Bail, loyer, compromis de vente : quelles sont les conséquences de la crise sanitaire pour votre fonds de commerce ?

Depuis le 15 mars, restaurants et débits de boissons ne peuvent plus accueillir du public. L'exploitant d'un fonds de commerce de restaurant, de brasserie ou de bar est donc empêché de réaliser du chiffre d'affaires. Peut-il suspendre le paiement des loyers ? Ceux qui étaient sur le point de signer un acte cession peuvent-ils le repousser ? Questions-réponses de Tiphaine Beausseron avec Baptiste Robelin, avocat au sein du cabinet DJS.

Publié le 22 avril 2020 à 17:22

► Propriétaire d’un fonds de commerce, puis-je arrêter de payer mon loyer commercial ?

Non, la crise sanitaire ne supprime pas l’obligation contractuelle de paiement du loyer commercial. 

En revanche, une ordonnance du 25 mars 2020* prévoit que le défaut de paiement des loyers afférents aux locaux professionnels et commerciaux, dont l'échéance intervient entre le 12 mars 2020 et le 24 juillet 2020 (deux mois après la date de fin de l’état d’urgence sanitaire décrété, sauf prolongation), n’entraîne, sous certaines conditions, aucune sanction pour les entreprises locataires. Autrement dit, si vous êtes actuellement dans l’impossibilité de payer votre loyer parce que la fermeture forcée de votre établissement vous prive de la trésorerie nécessaire, vous restez débiteur de cette dette, mais, si vous remplissez toutes les conditions prévues par les textes, le bailleur ne pourra pas appliquer les pénalités de retard ni mettre en œuvre la clause résolutoire prévue dans le bail. Dans tous les cas, il ne pourrait pas le faire aujourd’hui, les tribunaux étant fermés pour ce type d’affaires.

La première chose à faire est donc de vérifier si vous remplissez toutes les conditions pour bénéficier de l’application de l’ordonnance du 25 mars 2020. En effet, seule une catégorie d’entreprises est éligible à ce dispositif de neutralisation des sanctions en cas de non-paiement des loyers commerciaux*. Il s’agit :

  • des entreprises qui poursuivent leur activité dans le cadre d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ;
  • de celles qui ont fait l’objet d’une fermeture administrative (c’est votre cas) et dont le chiffre d’affaires clos lors du dernier exercice est inférieur à un million d’euros et le bénéfice annuel imposable est inférieur à 60 000 #, et ayant un effectif inférieur ou égal à 10 salariés (indépendant, profession libérale, micro-entreprise, TPE).

Si vous remplissez ces conditions, votre bailleur ne pourra pas faire valoir les clauses du bail applicables en cas de non-paiement des loyers (pénalités, dommages-intérêts, clause résolutoire, clause pénale…), mais vous restez redevable de vos loyers. Il est donc conseillé de contacter au plus vite votre bailleur pour négocier avec lui un report ou une baisse temporaire de loyer pour vous aider à faire face à cette crise sanitaire et économique. Vous pouvez également invoquer la force majeure, pour tenter de justifier l’impossibilité de paiement à ce stade. Si votre bailleur n’est pas lui-même dépendant de votre loyer pour rembourser un crédit ou payer ses charges, il devrait pouvoir être conciliant. Mais, dans tous les cas, chaque situation s’appréciera au cas par cas, en fonction des négociations.

À noter encore : lors d’une conférence de presse du 16 avril dernier, le ministre de l’Économie et des Finances a appelé les bailleurs à faire preuve de solidarité en consentant des annulations de loyer allant jusqu’à trois mois, et non pas seulement des reports. Afin d’inciter les bailleurs en ce sens, un amendement vient d’être adopté (dans une loi qui n’est pas encore en vigueur) prévoyant un dispositif d’exonération fiscale des loyers non perçus par les propriétaires. Il n’en reste pas moins qu’à ce stade, rien n’oblige les bailleurs à suspendre les loyers et tout ne sera affaire que de négociation.

* Ordonnance 2020-316 du 25 mars 2020. Décret n° 2020-371, 30 mars 2020, Journal officiel du 31 mars. Décret n° 2020-378, 31 mars 2020, Journal officiel du 1er avril. Décret n° 2020-394, 2 avril 2020, Journal officiel du 3 avril.

 

Le paiement de la location de la licence IV peut-il être arrêté au même titre que le loyer ?

La location de la licence IV ne fait pas partie des charges listées par l’ordonnance du 25 mars 2020 pouvant bénéficier de la neutralisation des retards de paiements. Vous ne pouvez pas vous exonérer de payer la redevance prévue au contrat. En revanche, vous pouvez tenter de négocier un report ou une baisse de montant en arguant de l’imprévisibilité de la crise sanitaire et/ou de son caractère de force majeure. 

 

J’exploite mon restaurant en tant que locataire-gérant. Je ne pourrai pas payer la prochaine redevance à cause de la fermeture administrative décidée par l’État. Le propriétaire du fonds peut-il faire jouer la clause résolutoire ? Sur quelle base juridique ?

Les contrats de redevance de location-gérance ne sont pas visés par l’ordonnance du 25 mars 2020. En l’état des textes actuels, rien n’empêche le propriétaire du fonds d’y mettre un terme pour non-paiement du loyer par application d’une clause résolutoire. Toutefois, vous pouvez tenter de négocier avec lui un étalement ou un report de redevance. En cas de litige, il peut être envisageable de se baser sur l’article 1343-5 du code civil pour demander au juge de reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. Par décision spéciale et motivée, le juge peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.

 

► Propriétaire d’un fonds de commerce d’un hôtel de 50 chambres en région Paca, nous ne vivons pratiquement que par le tourisme et nous craignons que notre affaire soit fortement dévalorisée sur plusieurs années en raison de la crise. L’article 1195 du code civil peut-il s’appliquer ?

L’article 1195 du code civil prévoit que “si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe.”

Sauf si l’application de cet article est exclue par votre bail, vous pourriez en effet tenter de négocier une baisse de loyer sur ce fondement et, en cas d’échec des négociations, saisir le juge afin de tenter de procéder à une adaptation du contrat. Si votre contrat de bail a été signé après le 1er octobre 2016 (date d’entrée en vigueur de l’article 1195 issu de l’ordonnance du 10 février 2016) et fin 2019 (avant l’apparition de l’épidémie), le caractère imprévisible de la pandémie n’est à priori pas discutable. En revanche, la question de savoir si l’épidémie rend l’exécution du contrat “excessivement onéreuse” est une appréciation subjective, qui sera faite au cas par cas.

Toutefois, avant d’envisager l’application de cet article, il est conseillé de savoir précisément ce que vous souhaitez négocier : est-ce une baisse ponctuelle jusqu’à la fin de l’année 2020 ou une baisse de loyer plus générale ? La renégociation des termes de votre contrat va dépendre de votre objectif à court, moyen ou long terme. En fonction de cet objectif, le recours à cet article n’est pas forcément la tactique la plus judicieuse selon le contenu de votre bail. Seule une étude approfondie de celui-ci pourra permettre de décider quelle est la meilleure attitude à adopter pour vous aider à obtenir une baisse de loyer, afin que celui-ci soit en phase avec vos performances économiques possibles.

 

► Mon mari et moi avons signé un compromis de vente pour un hôtel-bureau mi-décembre. Nous devions signer l'emprunt le 21 mars et la vente le 1er avril mais vu les circonstances, tout est suspendu et repoussé. L'hôtel est actuellement fermé. De ce fait, nous voudrions savoir si nous devons toujours acheter, sous quelles conditions, connaître nos obligations, et s'il est possible de renégocier le prix. Si le déconfinement est prononcé le 11 mai, sommes-nous obligés de signer à ce moment ou peut-on attendre que le déconfinement soit total ? 

Il est très difficile de répondre avec certitude à votre question sans avoir le compromis sous les yeux et sans connaître le contexte exact. Deux situations semblent devoir être envisagées : si vous n’avez pas obtenu le crédit bancaire pour l’acquisition, vous pouvez naturellement invoquer ce point pour ne pas signer l’acte définitif, les conditions suspensives n’étant à priori pas levées. En revanche, si vous avez obtenu votre crédit, dans la mesure où le compromis de vente a valeur de contrat, l’annulation de la vente sans pénalité paraît difficile sauf à invoquer la force majeure telle que définie à l’article 1218 du code civil. Et même dans ce cas, il faudra alors démontrer que l’épidémie de Covid-19 était imprévisible, irrésistible et extérieure, et surtout qu’elle empêche aujourd’hui l’acquisition, ce qui ne sera pas facile à justifier. Même si invoquer la force majeure dans votre cas est envisageable, sans pour autant être juridiquement sécurisé, il est dans tous les cas possible de tenter une négociation des termes de la vente, notamment un report de la date de signature. En outre, dans le contexte économique actuel, il pourrait être difficile pour votre vendeur de trouver un nouvel acquéreur, ce qui pourrait l’inciter à baisser le prix. Le tout est de négocier avec lui dans les limites du raisonnable et de respecter les intérêts de chacune des parties. Le rédacteur du compromis devrait pouvoir vous conseiller. 

 

► Avant le confinement, j'avais prévu de cesser mon activité le 2 août prochain pour cause de retraite (n'ayant pas trouvé de repreneur). J'ai dénoncé mon bail au 31 août. Puis-je lancer les procédures de licenciement comme initialement prévu ? 

Le licenciement non lié à la personne du salarié mais lié à la situation de l'entreprise est un licenciement économique. Dans le cas d'un départ à la retraite, si l'entreprise ne trouve pas de repreneur, les contrats doivent être rompus par le biais d'un licenciement économique. Dans la mesure où ce licenciement n'est pas lié à l'épidémie du Covid-19, il est possible de mettre en œuvre la procédure, même si d'un point de vue pratique, il est préférable d'attendre la fin du confinement pour la faciliter (envoi des lettres de convocation à un entretien préalable et de licenciements, déroulement de l'entretien, etc.).

Covid19 #Vente# compromis #Bail# loyer contrat acquisition #Achat# cession


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Publié par Tiphaine BEAUSSERON



Commentaires
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Le XII

samedi 25 avril 2020

Nous avions signé un compromis de vente fonds de commerce et murs hôtel-restaurant en janvier avec clôture le 30 avril qui a été repoussée au 30 mai.
Les acquéreurs reprendront le fonds sous leur propre SARL et nous clôturerons la nôtre. Auront-ils droit aux aides de l’état comme le chômage partiel, prolongation du fonds de solidarité, reports échéances fiscales, etc.
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Blandine Quersin

lundi 8 juin 2020

Nous avons signé le 4 décembre 2019 un compromis pour l'acquisition d'un restaurant. La date limite de signature de l'acte authentique était fixée au 28 février 2020. Nous avons obtenu le prêt bancaire dans les délais mais pas l'assurance du prêt. La banque a donc refusé de débloquer les fonds et nous n'avons pas pu signer. Notre avocat a édité un avenant pour proroger les délais mais la partie venderesse n'a pas voulu le signer. Nous avons donc considérer être déliés de tout engagement, tout en continuant les démarches pour obtenir une assurance de prêt. La dite assurance nous a été accordée par la Banque le 5 mai. Néanmoins, entre temps, nous avons annoncé officiellement renoncer à l'acquisition du restaurant et mis en avant que les délais de levée des conditions suspensives pour la signature de l'acte authentique étaient dépassés et que la partie venderesse n'avait pas voulu signer d'avenant. Aujourd'hui, l'avocat du vendeur nous met en demeure de verser à titre d'indemnité le dépôt de garantie de 30.000 euros et nous menace de saisir le Tribunal au motif que le compromis vaut contrat. Pouvez-vous nous donner votre analyse ?
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Tiphaine BEAUSSERON

mardi 9 juin 2020

Pour le XII, le fait d’être nouvel acquéreur d’un fonds ne fait pas obstacle, par principe, au bénéfice d’aides mises en place par le Gouvernement. Toutefois, tout dépend si l’acquéreur est lui-même éligible aux aides en fonction de sa situation. Donc difficile de répondre de manière « générale »…
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Tiphaine BEAUSSERON

mardi 9 juin 2020

Pour Blandine Quersin : Difficile de répondre à votre question, il faudrait avoir le compromis sous les yeux et tous les éléments chronologiques en main. A mon avis les deux positions se discutent et vous êtes dans une situation délicate. Avez-vous respecté la procédure indiquée dans le compromis pour informer le vendeur que la conditions suspensive de prêt n’ayant pas levée dans les temps, le compromis devenait caduc ? Avez-vous un motif légitime justifiant la non-conclusion de l’acte définitif avec retard ? Qu’en dit votre avocat ?

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