alix, leur fille aînée, est déjà
née en 1963 et Thibault, leur 2e enfant, voit le jour en 1965. Les
Lormand vivent dans l'hôtel et l'exploitent avec les bébés dans
les jambes ! Les débuts sont difficiles et la vie se partage entre le travail
et les enfants. Étienne, le 3e, naît en 1968, et le petit
dernier, Xavier, arrivera en 1973.
En menant une vie tournée vers
la famille, le clan Lormand économise suffisamment pour moderniser complètement
le Lido, qui
passe de 2 à 3 étoiles. L'établissement est complètement
restructuré en 1969, agrandi à 60 chambres, et mis aux normes d'un confort
total car il faut créer des salles de bains, des W.-C. et mettre en place des
téléphones dans les chambres. Avec 20 % d'autofinancement, un prêt
au taux bonifié de 5 %, alors que la France connaît une inflation à
2 chiffres, l'opération s'avère vraiment bénéfique et va maintenant
ouvrir de Pâques jusqu'à fin septembre. L'établissement peut se
tourner vers une clientèle internationale, réalité confirmée
peu après avec la collaboration de tour-opérateurs allemands et belges.
Les Lormand deviennent ainsi les premiers à signer des
contrats
avec des tour-opérateurs en pays catalan.
Guy et Jacqueline Lormand sont au four et au moulin.
On les voit partout du matin au soir. À eux deux, ils assument tout, et Guy
montre d'excellentes dispositions d'animateur, ce qui fait beaucoup pour la fidélisation
de la clientèle.
En 1975, les Lormand vont ouvrir un
grill et une piscine alors qu'ils sont sur la plage à quelques mètres
de la mer. Ceci est incompréhensible pour beaucoup, mais la première piscine
d'hôtel du département est née ! Cette innovation permet de donner
un sacré coup de pouce aux tarifs (+ 30 %)… et de générer l'autofinancement
qui permettra la croissance du futur groupe Lormand.
L'AVENIR DU
GROUPE LORMAND ROUSSIL'HÔTEL Alix, 43 ans, hôtesse de l'air à Air France. Thibault, 41 ans, maîtrise de droit, p.-d.g. de l'hôtel et résidence La Lagune. Étienne, 37 ans, lycée hôtelier, p.-d.g. de l'Hôtel du Lido. Xavier, 33 ans, diplômé de Glion (Suisse), responsable des Flamants Roses. Ainsi que les conjoints, tous impliqués dans la gestion et l'animation des affaires au quotidien. |
La dernière réalisation de Guy et Jacqueline : le complexe Les Flamants Roses, un 4 étoiles avec centre de thalassothérapie à Canet-en-Roussillon. |
Président
du syndicat et de la CCI
À partir de 1978
et de l'ouverture de la Casa Païral à Collioure, les ouvertures vont
se succéder, et Guy et Jacqueline vont assumer la famille et les affaires sans
jamais quitter leur base d'Argelès-sur-Mer, malgré les sollicitations
et les tentations. Mais Guy va montrer, grâce à son sens de l'intérêt
général et d'une véritable générosité, des aptitudes
qui vont l'amener à assumer d'autres responsabilités.
En 1974, Guy est élu président
départemental de la
Fédération nationale
de l'industrie hôtelière (FNIH). Il connaîtra les présidents
nationaux Boursault, Roustan, Thé et Daguin en exercice. Membre du bureau national,
il devient président régional, mais décline les responsabilités
de président national. Après 10 ans de responsabilité syndicale,
Guy
passe la main, laissant le syndicat à ses collègues qui regrettent
son retrait.
Guy a déjà d'autres responsabilités
: il est élu consulaire et devient président de la commission responsable
de l'aéroport de Perpignan-Rivesaltes. Jugeant que l'équipe en place ne
remplit pas sa mission consulaire, Guy présente une liste et devient président
de la chambre de commerce en 1994. Sa liste socioprofessionnelle sera réélue
en 1997 avec 100 % des voix ! Mais sa décision est prise. Contre toute attente,
il abandonne la chambre de commerce après 2 mandats. Il s'est battu comme un
lion, a eu maille à partir avec le préfet Bonnet (alors préfet
des Pyrénées-Orientales), il connaît tout le monde jusqu'au commerçant
le plus reculé des Pyrénées, multiplie les interventions auprès
des politiques pour aider sa région à développer son économie.
Sans amertume, il regrette par exemple
que personne ne l'ait suivi dans la voie qu'il voulait ouvrir à des compagnies
low cost pour l'aéroport de Perpignan, et surtout le tourisme et l'économie
régionaux. Pour un peu d'argent et un évident manque de discernement des
élus, ces compagnies vont s'installer à Gérone, de l'autre côté
de la frontière, et cet aéroport de traiter bientôt des millions
de voyageurs !
Guy Lormand à la sortie de son ordination en tant que diacre, par Monseigneur Fort, évêque de Perpignan. |
|
Une énergie sans limites
Tous ces combats, Guy les
a menés inlassablement, avec une énergie incroyable en continuant de faire
de la moto trial avec ses fils, en partant avec eux en 4 x 4 dans le désert
tunisien ou marocain. Ces vacances 2006, il les a passées sur sa moto (Jacqueline
était sur le tansad) dans les sommets des Alpes, considérant qu'il pouvait
enfin se permettre cette fantaisie, sans trop de culpabilité !
Le plus étonnant dans son
parcours est probablement son
ordination en tant que diacre permanent de l'église catholique en 1998. Tout
cela, il l'assume avec une énergie inlassable et avec la plus grande discrétion.
Mais Jacqueline est toujours là, pas dans l'ombre, car elle est une femme
rayonnante, pour éviter les pièges qui jalonnent son chemin.
Sur le plan professionnel, sa dernière 'folie',
c'est l'ouverture d'un centre de thalassothérapie à Saint-Cyprien, magnifique
établissement qui s'est avéré rentable dès son ouverture
avec ses 63 chambres en 4 étoiles.
Depuis des années déjà, Guy et
Jacqueline Lormand ont su faire aimer leur métier à leurs 4 enfants
qui relèvent le gant avec brio, chacun dans ses domaines de compétence
spécifiques. Ils sont tous les quatre des chefs d'entreprise avertis et tiennent
les rênes du groupe Lormand, devenu la chaîne Roussil'Hôtel. Belle façon
de préparer l'avenir.
Le plus difficile sera peut-être
d'empêcher Guy d'entreprendre encore une fois, de mener une nouvelle aventure
de créateur, d'entrepreneur… Bien sûr, au cours de ce parcours,
il a accumulé les admirations, les amitiés et les inimitiés. Mais
tout cela glisse sur lui comme la pluie sur les pentes du Canigou. Guy aura plus
fait pour les siens, pour son métier, pour sa région, pour les autres
et pour lui-même, que la plupart de ses frères les hommes.
zzz36v
EN DATES
1959-1961
Après son bac, Guy Lormand suit la formation de l'École hôtelière
de Paris. |
Article précédent - Article suivant
Vos questions et vos remarques : Rejoignez le Forum des Blogs des Experts
L'Hôtellerie Restauration n° 3023 Magazine 5 avril 2007 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE