Comment avez-vous vécu la période qui a précédé la réouverture ?
Ca été une période stressante, surtout quand on ne retrouve pas tout le monde. Des périodes d’essais n’ont pas pu être renouvelés, Nous avons quitté les apprentis en première année et nous ne les avons quasiment pas vus en seconde année. Il y a aussi des personnes qui ont choisi de partir à la retraite plus tôt qu’ils ne le prévoyaient. J’ai perdu 11 personnes sur 28. Mon turnover, en comptant les contrats d’apprentissage, ne dépasse jamais 5 personnes par an habituellement.
Qu’avez-vous mis en place ?
Pendant les trois semaines qui ont précédées la réouverture, mon personnel a bénéficié de formations adaptées avec l’Asforest, et j’ai organisé deux jours sur site avec un coach spécialisé dans le bien-être en entreprise, Alexandre Gallay, pour ‘se vidanger’ de tout ce qui a été vécu et retrouver la cohésion d’équipe. Certains ne s’étaient pas vus depuis mars 2020. L’an dernier, nous avions, avec mon voisin, installé des terrasses éphémères. Et cette année, nous avons décidé de recommencer mais en nous organisant sur l’aménagement pour installer des terrasses de belles factures. Quant aux fournisseurs, j’avais anticipé suffisamment tôt et il manquait seulement deux références de vins à la carte.
Vous n’êtes pas favorable à la vente à emporter pour la restauration traditionnelle, pourquoi ?
J’ai fait de la vente à emporter durant la période de fermeture mais je l’ai arrêté volontairement à partir du 9 juin. Entrainer un restaurant traditionnel dans cette voie, c’est le vider de ses clients et de la convivialité qu’il représente. Je pense qu’il faut résister face à ce mode d’activité qui doit rester dans nos établissements un service ponctuel. Il est au contraire essentiel de faire redécouvrir nos restaurants. Je combats d’ailleurs fermement les cuisines fantômes. En tant que président de l’Association Française des Maîtres Restaurateurs, je ne veux rien lâcher sur la traçabilité des produits, leur qualité. On oublie trop également la fragilité des plats chauds plus sensibles au développement de bactéries. Ce modèle est aussi à mes yeux une forme d’esclavage social pour les livreurs. La modernisation doit être dans l’échange et le goût, mais pas avec des gens qui s’installent devant leur télé ou leur ordinateur pour manger un plat de restaurant. Je trouve que les syndicats sont un peu mous face aux dark kitchen.
Votre regard sur cette crise ?
Après 45 ans de métier, je ne m’attendais pas à rencontrer pareille situation, être obligé d’être fermé, sans pouvoir travailler, avec cette banalisation et cette répétition d’informations anxiogènes. J’ai connu la guerre par mes parents, les attentats, les grandes grèves mais, là, je pense que des sociologues devront s’emparer de cette période complétement folle en fait. Si le Fonds de solidarité n’avait pas été amélioré et mis en place, 40% des restaurants seraient morts aujourd’hui. Il faut se souvenir que jusqu’à la mise en place du fonds de solidarité à hauteur de 20% du chiffre d’affaires, tu ne savais pas où tu mettais les pieds. Les aides ne sont pas arrivées tout de suite et l’attente a été compliquée pour la grande majorité d’entre nous.
Comment gérez-vous la réouverture depuis le 9 juin ?
Je ne remplace pas les postes manquants mais je vais adapter l’entreprise à mon personnel. Je fonctionnais avant la crise 7 jours sur 7 avec une clientèle touristique le week-end. Je préfère désormais fermer le dimanche, faute de touristes. L’an dernier, tout a repris trop vite. On ne sait pas ce qui va nous arriver en octobre ou novembre. Pour être un secteur qui attire et plus attractif, je crois qu’il va falloir arrêter les coupures. Et c’est ce que je viens de faire, en organisant des plannings 16h/24h et 8h/16h. Il va falloir apprendre à se réinventer en faisant ce que nous ne savons pas faire : le DRH. J’ai gardé aussi ma carte d’été au complet. Je ne veux pas que les clients aient la sensation qu'on soit un genou à terre à cause du Covid.
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Publié par Sylvie SOUBES