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Paroles de professeurs

Formation - Écoles - mercredi 21 septembre 2011 15:58
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Paris (75) Dix enseignants parlent de leur quotidien, de leurs relations avec leurs élèves, avec les professionnels de l'hôtellerie et de la restauration. Ils s'épanchent, font part de leurs satisfactions et de leurs attentes.



Thierry Mérel : "Éclairer les jeunes sur un métier"
Il a travaillé pendant vingt-deux ans dans le secteur de l'hôtellerie et du tourisme, dont quatorze ans en tant que directeur d'hôtel au sein de groupes tels qu'Accor et Envergure. Puis, un jour, il s'est demandé comment il pouvait évoluer sans se heurter "à la compétition en interne". Il a opté pour un changement d'orientation et s'est tourné, comme une évidence, vers l'enseignement. L'École supérieure d'hôtellerie (ESHotel), à Paris, recherchait un professeur de marketing et sa candidature a été retenue. Thierry Mérel enseigne depuis sept ans maintenant et, en plus du marketing, il a étendu son champ de compétences à l'hébergement et au management à l'École nationale de commerce (ENC) et à l'École supérieure de management en alternance (ESM-A). "C'est une continuité de ma carrière. Je transmets ce que j'ai acquis et j'essaie d'éclairer les jeunes sur un métier."

Pour cela, il met à leur disposition "[s]on expertise et [s]on expérience" des outils "pour faciliter la réflexion". Sa méthode pour capter l'attention de ses auditoires : "Faire sans cesse des parallèles entre la théorie et ma pratique. Ce que je leur apprends aujourd'hui, c'est un quart de ce qu'ils sauront dans cinq ans." Thierry Mérel part, en effet, du principe que l'on ne peut pas confier des postes à responsabilités aux jeunes recrues "sans qu'elles aient fait leurs preuves avant". Il essaie, en outre, de poser un regard le plus juste possible sur le secteur. "Nous sommes exigeants vis à vis des élèves, car les clients des hôtels le sont eux aussi de plus en plus", poursuit Thierry Mérel. Aussi, incite-t-il les futurs managers à maîtriser parfaitement l'anglais, à travailler à l'étranger et à se sentir à l'aise avec l'outil informatique. Un bagage indispensable pour affronter "l'esprit de compétition" qui anime aujourd'hui les jeunes, "qu'ils soient à l'école ou déjà en entreprises".

"Tout le monde peut avoir un travail dans le secteur de l'hôtellerie-restauration, mais pas le même et pas au même salaire." Conséquence : "Je passe une bonne partie de mon temps à rassurer les élèves et, curieusement, surtout les meilleurs d'entre eux. Ils sont en quête de diplômes certifiés. Ils cherchent à sécuriser leur parcours parce qu'ils savent qu'ils seront obligés d'exercer différents métiers durant leur carrière. Contrairement à leurs aînés. D'où le besoin d'avoir un diplôme certifié qui pourra servir, le cas échéant, à intégrer un autre secteur d'activité."

Céline Nasution, le goût de l'audace
Avec Céline Nasution, l'enseignement n'a pas la même saveur qu'ailleurs. On sort des sentiers battus. Formatrice technique de restaurant à l'École supérieure de cuisine française (ESCF) au sein de l'école Grégoire Ferrandi, à Paris (VIe), elle a le chic pour engager ses élèves dans des défis passionnants à relever. Le dernier en date ? Un dîner organisé avec de futurs cuisiniers et de futurs compositeurs de musique. Autrement dit : un accord entre mets, vins et musique. Audacieux. Périlleux. "Mais les élèves en ressortent confortés et même réconfortés", commente la formatrice, qui se souvient avoir été "sur un petit nuage" lors de la première prestation de ce type organisée en mai dernier. "Ça donne des frissons. On voit les élèves se mettre en danger, se surpasser, surmonter leur stress", poursuit-elle. Et, en amont, élèves musiciens et élèves de l'ESCF collaborent, partagent, échangent. Même scénario pour les enseignants. "C'est enrichissant pour tout le monde." C'est aussi une fenêtre ouverte sur une autre discipline. Une autre façon de travailler en équipe.

En mai dernier, les jeunes de l'ESCF ont ainsi dû concocter un dîner rythmé par cinq pièces de musique différentes. "Avec à chaque fois une scénographie particulière pour apporter les plats sur les tables", précise Céline Nasution. Une prouesse aussi précise qu'une chorégraphie et menée à la baguette par un jeune responsable de salle aux allures de chef d'orchestre. Et pour cause : "Il a dû composer à la fois avec la cuisine, la salle, une quinzaine de joueurs de mandoline, neuf joueurs de flûte traversière et une vingtaine d'enfants qui formaient le choeur", détaille Céline Nasution. Pédagogue et prête à tout pour que ses cours suscitent l'intérêt de ses élèves, sans jamais sombrer dans la monotonie, elle s'implique, s'engage, ne regarde jamais sa montre. Passionnée, elle sait se rendre passionnante. Une des clés pour lutter contre l'absentéisme, motiver les jeunes et les valoriser. Malgré cela, elle n'est jamais certaine d'obtenir les budgets suffisants pour réitérer ses expériences d'une année sur l'autre. Obstinée, elle continue néanmoins de soumettre ses projets. Et jusqu'ici, sa direction l'a toujours suivie.

Lucas Julien-Vauzelle : "travailler sans matériel ni produits"
Il n'a que 25 ans. Diplômé de l'Institut Paul Bocuse, Lucas Julien-Vauzelle s'est engagé pendant six mois à aider les sinistrés du séisme en Haïti. Il a ainsi formé des cuisiniers, amateurs ou professionnels, en transmettant son savoir-faire, acquis durant son cursus en arts culinaires et management de la restauration. À peine rentré, il se rend tout juste compte de l'ampleur de ce qu'il a vécu, dit-il. "Je reviens chargé d'images, des bonnes et des mauvaises." Des images qui à coup sûr vont influencer ses futurs choix professionnels. "Je ne m'imagine plus vraiment au milieu de chefs étoilés." Et ce, d'autant qu'il a appris à travailler "sans matériel ni produits".

Aujourd'hui, Lucas Julien-Vauzelle aimerait prolonger son travail de formateur en Haïti, "car cela a été utile". Motivé et pugnace, il a rencontré Martin Hirsch, le président de l'Agence du service civique, pour qu'il l'aide notamment "à trouver les bons partenaires pour continuer". "Transmettre, ça m'a beaucoup plu, reconnaît-il. Même sans que je sois dans le cadre d'une école. J'ai transmis autrement une nouvelle discipline qui pourrait s'intituler la cuisine de catastrophe." Partager son expérience avec les élèves de l'Institut Paul Bocuse, il l'a déjà fait depuis son retour, à raison de deux interventions destinées à "partager [s]on expérience". D'ailleurs, il a l'impression d'avoir suscité quelques vocations de "cuisiniers sans frontières. Certains élèves se sont dits prêts à partir" dans le cadre du programme Le coeur et la toque, désormais proposé aux élèves de 2e année de l'Institut Paul Bocuse.

Christophe Duprat : "Prendre sur nous pour obtenir des résultats"
Professeur de restaurant à la Faculté des métiers de Cannes, Christophe Duprat mise sur la discipline. Selon lui, c'est la seule façon d'obtenir des résultats. "Les élèves doivent comprendre la signification des mots règles et rigueur. Le pli doit être pris tout de suite, dès la rentrée de septembre. Sinon ça ne va pas fonctionner." D'emblée, la méthode peut paraître autoritaire. Mais elle est efficace : "Au fil de l'année, les jeunes me remercient de leur avoir dit non. De les avoir cadrés et encadrés."

Christophe Duprat forme chaque année quelque 130 apprentis : "Ce sont 130 individualités, 130 cas particuliers. Je dois parfois aussi prendre sur moi pour obtenir des résultats." Sa ligne de conduite ? "Rester rigoureux, tout en accordant une certaine souplesse lorsque cela est nécessaire." Il reconnaît toutefois avoir moins de fil à retordre avec les filles qu'avec les garçons. "Elles savent nettement mieux prendre leur vie en main", estime-t-il.

Jean-Michel Jouan : "Apprendre à respecter la hiérarchie"
"Ça brûle !", "Ça ne tiendra pas dans votre plat", "C'est trop cuit"… Tels sont les commentaires du chef de cuisine Jean-Michel Jouan à ses jeunes élèves de 1re année de CAP. Bienvenue dans les coulisses du lycée des métiers Sainte-Anne de Saint-Nazaire (44). C'est ici que le cuisinier enseigne depuis dix ans. "J'avais envie de partager, de transmettre", confie-t-il. Alors il a sauté le pas. Avec le souci permanent d'accorder sa confiance aux jeunes tout en maintenant une certaine distance, par le biais du vouvoiement notamment. "Ils doivent apprendre à respecter la hiérarchie, certaines règles de base, ainsi que le port d'une tenue réglementaire en cuisine. Si l'on est vigilant dès le départ, on n'a pas de mauvaise surprise en cours de route."

Concentrés, chronométrés, les élèves s'affairent. Sous l'oeil attentif de Jean-Michel Jouan. "Je les connais bien. Je les conseille pour leurs stages : j'évite, par exemple, d'intégrer les élèves les plus réservés dans de grosses brigades et de faire partir les plus jeunes seuls à l'étranger. Je prends le temps de les écouter, de dialoguer, d'aller les voir sur leurs lieux de stages." Du coup, le courant passe. Le chef parvient même à établir une certaine connivence avec ses élèves. Certains vont jusqu'à évoquer avec lui leurs problèmes personnels. "Être au contact des jeunes, c'est se remettre en cause tout le temps, explique Jean-Michel Jouan. Il faut donc faire preuve d'une grande ouverture d'esprit."

Eric Antoine : "Se faire respecter et être dans l'empathie"
Il n'enseigne que depuis 2009, après avoir passé trente-cinq ans dans le secteur de l'hôtellerie-restauration. Eric Antoine n'a donc pas encore beaucoup de recul sur l'art de transmettre, de passer le témoin. Néanmoins, ce professeur de service hôtelier à la Faculté des métiers de Cannes (06) reconnaît qu'il se retrouve confronté parfois "à des jeunes qui arrivent sans trop savoir ce qu'ils veulent faire plus tard". Alors il faut les guider, les orienter, les conseiller, "pour pouvoir avancer avec eux". "Le plus difficile, confie-t-il, c'est d'être ferme, de se faire respecter tout en étant dans l'empathie." Un exercice d'équilibriste auquel il faut s'habituer, en effet.

Après le CAP, ajoute le professeur, "notre rôle n'est pas terminé". "Lorsqu'ils sont en période de recherche de travail, ils continuent de venir nous voir, de nous solliciter, de nous demander conseil. Il est de notre devoir de les accompagner dans cette quête." Après deux années dans l'enseignement, Eric Antoine est convaincu que "l'apprentissage transforme les élèves. Ils ont un pied dans l'entreprise et dans le circuit de la formation. Ils se sentent responsables de quelque chose et cela change leur comportement. Ils sont tout de suite plus mûrs, plus matures. On sent qu'ils sont en train d'esquisser le début d'une carrière".

Gilles Meredieux : "la réalité, ce n'est pas la télé"
Professeur de cuisine à la Faculté des métiers de Cannes (06), Gilles Meredieux enseigne depuis vingt-quatre ans. Il a vu le profil de ses apprentis évoluer au fil du temps. "Il y a encore cinq ans, ils étaient très motivés. Aujourd'hui, ils le sont un peu moins. Ils s'inscrivent de plus en plus tardivement - ils attendent parfois jusqu'au mois d'octobre - et, en cours, ils manquent de savoir être. Il faut bien les cerner avant qu'ils ne commencent à se sentir cadrés." Autre source de préoccupation du chef : "Le succès des émissions de cuisine à la télévision. Parce qu'elles ne reflètent en rien la réalité, excepté lorsque le chef hurle en cuisine !"

Toutefois, il se dit rassuré lorsqu'il rencontre élèves et parents lors des journées portes ouvertes de la Faculté des métiers cannoise : "Les plus motivés, les plus passionnés, celles et ceux qui cuisinent déjà un peu à la maison ou ont déjà fait des stages dans des restaurants ne sont pas dupes de ce qu'ils voient sur le petit écran." Gilles Meredieux insiste : "Dans notre métier, ce qui compte avant tout, c'est la rigueur." Alors il fait son possible pour faire passer le message à ses élèves. Ce n'est pas toujours simple. Avec certains jeunes il faut prendre davantage de temps qu'avec d'autres. Ceux qui rencontrent des difficultés d'ordre social, par exemple. "Nous nous devons d'être à leur écoute, même si nous sommes d'abord des cuisiniers et pas des assistantes sociales."
Anne Eveillard

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